Une saison au ...

En ce jour de solstice d'hiver, j'ai failli intituler ce billet "une saison au zoo"... 


Mais ce ne serait pas approprié. Si je joue avec une libellule [1], une abeille [2], un rouge-gorge ou une corneille [3], toute cette faune est en liberté. Et puis, le zoo n'inclurait pas la flore. Une saison au cimetière alors ? Sonia a été inhumée le 30 juillet. Sa tombe a traversé une partie de l'été [4], et maintenant la totalité de l'automne [5]. 

Les sanglots longs des violons de l'automne de Verlaine [6] ont laissé place à l'honneur de souffrir d'Anna de Noailles [7].

CIV

J'ai vu soudain étrange, ingrate et sans mémoire
Ta chambre, où reposait ton être ténébreux. 
Les objets familiers qui paraissaient peureux. 
Semblent se détourner de ta finale histoire. 

[..]

Je sais que le tombeau n'est plus rien.
Je le sais.
Et cependant je meurs, pendant les nuits de neige.
De ce froid souterrain et rampant qui t'assiège.
Et qui détruit sans fin le cœur que j'embrasais. 


Carl Sagan est décédé d'une pneumonie le 20 décembre 1996 à l'âge de 62 ans. En 2003, sa femme, Ann Druyan a dit [8] : 

"Quand mon mari est décédé, comme il était connu et célèbre pour ne pas être croyant, beaucoup sont venus vers moi -et ça arrive encore de temps en temps- pour me demander si Carl avait changé à la fin et croyait à la vie après la mort. On me demande aussi fréquemment si je pense que je vais le revoir. Carl a affronté la mort avec un courage inlassable et n'a jamais cherché refuge dans des illusions. [..]  
Nous n'avons jamais banalisé la signification de la mort en prétendant que ça pouvait être autre chose qu'une séparation finale.  [..]  
La manière dont il m'a traitée et la façon dont je l'ai traité, la manière de prendre soin de notre famille quand il vivait. Ceci est plus important que l'idée que je pourrais le revoir un jour. Je ne pense pas revoir Carl, lais je l'ai vu. Nous nous sommes vus. Nous nous sommes trouvés dans le cosmos et c'était merveilleux."

J'ai vu passer cette citation sur Facebook. Je suis certaine qu'elle est sous mes yeux chaque 20 décembre depuis plus de 10 ans, sur un réseau social ou sur une liste de discussion. Cependant, je suis sure que c'est la première fois que je la lis jusqu'au bout, et que j'y vois comme un écho. 


Si certains se rendent sur la tombe d'un proche pour prier, pour parler à l'être disparu, ce n'a jamais été mon cas. La sépulture de Sonia a toujours été une balise. J'ai pu lui adresser des "et si", des "pourquoi", des "qu'aurais-tu fait ?" ou "penses-tu que je doive..." mais c'est à moi que je parlais. C'était un miroir où poser mes réflexions. Par exemple, je suis certaine que Sonia aurait approuvé le fait de déposer quelques graines de tournesol dans le but de nourrir les oiseaux. 


Est-ce plus facile de perdre un proche quand on a une croyance religieuse ? Je n'ai pas répondu à certains d'entre vous qui ont prié pour Sonia à l'église, au temple ou à la mosquée, qui m'ont dit, m'ont écrit que Dieu avait pris son propre fils ou qu'Allah en avait décidé ainsi. C'était écrit. Le fait que des amies prient pour Sonia, quelque soit le lieu m'a beaucoup touché, même si je n'ai pas de religion. Je n'ai pas répondu parce que je ne savais pas quoi répondre, ne connaissant pas assez la Bible, la Thora, Confucius ou le Coran et que cela ne m'aidait pas vraiment à accepter le départ de Sonia ou à stopper le flux des incessantes questions. Pourquoi ? Et si... ? En (re)découvrant les mots d'Ann Druyan, je me demande même si je n'aurais une tendance suicidaire si j'avais l'espoir de retrouver Sonia dans un paradis ou un pays imaginaire quelconque.

Sonia à St Séverin en juillet 2010

Une collègue m'a renvoyé vers une chanson qui disait "Merci d'avoir vécu." et ça, ça m'a aidé. Replonger dans les jours heureux, fouiller dans ses dessins, écouter sa voix, regarder ses vidéos, plonger dans son univers en s’immisçant discrètement auprès des fans de "The dragon prince", d'Avatar ou de La légende de Korra, m'a fourni une raison de vivre, bien plus forte que si j'avais cru à un paradis ou à la possibilité de la rejoindre, de la revoir un jour. 

Carl Sagan recherchait la vie dans l'univers. Je me rends compte que je recherche aussi la vie au cimetière, quelque fois indirectement, quand je vois que les graines ont été mangées. Mais voir un rouge-gorge sautiller autour de la tombe de Sonia est un vrai bonheur. Je pourrais rester des heures à attendre un tel moment. 

Quelques graines ont germé, sans doute grâce à l'humidité du lieu. Ça m'a amusé... Je les ai déposées dans le pot qui a contenu des chrysanthèmes. 


Marcher me fait du bien, et la tombe me donne un but, m'évite de tourner en rond autour d'un étang ou d'un stade. Allumer une bougie comme si j'étais sous l'Arc de Triomphe même pendant 10 minutes me réchauffe le cœur. Photographier la flore, la faune, c'est aussi garder une trace du temps qui passe, ça m'aide à accepter que rien ne sera comme avant, mais que la vie trouve toujours un chemin, même après la mort... Nul besoin d'être croyant ou mystique pour observer cela pendant une saison au cimetière ou ailleurs dans le cosmos. 

J'ai recherché des images de la tombe de Carl Sagan et je suis tombée sur cette vidéo. Le cimetière de Lakeview à Ithaca est aussi un lieu avec des sapins et de la vie.

Je n'ai pas encore croisé de chevreuil au cimetière de Bures sur Yvette, seulement des écureuils et la silhouette d'un cerf.



  1. E. Piotelat, 2 mois, 08/2020.
  2. E. Piotelat, Entropie, 09/2020
  3. E. Piotelat, Noël un et demi, 12/2020
  4. http://elisabeth.sonia.free.fr/balcon/ete.html
  5. http://elisabeth.sonia.free.fr/balcon/automne.html
  6. E. Piotelat, 4 mois, 10/2020
  7. E. Piotelat, L'honneur de souffrir, 11/2020
  8. R. Poaletta, THIS TRIBUTE ANN DRUYAN WROTE FOR HER HUSBAND CARL SAGAN WILL MAKE YOU SOB, 09/2017

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