L'ouvrage d'art Seeing the body de Rachel Eliza Griffiths est composé de trois sections : une collection de poèmes "Mère : Miroir : Dieu", des auto-portraits en noir et blanc réalisés avant et après le décès de sa mère le 28 juillet 2014, une collection de poèmes intitulée "Fille : Texte : Paysage".
Le recueil a été publié trois jours avant le décès de Sonia. Je l'ai lu un peu comme je l'avais fait il y a exactement trois ans, avec les textes des participants et participants à l'atelier d'écriture sur le deuil, en soulignant les mots, les passages qui me parlaient, qui suscitaient une réaction du style "Ah oui, moi aussi" [1].
From tree to tree, around her grave
I have walked, & turned back
if only to remind myself
that there are some kinds of
peace which will not be
moved. How awful to have such
wonder. The final way wonder itself
opened beneath my mother's face
at the last moment. As if she wasa small girl kneeling in a puddle
& looking at her face for the first time,
her fingers gripping the loud,
wet rim of the universe.
J'aime beaucoup la métaphore du miroir et de la flaque. Peut-on vraiment y voir son miroir ? Il y a quelque chose d'enfantin. On ne risque pas de se blesser avec du verre, ou de se noyer. Les mots réveillent aussi d'agréables souvenirs. Quand elle tenait à peine debout et prononçait ses premiers mots, Sonia regardait des cassettes de télétubbies. De temps en temps, pour changer, je les mettais en anglais. Elle devait avoir près de 2 ans quand à Lyon, je l'ai vue sauter dans une flaque en répétant "Puddle. Puddle". Jusque-là, je n'avais pas eu l'impression qu'elle mémorisait l'anglais, alors qu'elle connaissait le texte français par cœur.
Je me suis reconnue dans les descriptions des arbres autour de la tombe, des oiseaux dont les visites ont quelque chose de magique. Y'a-t-il toujours un magnolia en fleur quelque part sur la planète ? [2]. Rachel Eliza Griffiths n'a sans doute jamais fredonné les paroles de la chanson de Claude François "Dites-lui que je pense à elle, quand on me parle de magnolia..." mais comme moi, elle associe ces fleurs éphémère au goût de la mort.
There is magnolia somewhere all year long.
The beginning of death leaves a strong taste
I must remember I already know.
Dans les clichés en noir et blanc, j'ai vu le reflet de Sonia aussi bien que mon besoin de baliser les ténèbres dans lesquelles je venais de basculer après son décès en écrivant des billets de blogs, un peu comme des instantanés pour essayer de comprendre qui j'étais.
L'analogie du deuil avec une vitrine vide, avec le papier d'une carte m'a émue... C'est ça... Il manque les dessins qui permettent de ne jamais être perdue ou découverte. Quelle puissance !
The condition of grief is an empty storefront.
The paper of the map but not the map itself, not the wishful drawings that we will be neither lost or discovered.
Bien sûr, j'ai lu avec une certaine distance de nombreux poèmes, liés à la religion, à des artistes que je connais peu ou à la condition des noirs aux Etats-Unis. Le sang est omniprésent, souvent avec des métaphores autour des pétales, ou de blessures en cuisinant. Le poème "Rape" est très dur mais permet de comprendre le besoin d'écrire certains mots, ceux pour parler de viol, quand ni la maîtresse, ni la mère n'acceptent de les lire. Saigner, c'est aussi aller jusqu'au bout, donner le tout pour le tout, être libre d'exprimer les idées les plus sombres.
Ces élégies de Rachel Eliza Griffith sont un refuge, une référence, à l'instar de celles de Victoire Babois [3] ou des poèmes d'Anna de Noailles [4]. L'absence de métrique, de rimes, m'a un peu perturbée au début, puis je me suis laissée bercer par la musique, les silences, les mots, y compris ceux qui ne font pas partie de mon vocabulaire.
Il me semble qu'en 46 mois, j'ai toujours publié des photos de Sonia en couleur. Les cinquante nuances de gris changent mon regard. Les clichés ne sont pas plus tristes, au contraire... Cette expérience est intéressante ! Merci Rachel Eliza Griffith !- E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
- E. Piotelat, 21 mois, 03/2021
- E. Piotelat, Victoire Babois (28), 10/2022
- E. Piotelat, L'honneur de souffrir, 12/2020
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