L'automne à Neverland

En 2008, Sonia avait 8 ans. Nous sommes allées à Londres sur les traces de Peter Pan. A l'époque, j'avais écrit un billet de blog [1]. 


L'automne a débuté le 22 septembre. Je découvre le cimetière de Bures à la tombée de la nuit. Le lieu a quelque chose de magique, avec les cris des perruches à collier, l'absence de lampadaires, les coins de ciel sombre entre les branches des arbres qui perdent leurs feuilles. 


Hier soir, les deux trottinettes à l'entrée du cimetière m'ont fait penser au pays imaginaire, qui en anglais se dit "Neverland", le pays de jamais.. 


Les seuls enfants du cimetière s'appellent Sonia, mais aussi Romain, Charles, Yanis, Rose, Romuald, Jimmy ou encore Armand. Qu'ils soient morts nés, qu'ils aient 18 ou 25 ans, ils ne grandiront plus, comme Peter Pan.


La description d'Emily par Victor Hugo [2] évoque aussi cette jeunesse figée, éternelle.  
Emily de Putron est allée chercher là-haut la sérénité suprême, complément es existences innocentes. Elle s’en est allée, jeunesse, vers l’éternité ; beauté, vers l’idéal ; espérance, vers la certitude ; amour, vers l’infini ; perle, vers l’océan 

Adolescente, Sonia adorait les théories sur les fictions, en particulier sur les dessins animés Disney, qu'elle n'a jamais beaucoup apprécié quand elle était enfant. Elle m'avait montré cette vidéo sur Peter Pan :  



L'auteur de Peter Pan, J.M. Barrie avait aussi connu un drame qui a inspiré son oeuvre. Son frère aîné,  David, est  décédé quand il avait 6 ans [3]. La première apparition de Peter Pan date de 1902, dans un recueil de nouvelles "The little White Bird" [4] C'est un bébé de 7 jours, qui est passé par la fenêtre, s'est envolé comme un oiseau, avant de perdre cette faculté, et de rester ainsi ni humain, ni oiseau sur une île du lac Serpentine, rêvant de rejoindre les jardins de Kensington.


Je regarde des photos de Sonia, et je trouve qu'elles ont quelque chose d'intemporel, qu'elles se mélangent, comme autant d'enfants perdus. Elle a toujours été pressée de grandir, de devenir adulte, de gagner en autonomie, en liberté. A 6 ans, peut-être imaginait-elle déjà celle qu'elle serait à 18 ans. Elle s'intéressait aux dinosaures, savait qu'ils avaient disparu, savait aussi que la Terre disparaîtrait un jour, dans quelques millions d'années. Elle avait déjà utilisé la mort, soit pour faire du chantage, soit pour exprimer un mal-être, ou souvent les deux, lorsque d'autres enfants se contentent de faire des caprices en hurlant et en se roulant par terre.  


Quand je regarde les photos de ce voyage à Londres, Sonia a 6 ans, aujourd'hui, maintenant. Elle me lance des peluches dans le TGV, elle joue, comme les enfants du pays imaginaire.


Neverland... Les jardins de Kesington... Le cimetière de Bures sur Yvette... 


Un peu plus tard, Sonia s'est intéressée à la série de dessins animés de la fée clochette. Les petits romans qui les accompagnaient sont sans doute les premiers livres de la bibliothèque rose qu'elle a eu entre les mains. Nous avions aussi un bel album racontant l'histoire de Peter Pan telle qu'imaginée par JM Barrie. On en lisait un peu tout les soirs, découvrant une fée clochette plutôt méchante. Sonia a toujours adoré les vilains... 

Fillette rêveuse et pétillante, jeune adulte créative et responsable, Sonia restera toujours Sonia. Dans une histoire, Peter Pan est un bébé de 7 jours ni humain ni oiseau, dans l'autre il est un jeune garçon d'âge scolaire, mais c'est toujours Peter Pan. 

L'été meurtrier avec ses canicules laisse place à un automne dans un pays où Sonia n'est plus. Elle a rejoint Neverland, comme David, le frère de JM Barrie, comme tant d'enfants qui se sont envolés pour ne jamais revenir... En regardant les jouets, les peluches, les anges sur certaines sépultures, il ne fait aucun doute que le pays de Peter Pan.


Les arbres pourraient s'appeler Mouche ou capitaine Crochet. Dimanche, alors que j'observais les taches de soleil qui dessinaient une allée imaginaire près de la tombe de Sonia, j'ai eu la visite de la grosse libellule verte. Je crois que je vais la surnommer fée clochette.  


  1. E. Piotelat, Sur les traces de Peter Pan, 06/2008
  2. Victor Hugo, "Actes et paroles/Pendant l’exil/1865
  3. D. Queffelec, La sombre histoire de Peter Pan, France Culture, 01/2020
  4. J.M Barrie, The Little White Bird, Peter Pan.  
  5. E. Piotelat, 2 mois, 08/2020. 

Commentaires

Nathalie FT a dit…
Oui, le temps se répond et se bouscule dans ce pays où les enfants ne grandissent plus. Neverland.. et aussi en te lisant, je pense à Arrival - le film où le temps se mélange en bordure d'un deuil impossible et pourtant nécessaire au fil du temps qui passe, celui de sa propre vie.
Elisabeth a dit…
J'ai revu Arrival (1er contact ici) peu de temps après son décès (voir billet sur l'égoïsme maternel).

Est-ce que je revivrai ces 18 années en connaissant la fin? Oui... A coup sûr... Mais sans doute avec un désir de changer pas mal de choses, d'être plus altruiste (voyager plus souvent au Canada).

J'ai déposé des tournesols à 13 heures. On entendait des enfants crier, jouer, rire... C'est vraiment le pays imaginaire. J'ai découvert qu'il y avait une école maternelle derrière le cimetière.