Le garçon et le héron

Dimanche soir, j'ai vu le dernier chef d'oeuvre de Miyazaki intitulé "Le garçon et le héron". Les petits enfants de 7 ans y verront une aventure fantastique, tandis que les grands enfants de 50 ans et plus y trouveront autre chose. Comme je fais partie de cette seconde catégorie, je propose ici de parler des pépites  trouvées, de ce qui m'a émerveillée. Je vais donc dévoiler l'intrigue. Or je pense qu'il est préférable de le voir comme l'ont fait les japonais, c'est-à-dire en ayant que l'affiche comme information. J'avais vu la bande annonce [1], et cela a diminué l'effet de surprise dans des moment clés. 

Sonia et un héron en 2014

Le deuil et le rêve

Comme à chaque fois que je vais au cinéma, j'ai beaucoup pensé à Sonia. Le personnage principal, Mahito, a perdu sa mère dans un incendie. Trois ans après le drame, il déménage à la campagne, et fait la connaissance de sa tante, qui ne l'a vu qu'une fois quand il était bébé et se propose d'être sa mère. Il la rejette et s'endort. Mahito rêve alors que sa mère, prisonnière des flammes, l'appelle à son secours. 

Les premières fois que j'ai rêvé de Sonia, c'était quelques jours après son décès. Je me souviens en particulier d'un rêve où elle était dans le couloir et que je m'étonnais de la voir en vie, en la serrant dans mes bras. Une autre fois, elle sortait de l'ascenseur, comme d'habitude quand elle rentrait de l'université le soir, fatiguée, en ayant assez faim. Aujourd'hui, je ne m'étonne plus de sa présence dans mes rêves, je me réveille juste avec un sourire jusqu'aux oreilles en fredonnant "I'll see you in my dreams" de  Bruce Springsteen [2].

Sonia en 2019 avec sa perruche Asa

Que Miyazaki aborde le deuil en utilisant le rêve m'a impressionnée. Une fois que Mahito est réveillé, c'est le héron qui apparaît à la fenêtre pour imiter les propos de sa mère en criant "Sauve-moi !" 

Le cimetière marin

Le héron -qui ment toujours- va finir par entraîner Mahito dans un monde qui ressemble à un cimetière. Il y est guidé par Kiriko, qui lui explique que tout n'est qu'illusion et qu'il y a peu de vivants. 

Je n'avais pas vu "Le vent se lève", sorti en 2013, mais il me semble que Sonia était allée le voir avec une amie et qu'elle n'avait été très enthousiasmée. Il y a une référence dans le générique de fin [3] du héron et le garçon, sous-titré en français "Le vent se lève, qu'il y ait toujours de la lumière dans le rêve".

Au début du dessin-animé "Le vent se lève", il y a une citation de Paul Valéry : 

 Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !

J'ai découvert un poème extraordinaire "Le cimetière marin" [4], qui ressemble beaucoup au dessin-animé, à la fois par les descriptions, que par le côté méditation sur la vie et la mort. 

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes ;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée !

Ô récompense après une pensée

Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Le monde dans lequel Mahito cherche sa mère est en bord de mer. On y voit des pins, mais aussi des navires aux voiles blanches, similaires aux colombes du poète qui parle à la fin de focs. Bref, on est dans le poème de Paul Valéry. 

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !

L’air immense ouvre et referme mon livre,

La vague en poudre ose jaillir des rocs !

Envolez-vous, pages tout éblouies !

Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies

Ce toit tranquille où picoraient des focs ! [4]

Et c'est un peu cette idée là qui ressort des dernières scènes du film, où les personnages empruntent des portes différentes pour revenir dans le monde réel mais à différentes dates. Le rêve, le cimetières, sont des lieux calmes, où l'on peut méditer sur la mort, y rechercher une mère, une personne aimée, mais une fois éveillé, une fois que l'on a quitté le cimetière marin, il faut tenter de vivre. 

Voyage temporel

Guidé par le héron, Mahito va tout d'abord retrouver une image de sa mère endormie, mais dès qu'il la touche, elle se liquéfie. Il va ensuite rencontrer une fillette, Himi, qui sauve les Warawara attaqués par les pélicans en lançant une salve de feu. Les Warawara ressemblent aux Kodoma de Mononoké [5]. Ce sont de petites bulles blanches, sorte de mini fantômes qui deviendront des enfants dans le monde réel si elles réussissent à quitter celui-ci en s'envolant. 

Warawara étoilé inspiré par le modèle Starlight de Janet Yelle

Sonia qui adorait Azula dans Avatar [6] aurait eu plein de remarques sur les similitudes avec Himi, qui se promène en tenant une flamme dans sa main et apparaît souvent entourée de feu. On comprend très vite que la fillette est la mère de Mahito, en particulier lorsqu'elle apparaît entourée de feu, comme le portrait de la mère au milieu de l'incendie dans le rêve. Mais cette fois-ci, le feu est ce qui permet de vivre, et d'affronter les obstacles ou les ennemis, comme par exemple des perruches, armées de couteau dans le monde d'en bas et magnifiques dans celui d'en haut... La mère entourée de flammes est terrorisée, Himi a le sourire. 

Envol de Desna sous le regard d'Eska

Une tour permet de voyager entre les univers parallèles, par exemple pour échapper aux perruches et au roi despotique. Himi choisit de ne pas emprunter la même porte que Mahito, ce qui lui permettra de lui donner naissance plus tard. J'y ai vu une réflexion sur la filiation, est-ce la personne qui est importante, à sa voir Himi, ou sa fonction de "mère" ? A la fin, Mahito ne rejette plus sa tante, un peu comme s'il avait accepté qu'elle puisse prendre un rôle maternel sans prendre la place d'Himi et encore moins la remplacer.

Quand je trie des photos avec nostalgie, l'âge n'a pas d'importance, je ne cherche pas une fille, mais Sonia. A-t-elle 18 ans, comme au jour de son décès, est-elle bébé, fillette, a-t-elle aujourd'hui 21 ans ? 

Sonia en février 2009 (presque 7 ans)

Cette intemporalité de la personne décédée est aussi un aspect qui m'a impressionnée ! 

L'impossible succession

Le héron qui a attiré Mahito en utilisant sa mère l'a fait sur ordre du grand-oncle, qui a construit cet univers et cherchait un successeur pour maintenir l'équilibre. Il y a de multiples références aux autres œuvres de Miyazaki et c'est amusant de dénicher tous les clins d’œils distillés. 

Dans la revue Otomo de septembre 2023, Pierre William Fragonese décrypte "Le garçon et le héron" et évoque, non seulement Paul Valéry, mais aussi "Le roi et l'oiseau" de Paul Grimault et Jacques Prévert. 


Les perruches et leur roi viennent de chez nous, à n'en pas douter... Le dessin animé est très poétique, le dessin est somptueux. J'ai vraiment passé un agréablement moment et il n'est pas impossible que je retourne le voir en V.O. ! 



Les morts cachés sont bien dans cette terre

Qui les réchauffe et sèche leur mystère.

Midi là-haut, Midi sans mouvement

En soi se pense et convient à soi-même…

Tête complète et parfait diadème,

Je suis en toi le secret changement. [4]



  1.  Bande annonce Le Garçon et le Héron
  2. E. Piotelat, Carte postale du Belvédère, 09/2021
  3. 米津玄師 - 地球儀 Kenshi Yonezu - Spinning Globe
  4. P. Valery, Le cimetière Marin, 1920 
  5. E. Piotelat, Ghibli et Origami, 06/2022
  6. E. Piotelat, ChatGPT et Avatar, 05/2023

Commentaires