Je ne vous remercierai jamais assez pour tous vos messages. J'ai commencé à répondre individuellement à chacun. Ils m'ont tous fait du bien. Je voulais également répondre à certains commentaires vus en dessus d'un avis de décès, et malheureusement, celui-ci semble avoir disparu. [1]
En essayant de retrouver cette page, j' ai cherché "Sonia Piotelat" sur Google et je suis tombée sur un hommage qui m'a mise très très mal à l'aise [2].
Pourquoi ?
J'ai été agréablement surprise que l'université rende hommage à Sonia. Je ne m'y attendais pas du tout. Je me suis dit que Sonia aurait détesté que l'on parle d'elle comme une enfant, mais aurait adoré certains passages. Il y a des mots assez étranges. Elle était en "sciences pour l'ingénieur" et avait très peu l'occasion de rédiger de la prose, à part peut-être en anglais. Les partiels en ligne sur ecampus étaient censés être des QCM ou des quizz, ce qui laisse peu de place à l'originalité. Ils étaient composés de 11 épreuves d'1h30.
En lisant l'hommage, un de mes amis a mentionné un accident de voiture. La porte de ma salle de bain défoncée par les pompiers dit autre chose.
Je me suis rendue compte que si j'avais trouvé la force de répondre en privé à ceux et celles qui m'ont interrogée sur les circonstances du drame, je ne l'avais jamais fait ici.
En quelques mots, Sonia a été retrouvée par les pompiers noyée dans la baignoire, nue, la tête côté robinet. Celui-ci avait été déplacé, ce qui a amené les pompiers à m'assurer qu'il s'agissait d'un accident domestique.
Je l'ai entendue aller dans la salle de bain vers 5h30. Comme il faisait très chaud, j'ai ouvert les fenêtres pour refroidir l'appartement. Je lui ai dit. Elle m'a répondu "OK". Je suis retournée me coucher vers 6h moins le quart. J'ai été réveillée par la chute d'un objet puis j'ai entendu "merde", des bruits d'eau, et plus rien. Depuis mon lit, j'ai demandé "Sonia, ça va ?" Ne recevant pas de réponse, je me suis précipitée vers la porte de la salle de bain. J'ai constaté qu'elle était fermée à clefs. J'ai essayé de l'ouvrir avec un tournevis, imaginant Sonia étendue au sol, comme ça lui était arrivé en juillet 2019 suite à un malaise.
J'ai appelé les secours à 6h exactement. Les pompiers m'ont passé le SAMU, qui m'a dit de continuer à lui parler à travers la porte.
Ensuite, le temps s'est arrêté. Les pompiers ont essayé en vain d'ouvrir la porte avec un tournevis. Les équipes sont arrivées, de plus en plus nombreuses. Je gardais espoir. J' ai même entendu quelqu'un dire "j'ai un pouls " puis, le médecin présent m'a fait comprendre que tout était fini.
Certains d'entre vous m'ont demandé s'il s'agissait d'un suicide. J'ai répondu que non, mais qu'il y aurait toujours une part d'ombre, de mystère. La porte était fermée à clefs, et en général, Sonia le faisait quand ses cheveux l'enervaient au point de vouloir détruire la terre entière. La fatigue et le stress renforcaient ce sentiment de mal-être. La veille, lors du repas du soir, elle se désespérait de l'organisation de l'université d'Évry. Pas moyen d'obtenir ses résultats alors que la seconde session commençait le lundi suivant.
Avait-elle travaillé toute la nuit ? Sur son bureau, il y avait des cours de "modélisation et simulation numérique". Elle avait eu des cours magistraux, qui s'étaient mal passé.
L'enseignant a dit aux étudiants qu'ils trouveraient les cours sur son site internet, dont il a copié l'adresse IP au tableau. Sonia étant dyslexique, elle a pris une photo. L'enseignant lui a demandé de l'effacer. Elle a recopié sur son cahier et m'a envoyé la photo de celui-ci afin que je vérifie si l'URL existait bien.
Les séances de travaux dirigés étaient dans une salle trop petite pour accueillir les 50 étudiants. Sonia n'a pas pu poser la moindre question à l'enseignant. Celui-ci n'a pas donné signe de vie pendant toute la période de confinement.
Vers son oreiller, il y avait un ipad avec des cours de structure de la matière.
L'épreuve était composée de 60 questions sous formes de QCM à rendre en 1h. L'horaire indiqué sur l'emploi du temps (1h30), n'avait pas été respecté.
Comment est-ce humainement possible de répondre à 60 questions de chimie en 1 minute chaque, auxquelles il faut enlever le temps de lire les consignes (par exemple faut-il une virgule ou un point dans les réponses numériques ?)
L' après-midi, le prof de génie mécanique leur a fourni le sujet en pdf via ecampus, leur a demandé de répondre sur papier libre et de scanner la réponse. On fait comment sans scanner ?
Sonia a évoqué le suicide le lendemain, le 28 mai, lors de l'épreuve de thermodynamique. Pendant le confinement, elle avait eu beaucoup de mal à déchiffrer l'écriture de la prof, qui leur avait fourni les corrections d'exercices sous forme manuscrite.
Le sujet était sous forme de fichier .docx à remplir avec des schémas et des formules mathématiques et à rendre au format pdf, le tout en 1h30.
L' épreuve commençait à 9h. Je travaillais dans la pièce à côté quand j'ai entendu crier vers 10h. Elle butait sur une question et se trouvait nulle. Pourquoi est-ce que je n'y arrive pas alors que j'ai travaillé ? Je n'ai rien à faire en fac, je n'ai pas le niveau. La crise d'angoisse était d'une telle intensité que je lui ai ordonné de se reposer 10 minutes, après avoir déposé ce qu'elle avait déjà rempli.
Quand elle est revenue, elle m'a dit que l'enseignante avait donné du temps supplémentaire. Elle a pu reprendre son fichier et déposer une copie complétée.
Cependant, l'épreuve suivante débutait à 11h15. Elle l'a commencée en retard et s'est trouvée déconnectée au bout d'une quinzaine de minutes. L'enseignant a reconnu une erreur technique et leur a envoyé un message vers midi pour les inviter à continuer. A cette heure là, nous déjeunions. Sonia m'a montré des cicatrices sur son bras. Elle avait trouvé un bout de verre dans sa chambre alors qu'elle était en larmes à cause de l'épreuve de thermodynamique.
C'était la première fois qu'elle se scarifiait. J'ai eu très peur. Je me suis dit que si l'université avait opté pour un "10 améliorable", ça ne serait jamais arrivé. J'ai alerté l'UNEF qui militait pour cela, puis la médecine universitaire, qui m'a de suite répondu. Ce soutien fut une aide inestimable. Merci aux étudiants de l'unef et au service médical d'avoir été là et d'avoir fait remonter l'information aux équipes pédagogiques.
Suite au décès de Sonia, l'UNEF Évry a publié un message le 28 juin sur son compte Twitter après m'avoir demandé mon aval. [3]
Celui de l'université date du lendemain. J'ai vu qu'il avait été diffusé le 7 juillet sur Twitter et Facebook. Qui l'a écrit ? Son côté "tout va très bien madame la marquise" ne correspond pas à la réalité. Sonia me disait souvent que seuls ceux qui avaient fait une année de classe préparatoire réussissaient.
Cet accident aurait-il eu lieu si Sonia n'avait pas été si fatiguée ? Si stressée ? Si angoissée ? Était-ce un accident ? N'aurait-elle pas trouvé l'énergie pour sortir la tête de l'eau sans toute cette pression ? Ne s'est-elle pas laissée partir ? Non, tout n'allait pas si bien madame la marquise...
Qu'elle passe en deuxième année ou qu'elle reste en première année, les perspectives de septembre étaient très sombres. L'université n'avait déjà pas les moyens d'accueillir tous les étudiants de sa promo en 2019—2020, avec des amphis trop petits et des salles de TD choisies en comptant sur un pourcentage d'absents. Des locaux et des enseignants vont-ils tomber du ciel cet été ?
Madame la marquise Vidal, je crois qu'il y a deux ou trois choses qu'il faut qu'étudiants et enseignants vous disent....
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