Victoire Babois (28)

Première élégie

Je n'aperçois plus rien, rien qu'un désert affreux ;

Il n'est plus pour mon cœur, il n'est plus pour mes yeux

D'aurore, de printemps, de fleur ni de verdure ;

Je ne vois qu'un tombeau dans toute la nature. 

Avec ma fille, hélas ! Tendresse, espoir, bonheur, 

Tout a fini pour moi, tout est mort dans mon cœur. 



Deuxième élégie

En vain toujours errante et toujours inquiète,

Je crois fuir ma douleur en fuyant ma retraite.

Ici pour mes yeux, seuls la nature est en deuil,

Et tout semble avec moi gémir sur un cercueil.


Oh reste dans mes bras pour combattre tes maux 

J'inventerai des soins et des secours nouveaux ;

Tout deviendra possible au transport qui m'inspire :

Ma fille tu vivras puisqu'enfin je respire.

Troisième élégie 

Marseille Août 2006

Conduite par mes soins, la raison pour te plaire,

Se mêlant à tes jeux perdait son air austère ;

Et si tous les talents venaient m'environner,

Je ne les cultivais que pour te les donner.

De toute fausse idée cultivant l'imposture, 

J'aimais à conserver ton âme libre et pure ;

Mais pour la vérité, laissant mûrir  ton cœur, 

Je croyais assez faire en faisant ton bonheur ;

Et dans mes yeux charmés ton aimable innocence,

En cherchant sa leçon, trouvait sa récompense.

Quatrième élégie

Où vais-je ? Où suis-je ? Hélas! Ô douleur! Ô tourment ! 

Ne puis-je sans souffrir respirer un moment ? 

Je sens gémir mon cœur, un poids affreux l'oppresse :

Ô ma fille, il te cherche, il t'appelle sans cesse. 


Cinquième élégie

Empire de la mort, vaste et profond abyme ,

Où tombe également l'innocence et le crime ,

De ton immensité la ténébreuse horreur

N'a rien qui désormais puisse étonner mon cœur. 


Sixième élégie

Ah tout lecteur heureux est un lecteur sévère.

Mais livre moi sans crainte aux regards d'une mère :

Son cœur bientôt ému sentira mes douleurs ,

Et ma fille après moi fera couler des pleurs ;


Le saule des regrets

Ma fille a respiré l'air pur de ton rivage,

Elle a cueilli des fleurs sur ces gazons touffus.

Ses charmes innocents, les grâces de son âge

Ont embelli ces lieux : doux saule, elle n'est plus. 


Quatre mois [1], puis 16 mois [2] après le départ de Sonia, les sanglots longs des violons de l'automne trottaient dans ma tête. Cette année, ils ne sont pas encore là. Le saule du parc nord a encore toutes ses feuilles vertes. Au cimetière de Bures, il y a une foule composée de catholiques éloignés qui viennent une fois par an enlever des chrysanthèmes morts pour en mettre de nouveaux et les oublier pendant 364 jours; mais aussi des joyeux  ramasseurs de châtaignes. Jusqu'à présent, ces deux espèces ne se croisaient pas. 

Grâce à Riquitta j'ai découvert les "Elégies par Mme Victoire Babois, sur la mort de sa fille âgée de 5 ans" (Ed 1804) [3]. Certains extraits font échos à ce que je peux ressentir, d'autres pas du tout : autre époque, autre drame... Par exemple, ces derniers jours, le deuil ayant refait surface de manière assez soudaine, j'ai passé beaucoup de temps à jouer avec Minecraft [4] et je me suis rendue compte que je cherchais non seulement les endroits où Sonia avait pu construire quelque chose, mais surtout Sonia, sa façon de penser, sa manière de jouer...  


Ces deux alexandrins correspondent tout à fait à mon état : 

Je sens gémir mon cœur, un poids affreux l'oppresse :

Ô ma fille, il te cherche, il t'appelle sans cesse. 


  1. E. Piotelat, 4 mois, 10/2020
  2. E. Piotelat, 16 mois, 10/2021
  3. V. Babois, Elégies par Mme Victoire Babois, sur la mort de sa fille âgée de 5 ans, 1804
  4. E. Piotelat, Minecraft (25), 7/2022

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