Oppenheimer

 Le 6 juin est l'occasion de plier plus de grues que d'habitude en ayant une pensée pour Sadako [1]. La fillette avait deux ans quand la bombe A a été larguée sur Hiroshima. Elle est décédée 10 ans plus tard d'une leucémie [2]. Cette année la sortie du film Oppenheimer a amené de nombreuses discussions sur la non-prolifération et le démantèlement des armes nucléaires. 

Comme en 2022 l'association "Nuclear Threat Initiative" [3] et "Hiroshima Organization for Global Peace [4] ont invité les terriens à imaginer un futur sans armes nucléaires, en postant un message de paix et une photo de grues en origami sous la bannière #CranesForOurFuture. La vidéo met en avant la menace que fait peser Poutine. A 43 secondes, on aperçoit même une des grues pliées l'année dernière [5].


SETI et Los Alamos

Sans les cerveaux des plus grands scientifiques américains de l'époque, la bombe A n'aurait pas vu le jour. Certains avaient fuit l'Europe pour être naturalisés dès qu'Hitler s'en est pris aux juifs. Dans le film "Oppenheimer", la menace d'une bombe nucléaire allemande est évoquée, en particulier à cause du soutien au régime nazi de Werner Heisenberg, l'un des fondateurs de la mécanique quantique. 

Avant la guerre, le rêve de ces chercheurs étaient de résoudre les énigmes de l'univers, comme par exemple les réactions à l'intérieur des étoiles.  

La question d'Enrico Fermi "Où sont-ils ?", qui a donné naissance au paradoxe qui fait encore couler beaucoup d'encre, date de 1950, et a été posée à la cantine de Los Alamos, avec Edward Teller, que l'on voit aussi dans le film "OppenHeimer" [6]. Le premier article sur la recherche de vie intelligente dans l'univers (SETI) a été signé par Cocconi et Morrison en 1959 [7]. Enrico Fermi comme Philip Morrison [8] ont participé à l'essai Trinity [9]. 


Oppenheimer et les scientifiques qui travaillaient à Los Alamos n'étaient pas naïfs et avaient conscience que l'arme sur laquelle ils travaillaient détruirait des villes entières. Ils espéraient que cela mettrait fin à la guerre, et éviterait les suivantes.


Certains ont milité contre la prolifération des armes nucléaire et pour leur démantèlement. Peut-être qu'aujourd'hui, plier des grues, c'est continuer de payer cette dette qu'a la science envers l'humanité. 


Dans le cadre de la recherche de vie dans l'univers, cela s'est traduit par l'hypothèse du grand filtre [10]. Il y aurait des civilisations sages qui progresseraient en réfléchissant aux conséquences de chaque pas en avant, et puis les autres, qui s'autodétruiraient après avoir découvert la fission nucléaire.

Jean Tatlock

Le film met aussi l'accent sur le communisme, tout d'abord avec le soutien de nombreux universitaires aux communistes espagnols qui affrontaient les nationalistes pendant la Guerre d'Espagne de 1936 à 1939, puis avec les accusations d'avoir aidé les alliés russes à obtenir la bombe. J'avoue que jusque là, je ne m'étais jamais posée la question du style "comment la France ou la Russie ont eu l'arme nucléaire ?", un peu comme si une fois qu'une découverte avait eu lieu, il suffisait d'avoir de l'uranium pour passer à l'expérimental. 


Je n'avais jamais entendu parler de Jean Tatlock [11] avant de voir le film. L'interprétation de Florence Pugh en fait un personnage fort, une militante, une scientifique, psychiatre, sans se limiter  à sa relation avec Oppenheimer. 

Suite au décès de Sonia, on m'avait dit que ça ne pouvait pas être un suicide, qu'elle aurait eu le réflexe de sortir la tête de l'eau, et donc qu'elle avait forcément fait un malaise pour que les pompiers la retrouvent allongée sur le côté [12].

Sonia en 2010 avec une grue de 2023

La scène où Jean Tatlock empile des coussins, s'agenouille et plonge la tête dans la baignoire, semblait apporter un élément à cette question qui me hante depuis trois ans. Cependant, il semble y avoir débat sur le suicide de Jean Tatlock. Si l'autopsie a conclu à une noyade, quelques éléments sèment le doute [13].  Il semblerait que l'on voit une main dans le film... Je n'y ai pas prêté attention. Cependant, personne ne remet en doute sa dépression. 

Voir le film et plier une grue

Alors que jusqu'à présent, chacun avait tendance à mettre la question des armes nucléaires sous le tapis, le film Oppenheimer permet d'aborder le sujet. De nombreux articles ont été écrits par des scientifiques et des organisations.  Le film a poussé des éditeurs de plus de 100 revues médicales à prendre position pour l'abolition des armes nucléaires en raison du risque qu'elles font peser sur la santé [14].


Le monde a changé le 6 août 1945. Changera-t-il de nouveau grâce à un film ?

 

  1. Sadako Sasaki (Wikipédia)
  2. E. Piotelat, Des grues pour la paix, 08/2020
  3. #CranesForOurFuture: Ukrainian Artist Eugenia Zoloto on Finding Hope during War
  4. Hiroshima For Global Peace
  5. E. Piotelat, Des grues pour notre futur, 08/2022
  6. E. Piotelat, Paradoxe de Fermi, 12/2019
  7. Cocconi, G., Morrison, P., Searching for Interstellar Communications, Nature, 184 (4690), 1959.
  8. Philip Morrison (Wikipedia)
  9. Essai atomique Trinity (Wikipedia)
  10. E. Piotelat, Le grand filtre, 08/2021
  11.  Jean Tatlock (Wikipédia)
  12. E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020
  13. E. Burack, The True Story of Jean Tatlock in Oppenheimer, 07/2023
  14. C. Echols, Leading medical journals call for abolition of nuclear weapons, 08/2023

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