Lettre à mon fils, Charb

Ecouter Hollande ou Cazeneuve faire les pitres tout sourire en parlant des attentats du 13 novembre 2015 m'a rappelé que j'avais lu "Lettre à mon fils, Charb" de Denise Charbonnier [1], que je m'étais dit qu'il fallait que j'en parle pour plein de raisons... 


Quatorze mois après avoir perdu Sonia, je déteste toujours autant l'expression "Faire son deuil". Pour moi, la résilience, c'est juste sauter en permanence d'un monde où je réponds "ça va" à un autre où j'allume des bougies. Le procès des attentats de novembre 2015 a débuté depuis près de 10 heures, et déjà, je sens qu'il va me falloir beaucoup, beaucoup de bougies dans les prochains jours, les prochains mois, en lisant les témoignages de parents qui ont perdu leur enfant [2], en retrouvant des échos sur des parcours inachevées, des photos éternelles de fils, de filles qui ne vieilliront plus, en partageant les colères des survivants devant la répétition du nom de celui, de ceux qui ont voulu les tuer, érigé presque en héros, alors que les journalistes osent à peine prononcer le noms des 131 personnes décédées. La première chose qui m'a intéressée en ouvrant le livre de Denise Charbonnier est donc  de voir ce qu'elle faisait, elle, en tant que maman, du lourd héritage que laisse un enfant disparu. Elle parvient à faire, ce qui a été plutôt difficile pour moi [3]... lui écrire.  

L'exercice est difficile et j'ai trouvé qu'il avait été réussi magistralement. On n'a pas l'impression d'être dans une correspondance larmoyante ou d'être un paparazzi guettant les émotions d'une maman sur la tombe de son fils. Non. Denise Charbonnier est en colère, et en partageant ses coups de gueule au fil du procès, en sautant de 2015 à 2020, elle hérite de la pensée de son fils. Dans la postface, Richard Malka cite Nathalie Senyk, l'avocate des parents :

Pour Charb, tout était politique

Ces lettres sont souvent politiques, et souvent contre Hollande, Valls et Cazeneuve qui étaient au pouvoir à l'époque. Lors du procès des attentats de janvier 2015, ils ne figuraient pas parmi les accusés. Cela fait 14 mois que les "Et si..." me taraudent... Et si Macron n'avait pas sacrifié la jeunesse... [5] Et si Vidal avait demandé de véritables partiels en présentiel... [6] Et si... On avait écouté Greta et les jeunes d'extinction rébellion au lieu de s'en moquer... [7]. Et si.... Et si... Sonia serait-elle encore vie ? 

 Et là aussi, et si... Charlie avait été mieux protégé... 

La colère de Denise Charbonnier à l'encontre des dirigeants de l'époque débute dès la lettre du 7 janvier 2015, avec l'annonce du décès :

"En ce qui nous concerne silence radio, nous avons appris ta mort par les médias. [..] Didier joint le ministère, et, finalement, peut-être vers 17 heures, Manuel Valls, le premier ministre, me téléphone. Nous échangeons quelques mots. Il me confirme ton décès."

Elle termine la lettre par : 

"il y avait danger : ils savaient, ils pouvaient, mais ils n'ont rien fait  ! Et que l'on ne me parle plus de héros ! Tu n'es pas un héros, tu es une victime de ces fous furieux en premier lieu, et de la négligence de l'Etat". 

On a les noms des "ils" dans la lettre du 10 janvier 2020, où elle explique que la douleur est ravivée par certains propos comme "fallait-il publier les caricatures danoises ?" L'huile, le feu, tout ça tout ça... Mais qui en a fait des cibles ? Elle écrit : 

"Il faut voir aussi ceux qui étaient au sommet de l'Etat en 2015 se pavaner dans les médias. Valls, Cazeneuve Hollande... au fur et à mesure que les années passent, ils bombent le torse, s'autocongratulent"

C'est exactement ce qu'ils sont en train de faire en ce moment où débutent le procès des attentats de novembre 2015. De la même manière qu'un ministre de l'éducation est capable de dire que l'ouverture des classes avec son protocole sanitaire ne tuera que quelques enfants,  que les quelques étudiants qui se sont suicidé en même temps que Sonia l'ont fait pour des raisons "multi-causales" [8] d'après Vidal, quel niveau de cynisme faut-il avoir pour ne pas se sentir responsable de la mort de quelques dessinateurs en janvier 2015 ou de quelques fêtards en novembre 2015 ? 

Alors oui, ce ne sont que les "Et si Valls, Cazeneuve, Hollande, Macron, Vidal, Blanquer..." ne pèsent pas lourd dans un procès face à ma culpabilité maternelle ou celle des terroristes. Ce ne sont pas eux qui n'ont pas enlevé le verrou de la porte de la salle de bain ou qui ont tenu une arme. 

Dans la lettre du 31 mars 2020, Denise Charbonnier accuse les services de renseignement : 

"En mars 2013, ta tête a été mise à prix par Al-Qaida, ça s'appelle une fatwa. Et ils ont quand même retiré la voiture de protection ! [..] Je me souviens que c'est quand même toi qui as dû aller à l'Elysée leur signaler que ta tête était mise à prix."

puis plus loin, après que l'ami de Frédéric Boisseau ait composé le 17 lors des attentats :

"Personne, tu m'entends personne à la police ou à la préfecture n'a tilté sur le fait que l'adresse indiquée était la vôtre. Ils ne savaient pas, ça n'avait pas été communiqué !"

 Dans la lettre du 4 avril 2020, elle s'interroge sur le fait de porter plainte contre l'état. Selon un avocat, ça n'aurait pas abouti mais ça aurait permis de communiquer sur les erreurs des politiques. 

Ingrid Brinsolaro m'a expliqué que son mari Francl était très inquiet. Il estimait qu'il n'était pas assez équipé et que vous étiez en danger. Elle a porté plainte. Résultat, elle a été écartée de nombreuses cérémonies. Tu vois un peu le niveau ! 

Dans la lettre du 25 janvier 2015, Denise Charbonnier raconte la cérémonie de remise de la légion d'honneur a titre posthume. Il y a les blabla des politiques puis les familles ont la parole Elle demande s'adresse donc à François Hollande en ces termes : 

- Monsieur le président, comment les assassins ont-ils pu pénétrer aussi facilement dans les locaux de Charlie. 

Et la réponse : 

- Je vous comprends, mais heu.. Vous savez heu, même s'il y avait eu une voiture de police devant Charlie, ça n'aurait pas changé grand chose tellement ils étaient déterminés.

Ces lettres ne sont pas que politiques. Elles nous permettent de découvrir Stéphane Charbonnier sous les traits de "Chachane" comme elle le surnomme depuis qu'il est tout petit. Il y a beaucoup d'humour, même si l'on ne sait pas si c'est la mère qui a hérité de celui de son fils ou l'inverse.  Bien sûr, ces lettres s'adressent bien plus au lecteur, et à travers lui au monde entier qu'à Charb. Elles sont toutes magnifiques... 

Merci Denise pour ce partage...  


  1. D. Charbonier, Lettre à mon fils Charb, JC Lattès, 04/2021
  2. D. Gotchaux, Le 13-Novembre de la mère d'une victime du Bataclan : "On rejoint un autre rivage, avec ceux qui ont vécu le même drame" France Info
  3. E. Piotelat, A Sonia, 06/2020
  4. E. Piotelat, Carte postale Ulissienne, 07/2021
  5. E. Piotelat, Monsieur le président, 01/2021
  6. E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020
  7. E. Piotelat, Suicide climatique, 08/2020
  8. E. Piotelat, Cher étudiant fantôme, 01/2021

 

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