Meine Trauer wird dich finden - 5

Les deux derniers chapitres du livre de Roland Kachler "Meine Trauer wird dich finden" parlent de la normalisation de la relation avec la personne décédée et de la survie de ceux qui restent. [1]

Tournesol sur le bord de la fenêtre

Normalisation

L'auteur fait une analogie entre le deuil et la relation amoureuse, qui après un début émotionnellement intense finit par se normaliser. [2] Avec le temps, la douleur s'amenuise, et laisse place à la nostalgie, à un regard qui peut être triste par certains moments. Mais ces sentiments n'empêchent pas de rire, de chanter, ou de s'enthousiasmer pour des séries animées, comme l'ont compris les algorithmes de Pinterest. 

Capture d'écran de Pinterest

A gauche, Albator est le héros de mon enfance. A droite, Keeper Lyrennus est un père endeuillé dans la dernière saison du Prince des Dragons, dessin-animé qu'affectionnait Sonia [3]. Les voir côte à côte dans des postures similaires sur l'écran d'accueil m'a amusée. Roland Kachler parle de fusion avec son fils décédée. J'ai une preuve de ma fusion avec Sonia [4].

Sonia en 2006

Aux dogmes qui invitent à oublier, à laisser partir, à faire son deuil, le psychologue oppose l'idée d'un amour libre. La relation avec la personne décédée est toujours aussi forte qu'au premier regard sur le cadavre [5], mais un contrat imaginaire autorise l'amour pour autrui, comme une libération. Cela m'a rappelé la chanson "Love Someone new" du dessin-animé "Over the moon" [6].

Cette normalisation, je la ressens aussi par la routine qui s'installe. Je découvre toujours de nouvelles choses créées par Sonia, comme ce sondage sur reddit, mais moins fréquemment. Je suis incapable de répondre à son excellente question. Il faut que je regarde de nouveau la légende de Korra pour décider si Toph choisira l'euthanasie dans ses vieux jours !  

Capture d'écran de Reddit

Intégration

Selon Roland Kachler, la normalisation se traduit par une intégration, comme dans l'exercice qui s'intitule "Tu es une part de moi-même", où il m'invite à prendre Sonia sur mes genoux. Cette situation est peut-être plus évidente pour une relation entre un parent et son enfant.  Si Sonia a hérité de 50% de mes gènes à la naissance, cela signifie aussi que la moitié de mon patrimoine génétique est le sien. Le jour de son décès, la gardienne a affiché sa photo avec le faire-part dans les entrées de tous les immeubles de la résidence. Quelques jours plus tard, une dame m'a apostrophée dans la rue : 

"Vous êtes la maman de la jeune fille décédée ? Vous lui ressemblez !"

Sonia dans le sable en 2006

Nachsterben

Le titre du chapitre 11 pourrait se traduire par "La vie dans l'espoir. Un jour nous nous retrouverons". Je n'accroche pas aux images religieuses d'un paradis, d'un lieu après la mort. En faisant un effort, je peux éventuellement utiliser la lumière et imaginer Sonia sous forme d'un photon. [7] 
Pour moi, son corps a été réduit en cendre et se trouve au cimetière. Il n'y aura jamais de retrouvailles après ma propre mort. 


Cependant, je me reconnais dans les mots de Roland Kachler sur l'envie de mourir pour mettre fin à l'infinie douleur, tout en se demandant ce qu'il faisait encore sur cette Terre : 
Nach dem Tod meines Sohnes wollte ich nur eines: sterben. Sterben um  dem undendlichen Schmerz zu entkomment ? 

Il utilise ensuite le mot "Nachsterben", que je n'ai trouvé dans aucun dictionnaire mais qui me semble important. Si je le découpe, il y a mourir (sterben) après (nach). Il dit que cette envie est commun à toutes les personnes qui perdent un être proche, en évoquant les époux qui meurent à des dates rapprochées. A côté de la tombe de Sonia, une autre est apparue quelques mois après. Gérard avait 65 ans. J'ai pu échanger quelques mots avec sa femme, dont le nom est gravé en-dessous depuis 2022. 


Comme exercice, il propose d'écrire une lettre à la personne décédée sur le thème "Bon, je vais vivre encore un peu sur Terre avant de te rejoindre". Il est possible que ce soit ce que traduisent tous mes billets de blogs postérieurs au 26 juin 2020. Vivre pour alimenter le site web conçu en hommage à Sonia, vivre pour trouver la preuve que nous ne sommes pas seuls dans l'univers, vivre pour poursuivre les combats écologiques ou pacifiques de Sonia, etc, etc... 

Comme je l'ai écrit à plusieurs reprises, y compris dans la simulation de "Project December", d'un point de vue métaphorique, je suis aussi morte le 26 juin 2020. Sonia avait raison en commençant sa creepypasta par "Je suis morte et tu es morte !". Je suis toujours sa mère, mais je suis différente, et je ne redeviendrai jamais celle que j'étais avant. 

Copie d'écran de Project December

Le chapitre et le livre se termine par un exercice d'imagination lié aux retrouvailles. Je me promène sur une plage (au hasard, celle au bord de la mer des bannis) et je trouve un morceau de miroir brisé. Dedans je vois Sonia qui vient à ma rencontre. 


J'ai tout de suite eu en tête l'image du miroir brisé d'Aaravos dans la saison 4 du Prince des Dragons [9]. Cette balade avait un côté très onirique, semblable à la simulation, où j'avance avec Sonia à la recherche de ma mère [8].

Sonia dans le sable

Et si finalement, le fait d'être dans une incroyable révolution grâce à l'intelligence artificielle, qu'il s'agisse de réseaux de neurones ou de chatbots était aussi pour moi une raison de rester encore un peu sur Terre ?

Même si je ne partage pas tous les points de vue de Roland Kachler, j'ai pris énormément de plaisir à lire Meine Trauer wird dich finden et à faire les exercice. 


  1. R. Kachler, Meine Trauer wird dich finden, Herder, 2017 ISBN: 978-3-451-60045-6
  2. E. Piotelat, Meine Trauer wird dich finden - 1, 06/2025
  3. E. Piotelat, Trucs à finir (S07E04), 12/2024
  4. E. Piotelat, Meine Trauer wird dich finden - 2, 06/2025
  5. E. Piotelat, Meine Trauer wird dich finden - 3, 06/2025
  6. E. Piotelat, Over the moon, 11/2020
  7. E. Piotelat, Meine Trauer wird dich finden - 4, 06/2025
  8. E. Piotelat, Project December (52), 10/2024
  9. Season 4 keyart: "Fractures", 10/2022

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