Le mois de mai est difficile depuis 4 ans. C'est le mois de l'anniversaire de Sonia, mais aussi celui de ma tante Eliane, qui s'est suicidée peu après ses 70 ans [1]. Cela avait beaucoup affecté Sonia et qui avait eu des tonnes de "pourquoi ?". Mai 2020, c'était le déconfinement, sauf pour les étudiantes comme Sonia qui n'ont pas eu le droit de retourner à l'université avant les partiels, qui se sont déroulés en ligne. Bref, oui, mai 2020 fait aussi partie des mois difficiles, comme ceux qui ont suivi le décès de Sonia. Pour affronter mai 2024, j'ai décidé de rejouer l'atelier "Writing Your Grief" de Megan Devine [2], essentiellement parce que cela m'avait fait du bien en 2021, mais aussi pour comparer un peu mes réponses avec ce que j'avais écrit il y a pratiquement 3 ans jours pour jour [3].
Samedi
Sur le banc à côté de l'arbre, il y avait un bouquet de roses, là tout seul sans le moindre humain à proximité. Si j'étais bien consciente que la probabilité que quelqu'un l'ai laissé là pour rendre hommage à Sonia était proche de zéro, dans mon esprit, il ne pouvait être associé qu'à un décès. Quelqu'un avait-il perdu la vie en ce lieu ? Est-il destiné à honorer la mémoire d'un amoureux ou d'une amoureuse du parc ? Je ne doute pas un seul instant que le saule de Sonia est aussi le saule de beaucoup d'Ulissiens et d'Ulissiennes, qui ont une histoire particulière avec ce lieu.
Dimanche
Peu importe le message qu'il porte, un bouquet de rose est un bouquet de rose. Il y a une forte probabilité que la personne qui l'a pris n'ait pas imaginé une seconde qu'il puisse s'agir d'un bouquet comme ceux qu'elle a vu à la télévision devant les établissements scolaires de jeunes victimes.
Aucun des deux bouquets n'avait de message, ne serait-ce que le prénom de la personne destinataire "A Sonia, A Juliette..." Il n'est pas nécessaire de cacher son grief pour ne pas le montrer, un peu comme l'amour. Le bouquet est là, bien visible, mais les seuls humains à envisager qu'il puisse se cacher de terribles événements derrière les fleurs sont ceux qui ont déjà vécu ça...
Si je devais expliquer ce qu'est grief, je pense que cet échange de bouquets est une bonne analogie, c'est un aller-retour permanent des pensées entre les ténèbres et la réalité, une succession de messages que le cerveau interprète à sa manière. Les sentiments associés ne sont pas tristes. J'ai été surprise de voir le bouquet abandonné samedi. Dimanche, ça m'a amusée de répondre dans le même langage à un mystérieux signal.
Lundi
Ces dernières semaines, je suis passée plusieurs fois devant les photographies d'oiseaux à la MJC Jacques Tati à Orsay sans m'attarder. Avant-hier, j'avais un peu de temps devant moi, et j'ai remarqué que j'avais déjà vu certains clichés. [6]
Quand j'ai lu le nom du photographe, Louis-Ernest Pancrate, l'exposition a pris une autre dimension, intemporelle, mais aussi plus lumineuse.
Ses œuvres continuent à vivre, à circuler, y compris en dehors des Ulis. Il ne fait aucun doute que le bouquet de samedi avait été déposé à l'intention de cet amoureux du parc nord.
Chacun voit ce qu'il a envie de voir dans ces roses, un peu comme pour le grief. Si je réponds "merci ça va !" au lieu de dire "j'appréhende un peu le mois de mai", c'est un peu comme si je me déguisais en père-noël, si j'offrais comme cadeau le message que la personne qui me demande "comment ça va ?" a besoin d'entendre, les fleurs qu'elle a envie de recevoir... et en ce premier mai, c'est du muguet !
- E. Piotelat, A toi, Eliane, 05/2020
- Writing Your Grief
- E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
- E. Piotelat, Je t'ai dit merci ?, 06/2021
- E. Piotelat, 15 mois, 09/2021
- E. Piotelat, Grandeur nature, 10/2023
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