Repos (47)

Dans la catégorie "Y'a qu'à voir un psy", je viens de m'inscrire au cours "WYG Weekly" de Megan Devine [1]. Celui-ci donne accès à un espace web où une nouvelle leçon est dispensée chaque semaine. Vendredi, le thème était "Memorial and Resting Places". 

Oies Bernaches au parc nord

Avertissement

Il n'y a pas de communauté. Ce n'est pas un safe space comme l'était l'atelier [2] de 30 jours, où le plus difficile, mais le plus enrichissant était de lire les écrits d'autres personnes endeuillées et d'ajouter des cœurs et de recopier les phrases dans lesquelles on se reconnaissait. Il y a juste un encouragement à partager des extraits en utilisant #WYGweekly et en mentionnant @refugeingrief [3] sur divers réseaux sociaux. 

Sonia à Paris en juillet 2010

Je n'ai pas l'intention de traduire en français mes écrits chaque semaine, mais je pense qu'ils alimenteront mes pensées pour Sonia chaque 26 du mois, ou seront un prétexte pour raconter son histoire, partager des photos. Une étiquette WYG permettra de retrouver ces écrits et les photos de Sonia pour ceux et celles qui les apprécient et invitera les autres à passer leur chemin, peu importe qu'ils aient plus ou moins de 16 ans. 

Resting place

Pour moi, c'est aussi une espèce de cours d'anglais personnalisé, et l'occasion d'explorer les subtilités linguistiques liées au deuil. En rejouant l'atelier des 30 jours depuis le début du mois [4], j'ai retrouvé le plaisir de penser à Sonia pendant 24 heures en me focalisant sur une couleur [5], un objet et en tirant sur le fil de ma mémoire. En comparant mes réponses avec ce que j'avais écrit il y a 3 ans [2], je me suis aperçue de contre-sens, ou du moins d'interprétations différentes. Si je regarde la traduction de "resting place", c'est un lieu de repos, et plus rarement la dernière demeure, le lieu de sépulture, la tombe. 

Capture d'écran des traductions de Linguee
En français, le titre de la leçon serait "Mémorial et sépultures", ce qui ne permettrait pas de jouer avec le double sens de ce repos, éternel ou non. 

Lieux de repos

Si dans les premières semaines après le décès de Sonia je suis plus ou moins restée cloîtrée, appréhendant les crises de larmes surgissant chaque fois qu'un humain me pose la stupide question "Ça va ?" avec un air compatissant ; au fil du temps, j'ai poussé de plus en plus de portes. 

Sonia à Québec en 2010


J'ai décidé que ce n'était pas à l'humain de décider si la question "Ça va ?" ou n'importe quel propos pouvait me blesser, mais à moi de me protéger en évitant certains contextes, en masquant sur les réseaux sociaux des mots, des expressions ou des mères passant leur temps  à se plaindre de leur progéniture sans se rendre compte de la chance qu'elles avaient qu'elle soit vivante. Au fil du temps, j'ai ainsi construit des bulles de repos, sorte de refuges où rien ne peut m'atteindre.

Science-Fiction

La lecture de romans ou de nouvelles de science-fiction me permet de me reposer, de m'évader. Le magazine Bifrost consacré à Octavia E. Buttler m'a rappelée à quel point son roman "Liens de sang" m'avait marquée en me transportant au temps de l'esclavage. Dans ce numéro, on peut lire la nouvelle "Enfants de Sang", publiée en 1984, et qui a obtenu entre autres, le "Hugo Award for Best Novelette" et "Locus Award for Best Novelette".
 
Extrait de Bifrost consacré à O. Butler

Je me faisais une joie de partager cette lecture avec d'autres passionnés du genre samedi 18. Je suis arrivée un peu en retard à la réunion, et j'ai commis l'erreur de ne pas sortir en voyant que le livre qui fait scandale actuellement circulait et que Calimero en disait le plus grand bien, un peu comme si c'était vraiment trop injuste qu'on interdise la publicité pour des lignes qui allaient sauver l'humanité d'un péril imminent, et surtout les enfants. Quand elle a pointé le danger de certains traitements médicaux, je lui ai rétorqué "Si ça peut éviter le suicide des enfants, la question ne se pose même pas.", ce à quoi elle a répondu du tac au tac "Ils ont qu'à voir un psy !". 

Ils ont qu'à voir un psy ! 

Les échanges se sont poursuivi dimanche 19 par email, avec notamment une excellente vidéo démontrant les liens entre les autrices et l'extrême droite [9].   

Cette vidéo aurait pu mettre fin au débat, mais l'organisateur de la réunion s'est braqué, m'envoyant une dizaine de mails souvent très paternalistes pour défendre Caliméro, en assurant qu'elle n'était pas d'extrême droite puisqu'il avait entendu des choses pires, ni sexiste même si elle trouve normal que des postes soient réservés à des hommes, ce qu'elle m'a confirmé elle-même par email. 

J'ai mis 24 heures avant de mettre un coup de pied dans cette bulle qui venait de m'exploser en plein visage. Quand 10 personnes se réunissent autour d'une passion commune, qu'il s'agisse de chocolat, de science-fiction ou défense du bien être animal, statistiquement, il y en a 3 ou 4 qui sont tombées sous le charme de Jordan ou de Marion, tout en étant ni sexiste, ni raciste [10]. 

Brouteurs du cirque Zavatta aux Ulis

Dans ce groupe de 10 personnes, la probabilité qu'il se trouve une personne membre d'une minorité, comme par exemple celle des joueurs de piano debout, est très faible, même si l'on inclut ceux et celles qui ne pensent pas que les joueurs de piano debout, "ils ont qu'à voir un psy !". Comme le chante France Gall, "Et pour quelle raison étrange, les gens qui pensent autrement, ça nous dérange !" [11].

Repos numérique

J'ai retrouvé la sérénité en quittant le groupe google d'échange sur la science-fiction, et en paramétrant des filtres pour supprimer automatiquement les messages de l'animateur, surtout pour éviter d'avoir la tentation d'y répondre.

Du 15 au 25 mai, c'était la "semaine de sensibilisation aux écrans" sur la ville des Ulis [12]. Le "Ils n'ont qu'à voir un psy" balayant d'un revers de mains le drame du suicide des enfants n'aurait sans doute pas été éructé de manière aussi violente sur un réseau social, et n'aurait pas généré autant de mails du style "mais non, c'est pas d'extrême droite". 

Le numérique permet de configurer des aires de repos, même si elles n'ont rien d'éternel... Avec le recul, j'ai eu une réaction en mode "porc épic", mais je n'ai aucun doute que Sonia aurait approuvé que je ne laisse pas passer de telles choses. Il y a tout juste un an, je partageais certains de ses propos sur les psychologues [13]. Elle aimait aussi beaucoup écrire et inventer des histoires.


Le cours "WYG Weekly" sera sans aucun doute plus efficace, plus long, plus intéressant qu'une séance hebdomadaire chez un psychologue qui n'a eu qu'une leçon sur le deuil en 5 étapes pendant toute sa courte formation universitaire. 

  1. Writing Your Grief: Weekly Writing Prompt
  2. E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
  3. @refugeingrief sur X
  4. E. PIotelat, Ce que je ne montre pas, 05/2024
  5. E. Piotelat, Bouquet de couleurs (27), 09/2022
  6. E. Piotelat, Entropie, 09/2020
  7. E. Piotelat, La voix du deuil, 05/2021
  8. Bifrost n°108.
  9. Transphobie : La nouvelle panique des médias et de l'extrême droite.
  10. Les sondages français des élections européennes de 2024
  11. France Gall, Il jouait du piano debout, 1980
  12. Semaine de sensibilisation aux écrans
  13. E. Piotelat, Moi versus psy (35), 05/2023

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