Apaisement à Kyoto

En ce 14 juillet, jour de fête pour les uns, jour de deuil pour ceux et celles qui ont perdu des proches à Nice en 2016, je vais contribuer à l'apaisement national et local avec quelques pliages réalisés grâce au livre "Mes Origamis de poche - Kyoto" par le collectif d'artistes japonais Cochae [1]. 

Je viens d'obtenir les résultats de l'examen HSK1. C'est en me baladant après les épreuves le 10 juin dernier que je suis tombée sur ce petit livre [2]. 

Apaisement sexiste

Ce sans-faute me rassure sur mes capacités cérébrales !  Je suis capable de me concentrer sur autre chose que des grues en papier, même si Sonia occupe toujours mes pensées la plupart du temps. [3]

Découverte d'un coffre rempli de cravates

Sonia me fournit toujours l'énergie nécessaire au combat, dès que le détecte du sexisme, surtout dans le milieu universitaire. 

Moi, grincheuse professionnelle ? C'est un euphémisme, face aux insupportables discriminations, d'autant plus si elles sont justifiées en disant qu'elles servent à combattre les discriminations.  

Les cons, ça ose tout, c'est à ça qu'on les reconnait. Pour ne pas être sexiste à mon tour, je peux recopier la phrase au féminin : les connes, ça ose tout, c'est à ça qu'on les reconnait. Comment ça, c'est sexiste et le même adjectif n'a pas la même portée au féminin qu'au masculin ? Chacun, chacune, en prend pour son grade. C'est ça la parité ! Je pourrais utiliser une écriture inclusive, "les c** ça ose tout", mais ça serait un problème pour les logiciels dédiés à l'accessibilité, ou les outils de traduction. [1à]  

Si je comprends tout à fait le besoin de cocon pour des victimes à un moment donné, je ne supporte pas que l'on ferme des portes. Est-ce à cause de Suzume [4] ? 


Groupe de parole apaisé

Par exemple, lorsque je faisais partie des organisatrices du groupe de parole pour parents d'enfants précoces aux Ulis, tout le monde pouvait venir [5]. Il y avait les habitués, et puis de temps en temps, une maman, un papa, qui venait pour la première fois, en commençant par "Je ne pense pas que mon enfant soit précoce, mais...". Il s'en suivait en général une multitude de petites choses où l'on sentait le désarroi et la souffrance, l'absence de dialogue, et surtout la difficulté de trouver des solutions. 


Nos progénitures nous accompagnaient de temps en temps. Les enfants et ados étaient heureux de se retrouver et jouaient dans un coin. Quand, à l'occasion de fêtes, nous nous retrouvions à la ludothèque avec des gâteaux, c'était plutôt les parents qui papotaient dans un coin pendant que les enfants exploraient les lieux. 

Je suis ton père, en décembre 2013


Puis, Sonia et quelques autres se sentant plus adultes qu'adolescents se sont installés à notre table, prenant une part active à nos discussions et se faisant l'avocat des enfants.  Je me souviens de Sonia disant à une maman inquiète pour le bac : 
"Si votre fils de 17 ans ne veut pas aller voir l'orthophoniste, ça sert à rien qu'il y aille ! "
Nos réunions ont pris fin quand la mairie des Ulis a imposé de contrôler qui venait en demandant 5€ d'inscription au groupe de parole. 

Ecriture apaisante

Dix mois après le décès de Sonia, je me suis inscrite à un atelier d'écriture sur le deuil, et j'ai vraiment compris l'intérêt que pouvait représenter un nid douillet où tous les oisillons ont pour consigne d'aimer les gazouillis des autres, de ne pas critiquer, de ne pas juger, de ne pas donner de conseil. [7]

Cela m'a fait du bien en chassant certains tabous et en libérant ma créativité sans crainte du "qu'en dira-t-on si j'écris à Sonia ?". Nous avions comme consigne de ne publier que des choses de notre cru, c'est-à-dire pas de citations, pas de platitudes, pas de dessins, de photos dont nous ne saurions pas les auteurs. 


Il y avait des frais d'inscription, mais pas de restrictions liées par exemple à la relation avec la personne décédée. La porte était ouverte, avec juste un avertissement pour les âmes sensibles. Je m'imposais de lire tout ce qu'écrivait les autres et c'était quelquefois très dur. 


Après un mois à voir défiler les photos des êtres aimés, j'avais l'étrange sensation, qu'ils étaient là, que je les connaissais, que je les avais toujours connus. J'ai arrêté de me demander si quelqu'un pourrait être gêné de voir une photo de Sonia ! Bien sûr que non... Et puis comme la porte est ouverte, si ça gène, rien n'empêche de sortir ! 

Mission cravate accomplie

Le monde réel n'est pas constitué de gens qui passent leur temps à mettre des cœurs, sans juger, sans critiquer. Lors de l'atelier, j'ai appris à mettre en place des filtres sur des sujets qui ouvrent des cicatrices, comme par exemple, le 35 mai 2023 [11]. Je me suis aperçue que répondre "Vous avez de la chance que votre fils soit vivant" à une mère carriériste se plaignant de sa famille, n'était pas toujours bien perçu. J'ai donc appris à masquer ce genre de geignardes sur les réseaux sociaux, pour ne pas être tentée d'amorcer une conversation qui pourrait s'avérer aussi désagréable pour elles que pour moi [7]. 

Six mois plus tard, j'ai participé en mode "sorcière déguisée en bonne fée qui s'incruste à une fête" à un autre atelier d'écriture créative [8], surtout pour me tester, c'est-à-dire reproduire l'expérience de l'atelier d'écriture sur le deuil sans filet. Je ne me suis pas présentée comme membre de la minorité des mères ayant perdu leur enfant, et je n'ai pas cherché à savoir qui étaient les lecteurs et lectrices de mes textes. Nous avions comme consigne de critiquer les écrits des autres, afin que chacun s'améliore.  Inspirée par le sondage qui venait d'être publié par l'école Centrale, j'avais répondu à un exercice sur le thème "rédigez un texte en utilisant les 5 sens" en me mettant dans la peau d'une étudiante victime de violences sexuelles. Ma fiction me semblait nettement moins violente que la réalité et se terminait par un point d'interrogation sur le suicide [9]. En général, je n'étais pas la seule à évoquer occasionnellement la mort. Il y avait des adeptes de polars. Une participante a demandé à être avertie quand les textes étaient trop durs. J'ai alors précédé tous mes envois de "pour adulte", incapable de savoir où placer ce genre de curseur et à quel moment une fiction devenait trop noire pour des lectrices de romans à l'eau de rose.

L'apaisement ne peut passer que par des portes ouvertes. Si vraiment des personnes qui souffrent ont besoin d'un espace protégé, leurs cicatrices, leurs blessures seront tellement difficiles à observer que la plupart des oreilles indiscrètes éviteront le secteur sans qu'on ait besoin de leur demander quoique ce soit.

Pourquoi fermer la porte, si ce n'est pour afficher sa différence, exclure, se victimiser et discriminer l'autre ? Pour éviter les jugements ? Un parent persuadé que les enfants précoces n'existent pas, que c'est un mythe, serait masochiste de passer une soirée à une réunion de parents d'enfants précoces ! Il en va de même pour l'enseignante sans enfant craignant qu'on lui casse du sucre sur le dos. Ça n'est jamais arrivé ! 

C'est à moi de me protéger en masquant, en bloquant, en ne répondant pas à des invitations qui me mettent très mal à l'aise, à trouver des boucliers et dans les cas extrêmes à me défendre avec quelques flèches. Ce n'est pas aux autres de faire attention à ne pas me blesser en fermant des portes ou en me victimisant comme faisant partie d'une minorité, en m'entourant d'un nid douillet avec des cœurs artificiels. 

  

    1. Mes origamis de poche - Kyoto, Glénat, 2016. EAN : 9782344015810
    2. E. Piotelat, Papier origami à Paris, 06/2023
    3. E. Piotelat, Deuil et cerveau, 02/2022 
    4. E. Piotelat, Suzume, 05/2023
    5. Site du groupe de parole.
    6. E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
    7. E. Piotelat, Parc Paul Loridant, 09/2021 
    8. E. Piotelat, Comment bien faire son deuil en 5 étapes ?, 10/2021
    9. E. Piotelat, La Team Vichy, 10/2021
    10. Guide de communication inclusive
    11. E. Piotelat, 35 mai ou 8964, 06/2023

    Commentaires

    Nathalie FT a dit…
    Je crois avec l'expérience qu'il est important d'avoir un espace pour guérir, clos éventuellement, surtout au début. Puis ouvrir la porte. Connaître ses limites : qu'est-ce qui est encore difficile à voir, entendre. Baliser. Pouvoir retourner à l'espace confortable quand ça va plus mal, que c'est plus difficile. C'est dans ce va et vient que les choses changent, évoluent.
    Elisabeth a dit…
    Et tu penses vraiment que des gens guérissent dans un espace clos, que ce n'est pas juste de la pub de groupes (écoles, entreprises, syndicats, partis politiques) pour dire "on fait quelque chose contre les discriminations" et empêcher les gens d'avoir un réel suivi médical ou de déposer plainte ?

    Si tu prends une réunion d'une heure avec 10 personnes, chacune aura à peine 6 minutes pour s'exprimer. C'est pas ce que j'appelle libérer la parole et je ne vois pas comment ça peut guérir quoi que ce soit...