Dans les nuages de Vénus

Et s'il y avait une bactérie dans les nuages de Vénus qui produisait une molécule appelée la phosphine ? Cette idée étrange est inspirée d'un article qui vient d'être publié par Nature [1]. Les auteurs ne disent pas qu'ils ont trouvé de la vie, mais que si cette molécule n'est pas produite par quelque chose de biologique, alors elle est issue d'une nouvelle chimie. Dans les deux cas, c'est extraordinaire. 

Sur Terre, la couche nuageuse n'est pas là en permanence. On voit de temps en temps le soleil et des coins de ciel bleu. Un "truc" qui vivrait uniquement dans les nuages n'y resterait pas longtemps.  


Sur Vénus, la couche nuageuse est continue. Un "truc" pourrait donc y passer sa vie. Cependant, ces nuages sont constitués d'acide sulfurique, ce qui n'est pas idéal. L'une des spécialistes  de la phosphine, Clara Sousa Silva, fait partie des auteurs de l'article. En novembre 2019, elle a écrit [3] :
"La phosphine est une molécule fascinante et affreuse. Elle tue en imaginant plein de moyens différents, tous liés à son interférence avec le métabolisme de l'oxygène". 


La grande question est donc de savoir si la phosphine peut être ce que l'on appelle une signature biologique, ou une bio-signature. Sur ce point, j'ai trouvé une grande différence entre l'enthousiasme de la conférence de presse et les propos de l'article [1].



Dans l'introduction de l'article, il est précisé :  
"Un gaz qui serait une véritable bio-signature serait sans ambiguïté [..] PH3 vérifie la plupart des propriétés d'un gaz bio-signature mais présente des défis". 
Dans la dernière partie de l'article, invitant à la discussion, on lit : 
"Même si elle est confirmée, la détection de PH3 n'est pas une preuve solide de la vie."

Un des auteurs de l'article, William Bains, a imaginé d'autres moyens de créer de la phosphine sur Vénus : des éclairs, des volcans, des  météorites, d'autres réactions chimiques, mais il n'arrive pas à obtenir autant de PH3 que ce qui a été observé en 2017 à Hawaï (JCMT) et confirmé en 2019 au Chili (ALMA) [3]. Sur Terre, la phosphine peut être produite par des bactéries, comme par exemple dans l'intestin de certains animaux ou par des usines. Or ni l'un ni l'autre n'existe sur Vénus.  


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J'ai joué un peu avec l'échelle de Rio. En remplaçant la bio-signature que pourrait être la phosphine par une techno-signature, c'est-à-dire un "truc" comme on en fait depuis les début de l'anthropocène, une grue en papier géante que l'on pourrait détecter mais avec lequel on ne peut pas vraiment communiquer. On obtient  que si le signal venait d'une intelligence extraterrestre ce serait "Scientifiquement révolutionnaire, mais sans conséquences sur la vie quotidienne. Les perspectives de compréhension des ETIs sont pour dans des dizaines d'années." (Q=5)

Dans le détail : 
(A = 9): Probabilité que le phénomène soit réel modéré (la phosphine n'est pas forcément une bio-signature)
(B = 10): Probabilité que le phénomène ne soit pas de nature psychologique ou lié aux instruments très haute
(C = 7): Probabilité que le phénomène ne soit pas naturel / anthropique très faible 

En conclusion, Intérêt probable pour SETI et pour les journaux grand-public spécialisés (J=6, .δ = 0.01)


Pour la recherche d'intelligence extraterrestre, cette découverte présentait un autre aspect amusant : A quel point les astronomes sont-ils capables de garder un secret ? Les protocoles SETI précisent qu'avant d'annoncer au grand public que l'on a été en contact avec une civilisation extraterrestre, il faut que l'information soit communiquée à d'autres observatoires afin qu'ils puissent éventuellement la vérifier. 

Le journal Nature a mis un embargo sur l'article jusqu'à aujourd'hui 17 heures. Depuis le début du mois, il y avait des rumeurs. 
Ce matin, en cherchant "Phosphine" sur Google, on obtenait comme suggestion "Venus", alors qu'il y en a sur Jupiter ou Saturne qui sont des planètes gazeuses où la thermodynamique explique très bien sa présence. 


Les premiers résultats indiquent un article publié la veille sur un site d'astrobiologie et des discussions datant du 12 septembre sur reddit. 


L'une des plus anciennes discussion a été supprimée et les commentaires désactivés, de quoi donner un sérieux indice sur l'embargo... 


Sur son site, Nature explique le fonctionnement de l'embargo. Les journalistes ont accès à l'article une semaine avant, ils peuvent poser des questions aux auteurs, mais ne doivent rien dévoiler sous peine d'être rayés de la liste des contacts de Nature. 

Cette vidéo avait 12000 vues à 9 heures du matin, et 26000 en début d'après-midi : 


Autant dire que garder un secret aujourd'hui est très difficile. Cela ne facilite pas non plus le tri entre les informations sérieuses et le reste. Il n'en reste pas moins que la détection de phosphine dans les nuages d'acide sulfurique sur Venus a de quoi nous faire rêver, loin de l'ambiance apocalyptique de 2020, même si c'est pendant un jour ou deux, le temps que tout le monde se concentre sur la dernière catastrophe.

  1. Greaves, J.S., Richards, A.M.S., Bains, W. et al. Phosphine gas in the cloud decks of Venus. Nat Astron (2020). https://doi.org/10.1038/s41550-020-1174-4
  2. Sousa Silva C, When We Finally Find Aliens, They Might Smell Terrible, Scientific American
  3. Amos, J, "Is there life floating in the clouds of Venus?", BBC
  4. Piotelat E, L'échelle de Rio, 07/2018
  5. Nature press and ambargo policies.



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