En rang 2 par 2 avec le SARS-Cov2

C'est la rentrée ! Je n'ai reçu aucun relevé de notes de l'université d'Evry, ni rien d'autre d'ailleurs depuis l'étrange hommage repéré par hasard [1]. Si elle était encore en vie, Sonia rentrerait-elle en L2 ? Enfin, je n'ai rien demandé non plus et j'imagine que les jurys ont eu assez de travail avec les étudiants  en vie pour ne pas avoir à s'occuper des morts. 


La rentrée scolaire a été souvent le théâtre des fictions de Sonia, comme dans "Schrodeen" [2] rédigé en réaction aux propos de Laurent Alexandre sur le fait que les femmes intelligentes ne font pas assez d'enfants [3] et aux propos de Mme Ducanda sur l'autisme virtuel. 

Elda de son côté entre en 6ème. Elle est dégouttée de sa classe, elle est en SEGPA, elle détestait sa classe de CLIS en primaire. Mon père Rick qui est médecin a essayé de leur faire comprendre qu’Elda était juste aveugle et à haut potentiel et qu’avec une AVS ou des livres en braille, elle pourrait suivre un cursus scolaire normal mais rien n'y faisait, ils ne comprenaient pas. [..]

L’institutrice de Schrodeen pense qu’elle est hyperactive ou autiste. Je vais en PMI où on me dit qu’elle est autiste, je demande alors un PAP, ou dans le pire des cas une AVS, elle me dit que non, que c’est de ma faute si Schrodeen est autiste, et qu’il faut que je lui retire tous les écrans.

En entendant ces conneries, mon père fait un arrêt cardiaque, deux heures plus tard, j’étais orpheline,  j’ai hérité de 1000000 € ou 106€ pour ceux qui pensent qu’un individu lambda a besoin des maths, ne serait-ce que pour rendre un nombre plus lisible.

Elle avait illustré son texte par ce dessin : "Rick Jeil, tué par la déresponsabilisation de l'éducation nationale". 


En primaire, Sonia était aux Avelines, l'école en bas de chez moi... Elle a été victime de harcèlement à cause de ses cheveux du CP au CE2. Trop courts, elle ressemblait à un garçon. Cheveux mi-long en liberté, on l'accusait d'avoir des poux, etc, etc... J'avais conservé l'image d'enseignants responsables comme ceux que j'avais connus dans mon enfance. J'ai compris bien trop tard que la plupart étaient sans expérience et ne restaient qu'un an ou deux aux Avelines, et changeaient d'école dès que l'occasion se présentait. Le harcèlement, ils n'en avaient rien à faire ! J'ai retrouvé le cahier de liaison de CE1 où j'avais écrit un mot sur le harcèlement dont Sonia était victime. Je n'y ai lu aucune réponse de l'enseignante.
Son institutrice de CE2 était certainement raciste. Oui, c'est celle qui ne supportait pas que Sonia dessine en classe [4]. Elle n'interrogeait plus Sonia car "elle avait trop de vocabulaire par rapport à ses camarades qui ne comprenaient pas ses réponses". Quant à son institutrice en CP, elle avait une conception assez étrange de la laïcité [7]. Sonia m'en avait reparlé pendant le confinement, au mois d'avril. Elle se souvenait des remarques du style "Tous ses camarades ont une religion" qui l'excluaient du reste de la classe. 

C'est ce harcèlement, ce sont ses remarques des enseignants, qui ressortaient quand Sonia se démêlait les cheveux, dix ans plus tard. Elle m'a reproché mon aveuglement et je le reconnais [5]. Aurais-je dû porter plainte ? Devrais-je le faire maintenant [6] ? Si je n'avais pas pris à la légère les petites phrases "Alice a dit que j'étais un garçon parce que j'avais les cheveux courts", "Bob dit que j'ai des poux", est-ce que Sonia serait encore en vie ?

"Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende."

Quand elle repensait à tout ce qu'elle avait subi enfant, elle n'en voulait jamais à Alice ou Bob, mais à ceux qui en avait la responsabilité, c'est-à-dire les enseignants, les animateurs et à moi bien sûr.

En cette rentrée 2020, force est de constater que les enseignants de l'école des Avelines ne sont pas plus responsables. Même si les enfants n'ont pas de masque, ils sont censés faire respecter les gestes barrière. De mon balcon, j'ai vu ça... Des élèves en rang 2 par 2, qui rentrent tous en même temps. 


Sonia s'est toujours demandé à quoi ça servait d'être en rang 2 par 2. Sa stratégie était de se poster loin derrière, d'attendre que le reste de la classe soit en rang, puis s'il y a un nombre pair d'élèves, se mettre à côté du dernier, sinon de rester en retrait. Aucun enseignant n'a jamais pu lui donner une bonne raison de se mettre en rang. Certains m'ont signalé le problème. Je leur ai demandé où il était et quel était l'intérêt d'être en rang avant de rentrer en classe. Je n'ai jamais eu de réponse. Pourquoi Sonia devrait-elle donner la main à Alice et Bob qui la harcelaient cinq minutes avant ou à n'importe quel autre enfant moqueur ou témoin silencieux du harcèlement ? 

Avec l'épidémie de SARS Cov2, se mettre en rang semble totalement absurde. Si encore il y avait un mètre entre les enfants en file indienne ! 


J'imagine qu'une fois rentrés, ils vont tous ensemble se laver les mains... Ou pas... 

Enfin, les enseignants ne sont que de passage... Ils ont des préjugés sur la banlieue. Ils imaginent les enfants idiots, sans vocabulaire, incapables de comprendre qu'il faut respecter des distances de sécurité pour ne pas tuer leurs parents ou grands-parents. 

Combien y a-t-il de Sonia, de Rick Jeil tués par la déresponsabilisation de l'éducation nationale ? 

Avec cette rentrée, je me rends compte que j'ai hérité des blessures de Sonia. J'ai envie de me battre pour que plus aucun enfant ne souffre à l'école primaire, où tout le monde n'est heureusement pas à mettre dans le même panier. Quelques rares enseignants restent aux Avelines. Grâce à la psychologue scolaire qui a proposé de faire un test WISC, on a pu mesurer que Sonia avait effectivement beaucoup de vocabulaire. Un saut de classe a été décidé avec l'appui du directeur qui a choisi quel enseignant elle aurait en CM2. Cette année-là, même si j'ai eu écho de quelques conflits, je ne pense pas qu'il y ait eu de harcèlement. 

  1. E. Piotelat, un étrange hommage, 07/2020
  2. Sonia Piotelat, Shrodeen, 03/2018
  3. Sonia Piotelat, Néa Femme intelligente, 03/2018
  4. E. Piotelat, Sonia dessine en classe. 07/2020
  5. E. Piotelat, Egoïsme maternel, 08/2020
  6. Code pénal article 222-33-2
  7. E. PIotelat, Religion eu CP, 06/2009

Commentaires

Emmanuelle a dit…
L'école, c'est plein de préjugés sur les filles en roses et les garçons aux cheveux courts et autres idioties... mes enfants sont tous les trois rentrés un jour ou l'autre avec ce genre de phrase à la bouche... pour les cheveux courts, c'était pas dur : "Et ta mère, alors, c'est un garçon ??"... pour les cheveux longs, y'avait le ludothécaire à cheveux longs et grande barbe... mais pour le rose, on s'est un peu gratté la tête car les rugbymen de Toulouse portent du rose ET certains ont les cheveux longs ET n'ont pas de barbe : rien ne prouve qu'ils ne sont pas des filles !!!

Je te passe le directeur de l'école qui dit que les filles sont soigneuses et pas les garçons et qu'un enfant qui ne lit pas, au mieux, on en fera... un informaticien !

Sinon, dans les blagues à deux balles de la rentrée, NumeroTer est rentré en disant qu'il avait bu au robinet, à l'école. Sic.
Elisabeth a dit…
Et est-ce qu'il y a aussi un énorme turn-over d'enseignants jeunes, sans expérience chez toi ?
Emmanuelle a dit…
Dans mon quartier, tu t'en doutes, à l'école, ce sont plutôt des profs expérimentés, qui arrivent là à force de cumul de points, de demandes répétées, voire... je ne sais pas quoi.
Quand il y a un départ en retraite, on a une petite valse-stagiaire d'un an ou deux, mais guère plus...
Il y a aussi des préjugés... différents.
Mais pour te mettre un peu de baume au coeur : je connais une jeune PE très investie de son rôle qui demande à toute force Longjumeau, côté REP... depuis plusieurs années...

Et pour te faire rire (jaune ?) : le nain est rentré le premier jour pour nous annoncer tout fier "j'ai bu au robinet 3 fois !!!" L'histoire ne dit pas s'ils se mettent en rang par deux, mais c'est le cas au collège, où les surveillants demandent aux élèves de se rapprocher les uns des autres lorsqu'ils respectent le marquage de distanciation qui est au sol.