Comme le mois dernier [1], je vais rebondir sur mes propos d'il y a un an. La Terre se trouve dans la même position que lorsque j'écrivais ceci [2] :
L'auteur de Peter Pan, J.M. Barrie avait aussi connu un drame qui a inspiré son oeuvre. Son frère aîné, David, est décédé quand il avait 6 ans [3]. La première apparition de Peter Pan date de 1902, dans un recueil de nouvelles "The little White Bird" [4] C'est un bébé de 7 jours, qui est passé par la fenêtre, s'est envolé comme un oiseau, avant de perdre cette faculté, et de rester ainsi ni humain, ni oiseau sur une île du lac Serpentine, rêvant de rejoindre les jardins de Kensington.
Je m'aperçois que je n'ai pas encore parlé de ces nouvelles, alors qu'elles m'ont beaucoup marquée. Hier, je suis allée à la fête des plantes de Saint-Jean-de-Beauregard... C'était un peu les jardins de Kensington locaux, en miniature... Cela a ramené des souvenirs de balade avec Sonia qui aimait bien ce jardin étant petite.
Sonia en septembre 2009 |
Qui est le petit oiseau blanc ? C'est toute la question... David, le frère disparu ? David, le personnage fictif ? Thimothy le fils que s'invente le narrateur pour justifier l'achat de jouets pour son chien Porthos ou des dons à David ? Cette ambiguïté permet de tolérer aujourd'hui certains passages relevant clairement de la pédophilie, dans la relation entre le narrateur et l'enfant. Elle rejoint aussi l'idée de passerelles entre le monde des ténèbres et le monde réel, que traversent sans cesse les personnes endeuillées.
En passant devant les étals de bruyère, de cyclamens, je me suis dit que l'on trouvait les mêmes plantes d'automne que dans un cimetière. Il ne manquait que les sépultures. Les visiteurs ne me semblaient pas si différents non plus, souvent d'un certain âge, seuls ou en couple. Je n'ai pratiquement pas vu d'enfants, contrairement à 2009, où Sonia avait même trouvé un "arbre à enfants" :
Etait-ce à cause du pass sanitaire à l'entrée ? C'est la première fois que l'on me demande le mien...
J.M. Barrie explique que Peter Pan a exactement sept jours, âge auquel il est passé par la fenêtre, car tous les bébés aspirent à devenir des oiseaux... En général, les jeunes enfants s'en souviennent... En regardant les photos de Sonia dans le parc du château de Saint-Jean-de-Beauregard, il semble évident qu'à 7 ans, elle avait envie de prendre son envol.
Contrairement aux jardins de Kensington, on peut voir des fées de jour à Saint-Jean-de-Beauregard, un peu comme au cimetière paysager de Bures-sur-Yvette [5]...
J.M. Barrie explique que le jour, les fées se déguisent, par exemple en mettant une robe de jacinthe. Comme j'avais pris beaucoup de plaisir l'hiver dernier à regarder les bulbes de jacinthe pousser dans l'eau [6], je me suis arrêtée vers les pépiniéristes qui en proposaient. Une cliente a demandé s'il y avait des tulipes tardives. La vendeuse lui a répondu :
Normalement, c'est celles-là, mais on ne met plus de dates sur les étiquettes. Avec le climat, on ne sait plus.
Comment un enfant, mon attention s'est arrêtée sur un tubercule un peu monstrueux avec une photo et et nom rappelant Dracula "Dracunculus vulgaris" :
La vendeuse a eu un petit sourire quand je suis passée à la caisse. En cherchant "Dracunculus vulgaris", j'ai compris que j'allais devoir arroser un petit dragon qui a pour autre nom "arum puant", car il fleurit pendant seulement trois jours, mais attire les insectes grâce à une forte odeur qu'il capture et relâche pour que la pollinisation puisse avoir lieu.
Ce voyage permanent entre le passé emprunt de mélancolie, le présent heureux ou douloureux, et l'imaginaire s'exprime magnifiquement dans "The Little White Bird". Après avoir beaucoup hésité, Peter Pan revient voir sa maman. La fenêtre est ouverte. Elle dort. Elle murmure "Peter", sourit, mais ne se réveille pas. Il s'envole vers les jardins. Quand il revient la seconde fois, la fenêtre est fermée, il y a des barreaux pour éviter que le nouveau né ne s'envole. Honteux, Peter Pan décide de retourner définitivement dans les jardins de Kensington. Il racontera cette déception du monde des adultes à Maimie, une fillette qui a failli mourir de froid en se retrouvant prisonnière du parc faute d'avoir pu sortir avant la fermeture et qui s'inquiète pour sa mère : "ce sont toutes les mêmes, elle recherche déjà un second enfant".
Il m'est souvent arrivé que l'on me pose la question "et c'est votre seul enfant ?", un peu comme si avoir deux enfants diminuerait le chagrin, la perte, en quelque sorte la valeur de l'enfant...
Quand Maimie rentre chez elle, la porte est ouverte, sa mère ne l'a pas oubliée. Elle reviendra plus tard offrir une chèvre à Peter Pan (enfin, un jouet que les fées transformeront en animal pouvant apporter chaleur et nourriture). En 15 mois, je me suis souvenue de Jeanne, de Christiane et j'ai reçu des témoignages de gens ayant grandi avec des parents qui ont perdu un enfant. Je suis convaincue que ce n'est pas "plus facile" quand il y a d'autres enfants qui ne se transforment pas en petit oiseau blanc. Ils grandissent avec un frère, une sœur, sans conflit possible. L'amour maternel ne fait qu'amplifier avec les mois qui passent. Les photos sont des fenêtres ouvertes, qui réveillent d'agréables souvenirs, me font sourire, rire.
Lorsque je regarde les photos d'autres enfants ayant rejoint le pays imaginaire, je ressens souvent le même amour maternel qui s'exprime avec force, peu importe que Jordan, Marion, Séraphina, Holden, ou Keven aient des frères et sœurs. Les algorithmes des réseaux sociaux font aussi que les photos qui s'affichent sur mon fil, sont celles de petits oiseaux blancs. J'ai l'impression qu'ils sont bien plus présents que les enfants des amis, des voisins.
J'ai eu l'impression que Saint-Jean-de-Beauregard n'avait pas changé. Pourquoi aurait-ce été le cas ?
- E. Piotelat, 14 mois, 08/2021
- E. Piotelat, L'automne à Neverland, 09/2020
- D. Queffelec, La sombre histoire de Peter Pan, France Culture, 01/2020
- J.M Barrie, The Little White Bird, Peter Pan.
- E. Piotelat, La fée de Sonia, 03/2021
- E. Piotelat, Tulipe Post apocalyptique, 12/2020
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