Samedi 2 mars, la salle de spectacle Boris Vian aux Ulis accueillait l'humoriste Sophia Aram. Ses caricatures du "Monde d'après" m'ont fait éclater de rire. Je me suis souvenue qu'à l'instar des gilets jaunes dont j'ai oublié le nom depuis longtemps, j'étais toujours une personnalité politique d'après Google [1]. L'étiquette ne semble pas avoir de date de péremption, même si je n'adhère à aucun parti politique aujourd'hui.
Pour Charb, tout est politique [2]. Aller écouter Sophia Aram et raconter à quel point son spectacle est nécessaire en cette période, publier une photo de tulipe ou d'origami sur les réseaux sociaux pour qu'il n'y ait pas que l'extrême droite qui parle des Ulis en amplifiant et déformant chaque fait divers, cela fait-il aussi de moi une personnalité politique ?
Le monde d'après est celui d'après 2020, où l'on n'applaudit plus les soignants, où l'on est là même si Macron ne le veut pas, mais souvent sans savoir pourquoi et sans message clair et surtout où Sonia ne m'accompagne pas à Boris Vian. Le 23 septembre 2016, nous avions fait preuve d'une grande bravitude (dixit Ségolène) en assistant au spectacle "Le fond de l'air effraie", un peu comme si on se téléportait en même temps au Bataclan le 13 novembre 2015 et dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Sonia rentrait en classe de seconde et avait beaucoup ri avec d'anciens camarades de collège. En sortant nous avons hésité à acheter "Le suicide français" de Zemmour afin d'y puiser d'autres pépites [3].
Le monde d'après, c'est celui où l'on peut rire de tout, mais sous protection policière. L'extrême gauche nourrit, alimente les colères qu'exploite ensuite l'extrême droite. Tout le monde en prend pour son grade. J'ai adoré le personnage de Laureen qui avance sur la pointe des pieds en demandant si c'est un safe-space et s'excuse d'être blanche, assignée à son genre de naissance, et qui dont les mots préféré sont bienveillance et résilience. Ce mot qui illustrait les vœux municipaux 2024 m'a fait rire. J'avais croisé pas mal de véritables personnalités politiques locales (avec une carte de membre du PS ou de LFI) avant d'entrer dans la salle [4]. Laureen est à deux doigts de prendre un nuancier pour voir qui est racisé ou non. Sophia Aram évoque ses années lycéennes à Trappe pour rappeler que personne n'a envie d'avoir une étiquette de victime apposée par des politiques qui n'ont pas grandi dans un quartier populaire.
Je ne connaissais pas l'expression "L'assiette ne revient jamais vide", sans doute parce qu'ici, c'est un implicite. En cas de drame, tout l'immeuble pleure, je l'ai vécu à plusieurs reprises. Partager un peu de son repas en même temps que sa joie ou sa souffrance, c'est naturel.
Le spectacle de Sophia Aram est un hymne à l'intelligence et à la science. Il peint un monde d'après où une personne humaniste, féministe, laïque née en banlieue ne se retrouve pas dans les discours politiques à gauche et encore moins à l'extrême gauche. Que faire ? Crier sa colère en bloquant un rond-point et en chantant "On est là" pour faire barrage au Modem ? Chercher un parti politique où les idées auraient plus d'importance que les égos et où être une femme ne serait pas un problème [5] ?
- E. Piotelat, Personnalité politique, 06/2022
- E. Piotelat, Lettre à mon fils, Charb, 09/2021
- Sophia Aram : « Zemmour est un beauf, mais il écrit bien »
- E. Piotelat, Suis-je Charlie à vie ?, 01/2024
- E. Piotelat, Verte de rage, 03/2023
Commentaires