Monsieur le président,

Je vous fais une lettre, 

Que vous lirez peut-être,

Si vous avez le temps... 

Enfin non, ça ne sert à rien. Aujourd'hui, j'ai essayé de vous apercevoir, ou alors Madame Vidal, pour vous parler de cette photo. 


Elle a été prise le 25 mars 2020. Sonia, 17 ans, est allée faire les courses au centre commercial Ulis 2. Ni elle, ni moi n'étions sorties de l'appartement depuis le 17 mars et l'annonce du confinement. Sonia porte un masque FFP2 que j'avais acheté début janvier, quand vous estimiez que ça ne servait à rien et n'avez pas su gérer les stocks. 

J'avais appris grâce aux cars d'Orsay, qu'il y avait des "Travaux sur la voirie" [1]. J'en ai donc déduit que les rumeurs d'une rencontre avec certains étudiants sélectionnés de l'université Paris Saclay étaient vraies [2]. A 11h30, j'ai quitté mon télétravail, pour essayer de vous rencontrer sur mon lieu de travail. Je me suis arrêtée au cimetière, rendre hommage à Sonia. 


J'ai assez vite compris, que je n'aurais aucune chance de vous apercevoir. Les "travaux sur la voirie" justifiaient un important barrage policier. 


Bienvenue à l'université Paris-Saclay ! 


J'ai demandé si je pouvais passer à un agent des forces de l'ordre. Il m'a répondu que je pouvais uniquement aller à droite. A droite, c'est la route vers l'hôpital où sont soignés les étudiants ayant survécu à une tentative de suicide. 


Deux jeunes étudiantes m'ont dit qu'il y avait des manifestants à gauche. Je suis donc remontée en direction du cimetière de Bures, j'ai pris à gauche devant l'église, puis direction le collège de la Guyonnerie, où à étudié Sonia. A l'épreuve d'histoire des arts du brevet, elle a présenté "Le déserteur" de Boris Vian. Parmi toutes les versions qui se trouvent sur internet, elle a choisi le texte lu par JL. Trintignant, afin d'aborder la question de la censure. 


Or la censure, c'est la réponse de votre ministre, madame Vidal, à chaque fois qu'une députée lui parle de la mort des étudiants. J'avais déjà évoqué la question madame Lebon [3]. La ministre a eu le toupet d'évoquer le respect du deuil des familles quand  Mme Wonner lui demande  [4]: 
"Combien de suicides ou de tentatives de suicides chez les étudiants faudra-t-il encore attendre pour que vous preniez enfin des mesures cohérentes ?"


Respecter le deuil des familles, ce n'est pas taire le décès et les 1000 choses qui ont abouti à la disparition de Sonia, mais aussi de Sinega Santhirarajah [5] et de tant d'autres. Une cagnotte a été mise en place pour aider la famille de Sinega [6]. Allez-vous participer ? J'ai été très touchée par l'invitation de l'UNEF à raconter l'histoire de Sonia lors de la manifestation hier. Je n'ai pas pu y aller, mais j'ai été très émue par la minute de silence devant le panthéon. 

Alors aujourd'hui, ça me semblait l'occasion idéale pour vous raconter l'histoire de Sonia [7], vous parler de la tension lors des partiels en ligne, qui l'avaient amenée à ce scarifier le 28 mai. Elle était en première année de licence de sciences pour l'ingénieur à l'université d'Evry, qui fait partie de l'université Paris-Saclay.



Alors oui, on ne peut peut-être pas appeler ça une tentative de suicide. 
Alors oui, c'est sa faute si elle n'est pas allée voir un ou une psychologue de l'université de Paris-Saclay, comme vous l'avez indiqué à un étudiant qui vous parlait de cette difficulté [2]. C'est toujours la faute des victimes.  Et c'est peut-être aussi parce qu'elle n'a pas adhéré au vocabulaire guerrier que vous aimez utiliser ? 
Enfin, bref, pendant que vous blablatiez, j'ai essayé de m'approcher... J'ai été bloquée à 550 mètres de vous. 

Ma fille a tant souffert. 
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers

Je ne veux plus voir mourir d'autres étudiants. Le but du confinement est de limiter le nombre de morts pas de tuer ceux qui ont 20 ans ! J'ai reconnu quelques collègues qui m'ont énormément soutenue suite au décès de Sonia entourés de CRS. Est-ce que je voulais les rejoindre ? Il était plus de midi, je n'avais pas mangé, mais oui, à défaut de vous parler à vous, ou à Mme Vidal, il fallait que je leur parle... 


On a parlé de la venue de Sarkozy sur l'université d'Orsay. Il y avait un ou deux policiers à chaque entrée du bois, mais ce n'était pas si loin. Il a pu entendre les manifestants et la manifestation avait pu être déclarée car nous avions été prévenus de sa venue pour remettre le prix-Nobel à Albert Fert [8]. 
 
J'ai pu remercier (enfin je crois) les étudiants présents pour la manifestation d'hier et en apprendre plus sur leurs problèmes qu'en écoutant pendant une heure vos échanges très formatés et contraints [2]. 
A défaut de dire à Mme Vidal qu'elle insultait la mémoire de Sonia chaque fois qu'elle dénigrait les étudiants, je leur ai parlé de cette photo. 


Les étudiants ne respecteraient pas les gestes barrières contrairement aux lycéens [3] ? Le problème,  ce serait le bonbon sur la table ? Le 25 mars, la seule chose que Sonia n'a pas respecté dans la liste de courses, c'est la viande, car les rayons étaient vides. Elle a ramené du jambon, la seule chose qui restait. Au retour, on a discuté de propagation de virus, on s'est demandé s'il était plus prudent d'utiliser des caisses automatiques que tout le monde touche ou de s'adresser à une caissière. Elle était parfaitement consciente des risques sanitaires, sans doute plus que moi. Autour de cette date, elle a diffusé les messages d'une infirmière et d'un chercheur. 



Je sais aussi qu'elle s'inquiétait pour un SDF près de la fac d'Evry. Elle m'a avoué que quand je lui donnais trop à manger pour midi, elle lui refilait le surplus, voire la totalité. Elle me l'a dit avec un ton sarcastique : 
Tu ne t'es pas étonnée que je finisse toute la salade de riz quand tu remplis le thermo ? 
En discutant avec un policier, on a découvert qu'il ne fallait pas que les journalistes nous voient. C'est ça la démocratie ? Un président qui se déplace. Un choix d'interlocuteurs. Des journalistes qui filment et écoutent ce président et ses interlocuteurs, dans une bulle où ils ne risquent pas d'apercevoir le moindre drapeau. 

A l'instant, j'apprends que des étudiants ont été bloqués à un autre endroit du campus, et ont essuyé des commentaires inadmissibles de la part d'un policier. 

Pendant que nous étions dans la nasse, un communiqué intersyndical a été rédigé : 

Aujourd'hui, E. Macron et F. Vidal étaient à l'université pour l'inauguration du plan quantique. Les quelques personnels et étudiant.e.s venu.e.s s'exprimer contre la LPR et la fermeture des universités ont été retenu.e.s sans motif à plusieurs centaines de mètres du rond-point de Bures pendant plus de 2h.


Aujourd'hui, le dialogue pour l'université c'est :

  • Ne pas prévenir les personnels et les étudiant.e.s de cet évènement alors qu'il est publié sur tous les médias.
  • Prendre prétexte de travaux pour justifier le bouclage des bâtiments d'enseignement et la fermeture des routes.
  • Encercler et retenir dans un coin reculé au bord de l'Yvette avant même l'entrée du campus pendant plus de 2h les personnels et étudiant.e.s venu.e.s crier quelques vérités et afficher quelques banderoles.

La souffrance des étudiant.e.s est réelle et grandissante.

Cacher son expression derrière des rangées de gendarmes mobiles ne va pas résoudre les problèmes de fond.


CGT, FSU, SUD éducation, SUD Recherche


Monsieur le président, je vous ai fait une lettre que vous lirez peut-être... Je ne suis pas sur Terre pour tuer des pauvres gens. 


Je ne veux pas entendre parler de génération sacrifiée. Ils ont des aspirations, comme la jeune fille qui vous a parlé de crise climatique et à qui la seule réponse a été d'évoquer Jean Jouzel en renvoyant les actions aux calendes grecques. Sonia est décédée dans son bain à 6 heures du matin pendant une vague de chaleur. C'est si compliqué de donner du sens à leurs études en répondant à leurs aspirations pour la planète ?  

Sonia, le 5 juin 2020

Monsieur le président, Madame la ministre, s'il vous plaît, respectez la mémoire des étudiants décédés. Pendant que vous évitez le sujet, que vous refusez de les regarder en face, leurs camarades font une minute de silence au Panthéon. Ecoutez Heidi Soupault [9] et ceux qui vous écrivent. Ne leur répondez pas avec fatalisme et en les envoyant à la guerre. Ce ne sont pas des soldats. Ils ne peuvent pas déserter, si ce n'est en mettant fin à leurs études, si ce n'est à leurs jours. Tourner autour du pot n'a jamais changé sa profondeur. Ignorer, cacher le décès d'un enfant n'a jamais aidé une maman en deuil. 


Sonia, Sinega, Laura, on n'oublie pas, on pense à toi !   

  1. Affiche cars d'Orsay
  2. Rencontre avec les étudiants
  3. E. Piotelat, Cher étudiant fantôme, 01/2021
  4. Question de Martine Wonner
  5. M.A. Marchal, Suicide d'une étudiante en médecine de la Sorbonne à Paris : "Le Covid-19 l'a isolée", actu.fr 
  6. Cagnotte Sinega
  7. E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020 
  8. Succès de la manifestation anti-Sarkozy à Orsay, Orsay en Lutte, 01/2008
  9. "Plus on attend, plus c'est dur" : le désarroi de l'étudiante qui a interpellé Macron

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