Violences aux Ulis

J'ai hésité à écrire ce billet sur ce qui s'est passé la semaine dernière aux Ulis. Deux choses m'ont énervées. Au niveau national, c'est la récupération par l'extrême droite ou l'exagération des faits donnant l'image d'un territoire perdu de la république. Au niveau local, c'est les critiques du style "que font les parents ?"

Pour que les Ulis ne soient pas uniquement associées à une image de véhicule ou d'uniforme de Police j'ai publié quelques photos sur Twitter [1]. Je vais donc consacrer ce billet à répondre aux critiques à l'encontre des parents. 

Vers l'arrêt Hautes Plaines. 5 mai à 9h14

Il y a eu des événements. Je n'ai assisté à aucun des deux. Dans la nuit du 4 au 5 mai, il y a eu des échanges, parpaings contre gaz lacrymogène. J'étais très occupée par l'atelier d'écriture sur le deuil [2]. La question du jour était la suivante : 
Imaginez que vous écriviez une lettre à la personne que vous avez perdue. Qu'est-ce que vous voulez lui montrer dans ce nouvel environnement. 
De 17 à 19h, je suis donc sortie pour prendre des photos de tout ce qui avait changé depuis le décès de Sonia le 26 juin 2020 [3] : le green-washing avec la végétalisation de la place devant la mairie et la plantation d'arbres, la colonne Morris pour faire comme si on était à Paris, le nouveau quartier des Amonts, les oies au parc Nord, le cimetière de Bures avec ses héros, la tête coupée du saule, les origamis et les photos dans mon salon. 


Si je n'ai pas indiqué le contexte du billet précédent [3], c'est parce que je sens vraiment que je vis dans deux mondes. Ann Scott le décrit très bien dans son roman "La grâce et les ténèbres" [4]. Quand on a vu la mort (comme des soldats ou des journalistes en pays de guerre), on appartient à un autre univers, et c'est quasiment impossible de partager cela avec des personnes qui n'ont jamais vu quelqu'un mourir sous leurs yeux. 

La Daunière. 5 mai à 9h14

Par exemple, une question bête m'est venue à l'esprit : 
Si Sonia avait participé à des tirs de mortiers serait-elle encore en vie ?  
Peu après son décès, un énorme poids m'a quittée. Je ne me rendais pas compte à quel point j'étais angoissée qu'il lui arrive quelque chose. Et je pense que c'est le cas de tous les parents d'ados ou de jeunes adultes aux Ulis et ailleurs. 

Sonia était en colère, on en retrouve des traces sur Twitter [7] : 


 
L'assassinat de Georges Floyd l'a beaucoup touchée. On a tous vu les images. 

Début juin 2020, il était aussi question de féminicide, avec le témoignage de policiers racistes diffusé par Arte Radio. [5] Quand on est parent d'ado, on ne peut pas éviter que son enfant voit les images de l'assassinat de Georges Floyd, mais on n'est pas obligé de lui dire "Je viens d'entendre un truc qui m'a écœurée". Je me souviens que l'on avait écouté le témoignage toutes les deux, assises dans le fauteuil, en arrêtant de temps en temps et en faisant des pauses.  

Sonia détestait Assa Traoré pour diverses raisons (dont je parlerai peut-être un jour) et zappait systématiquement dès que sa chevelure apparaissait. Je n'ai trouvé aucun tweet de sa part relatif à ce qui se passait en France, en revanche, elle suivait le mouvement #BlackLivesMatter aux US. 
 
Les violences policières l'inquiétaient. En début du confinement, on avait pas mal discuté de l'histoire de Sofiane, le livreur d'Amazon tabassé par le BAC aux Ulis [6]. Elle avait une grande admiration pour le personnel médical. 




Dix jours avant son décès, elle retweetait ça : 

Sonia n'a jamais manifesté aucun désir de s'en prendre au commissariat des Ulis... Dans les moments de colère, elle avait plutôt envie de détruire l'école des Avelines afin qu'aucun n'enfant ne subisse plus le racisme et les discriminations dont elle a été victime [8].

Quand on est parent d'ado, on n'est pas irréprochable. On a fait des erreurs et nos enfants ont raison de nous juger comme l'a fait Sonia : 
"Quand j'étais petite, tu étais une connasse, toujours du côté des animateurs et des enseignants. Maintenant, ça va, tu es quelqu'un de bien."

A lire certains témoignages du style "surveillez vos gamins", on a l'impression que certains ne font pas la différence entre un enfant et un chien tenu en laisse. Sonia tenait à sa liberté, et moi aussi, je tenais à ne pas l'enfermer dans une bulle. Et même si j'avais voulu la fermer à double tour dans un monde merveilleux où elle n'aurait jamais entendu parler de Georges Floyd, aurait-elle été plus heureuse ?  

Vers l'arrêt Hautes Plaines. 5 mai à 9h14


Et non, ce n'est pas "la faute aux écrans", "la faute aux réseaux sociaux". Même s'il n'y avait pas eu Facebook ou Twitter, il suffisait de voir l'état des rues des Ulis le 5 mai au matin pour se rendre compte que la violence est des deux côtés. 

En tant que parent, la seule chose que l'on peut faire, c'est expliquer que la BAC, ce n'est pas la police municipale des Ulis qui de mon point de vue agit de manière plutôt intelligente, par exemple en laissant les matches de foot se dérouler. 

Stade Thierry Henry. 9 mai vers 18h

Sonia était plutôt éprise de justice et avait confiance envers le commissariat des Ulis, qui avait pris sa plainte suite à une agression par un pédophile au parc nord par exemple. Si ça n'avait pas été le cas, j'aurais pu lui balancer des platitudes du genre "Jouer à lancer des pétards contre le commissariat, c'est mal.". Mais comme elle envisageait des études de droits, elle n'avait pas besoin que je lui explique ce qu'est la responsabilité pénale pour un ado de 13 ans. 

J'aurais pu aussi avoir des arguments du style "Il est minuit, tu vas réveiller le bébé de madame truc". Elle aurait sans doute eu le dernier mot du style "Un bébé qui fait ses dents va de toute façon  hurler dans la nuit et réveiller ses parents."

Les ados savent différencier le bien et le mal. Ils n'ont pas besoin des leçons de morale ni des platitudes de leurs parents ou éducateurs. Peut-être que l'un des arguments qui pourrait marcher et de leur montrer la monté de l'extrême droite. Il suffit de regarder Cnews, de voir que les politiques de l'extrême droite sont invités sur toutes les chaînes dès qu'il y a de la violence pour se rendre compte que jeter un parpaing ne sert pas leur cause à long terme, même si ça leur fait du bien de se défouler. 

La Daunière. 5 mai à 9h14

Les parents peuvent parler de "l'image de la ville des Ulis", mais les ados savent très bien que dès qu'ils mettent un pied à Orsay ou à Bures, on leur renvoie des préjugés. S'ils habitent les Ulis, forcément, ils sont pauvres et vivent dangereusement. Sonia a souvent été abasourdie par les craintes que les gens extérieurs avaient des Ulis. Cette crainte, on la ressent aussi dans les journaux de gauche, comme quand Libération publie un article avec une photo prise il y a plus d'un an et en se trompant de légende [9]. De là à penser qu'ils ont eu peur d'envoyer un journaliste sur place à cause de préjugés, il n'y a qu'un pas... 

Vers l'arrêt Hautes Plaines. 5 mai à 9h14

Les violences aux Ulis dans la nuit du 4 au 5 mai nuisent aux policiers, au adolescents, aux habitants. Personne n'y gagne. La seule crainte des parents d'ado et de jeunes adultes est qu'il arrive malheur à leur enfant. S'il n'est pas blessé, s'il est en vie, ils ne demandent que ça. Ça ne fait pas d'eux des mauvais parents, au contraire, et je n'ai aucune leçon à donner. Si Sonia m'avait dit "Tu me laisses risquer ma vie en sortant à minuit avec mes potes ou je me suicide", je n'aurais pas hésité une seconde. On a tous été ados, on a tous remis en cause l'autorité de nos parents, testé les limites, les interdits. 

Centre-ville des Ulis le 10 mai à 19h

Ce soir, la ville des Ulis était superbe avec toutes ses couleurs ! Journalistes, politiques, n'ayez pas peur de venir... C'est bien plus beau que les Champs Elysées, et bien moins dangereux qu'une manifestation de gilets jaunes.


Arc-en-ciel aux Ulis le 10 mai à 19h30


Ajout le 11 mai à 20h15 : Réaction du Maire des Ulis



  1. Petit thread sur ce qui se passe aux Ulis, aujourd'hui, là, maintenant. 
  2. E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
  3. E. Piotelat, Quoi de neuf aux Ulis, 05/2021
  4. E. Piotelat, La Grâce et les ténèbres, 11/2020
  5. Gardiens de la paix, Arte Radio. 
  6. E. Piotelat, Que fait la BAC ?, 03/2020
  7. Qui s'en fout ?
  8. E. Piotelat, L'école élémentaire des Avelines, 09/2020
  9. R Kefi, Les Ulis, la possibilité d'une ville, Libération, 05/2021

Commentaires

Nathalie Faure a dit…
Merci pour cette remise à niveau humain. Quand en 2006 il y a eu des émeutes en France, vu du Québec, on aurait pu croire que les banlieues lyonnaises étaient au bord de la guerre civile. Un copain prof m'avait dit que c'était pas pire que d'habitude.. Points de vue et choix des médias, orientation politique.. et tout cela favorise encore plus la polarisation entre les courants politiques. A qui le crime profite ?
Unknown a dit…
Mon fils est arrivé ave moi aux Ulis , il avait 12 ans. Son adolescence c'est passé ici. Je me souviens de ses colères, de ses incompréhensions, de ses désirs de tout "péter". Ne pas étre autoriser à rentrer " à go sport" avec ses potes, de sortir le soir faire le tour " de la tour" car rien d'autre de plus à faire ET d'étre contrôlé 3 fois par la BAC... De n'avoir aucun lieu, à part mon petit appart, pour se retrouver avec ses potes Enfin si il y a eu le Radazik... Le Rap .. Et puis il y avait la Bretagne .. Oncles , tantes cousins, cousines ... Là, mon fils a apprécié, d'étre ado, jeune, pas de police sur le dos, bistrot ou on peux se poser, sortir sans craintes d'étre agressé ... Une vie normal de jeunes ... Plusieurs de ses copains ont découvert avec lui la ville de Brest ... Synonyme de Liberté ... OUI la vie de nos jeunes aux Ulis est compliquées, ennuyeuses, rudes, violentes .......