Le grand filtre

Comme l'année dernière, j'ai plié des grues ces derniers jours [1]. 


Cette fois-ci, je l'ai fait en écoutant John Lennon chanter "Imagine" et en réfléchissant au concept de "Great Filter" (ou grand filtre) de Robin Hanson [2]. L'espace autour de nous semble mort, ce qui n'est pas très encourageant pour l'avenir de l'humanité. Tant que l'on reste sur la planète, tous nos œufs sont dans le même panier : une bombe atomique peut détruire l'espèce humaine. Il existerait donc un filtre entre la vie et la mort d'une civilisation extraterrestre. Pour Jonathan H. Jiang du JPL, il semble urgent de coloniser la Lune, Mars, et la galaxie si on ne veut pas que notre espèce passe ce filtre. [3]

Il y a un an, 75 ans après Hiroshima [4] j'écrivais : 

Sans paix dans le monde, impossible de lutter contre des pandémies ou d'entreprendre une action commune contre le réchauffement climatique.

Depuis un an, la liste des victimes s'est allongée, et de nombreuses grues ont été envoyées en pensant à celles qui nous ont quitté à cause de conflits comme la seconde guerre mondiale ou des conséquences de la gestion catastrophique de la pandémie. [5]


 Ce n'est pas en séparant artificiellement les individus que l'on arrivera à éradiquer le SARS-COV2 : ce qui ne nous tue pas mute et essaye encore. Les consignes de l'OMS sont pourtant assez simples [6] : préférez les lieux en extérieur (le marché) aux lieux clos (le centre commercial), évitez les foules, aérez, considérez le port du masque comme quelque chose de normal en présence d'autres personnes... Moins il y a potentiellement de virus dans l'air, moins on risque d'attraper la maladie. 


En pliant des grues en papier, c'est l'ADN de Sonia que je caresse au sens propre comme au figuré. Je pense aux efforts pour découvrir des concepts scientifiques, apprendre à dessiner un grafcet à distance. En envoyant 1000 grues à Hiroshima, c'est sa transpiration et mes larmes séchées par le papier que j'expédie à l'autre bout du monde. Si je pouvais glisser une grue dans les mains du prochains robot à destination de Proxima du Centaure, je le ferais sans doute. 

Est-ce que souhaiter la paix dans le monde est cucul la praline ou est-ce que ça a vraiment toujours un sens ? Est-ce que si les réseaux sociaux sont inondés de grues en papier avec des messages "Peace & Love" ça aura un impact sur la prolifération des armes nucléaires ? Dans un article de 1983, Carl Sagan et  William I. Newman [7] pensent qu'il existent des civilisations pacifiques qui n'inventent pas l'arme nucléaire et d'autres belliqueuses, qui colonisent mais risquent de s'autodétruire dès l'invention de la bombe H. Robin Hanson [2] cite ce même article : 


Avons-nous perdu notre prédisposition à la territorialité et à l’agression ? Vivons-nous dans le respect mutuel ? Les réactions fasse à la pandémie depuis un an nous montrent le contraire. Même la trêve olympique. 

Jiang, Rosen et Fahi ne partagent pas non plus cette vision pacifiste et utopiste de l'espèce humaine [3]... Depuis la seconde guerre mondiale, l'humanité, entourée de plus en plus de débris, possède une propension pour l'auto-annihilation dès qu'elle en a les moyens. Astéroïde, supernova, la destruction peut aussi venir du ciel. Pour eux, la seule manière de franchir le "grand filtre" et de permettre à l'espèce humaine de survivre est d'utiliser notre intelligence pour qu'une poignée d'humains colonisent le système solaire, puis la galaxie. Le but de l'article est de déterminer une échelle de temps.



Ils évoquent l'équation de Drake qui permet de calculer le nombre d'E.T. avec lesquels communiquer, en particulier le facteur L : durée de vie d'une civilisation technologique. Pour une espèce confinée sur sa planète, c'est de quelques siècles, au mieux 8000 ans. Les auteurs ont choisi un modèle, celui de l'évolution de la puissance de calcul. Ils expliquent cela en disant qu'ils voulaient quelque chose de simple.  Ils justifient ce choix par le développement parallèle de la conquête spatiale et des capacités de calcul, qu'ils mesurent en nombre de transistors contenus dans un microprocesseur. Les réseaux de neurones ou l'apprentissage machine pourront permettre à des sondes spatiales de faire des choix sans recevoir d'ordre depuis la Terre, et donc en évitant des heures de communication [8].

Avec leur modèle, on pourrait s'installer sur Mars en 2038, lancer la première colonie dans la banlieue de Jupiter en 2076, celle de Saturne en 2086, Proxima du Centaure en 2253, Tau Ceti en 2269, Trappist en 2289 et lancer la mission à 4 parsecs du centre galactique en 2381. Est-ce que l'on pourra être assez sage pour ne pas s'autodétruire d'ici là ? 

En attendant, plions des grues... C'est peut-être ce qu'il y a de plus pertinent à faire, même si ça ne changera pas l'espèce humaine. Il y a un côté déstressant et diminuer le stress de quelques humains est peut-être un bon début pour la survie de l'espèce.



  1. E. Piotelat, Des grues pour la paix, 08/2020
  2. R. Hanson, The Great Filter - Are We Almost Past It?, 1998
  3. Jiang, J.H.; Rosen, P.E.; Fahy, K.A. Avoiding the “Great Filter”: A Projected Timeframe for Human Expansion Off-World. Galaxies 2021, 9, 53. https://doi.org/10.3390/galaxies9030053
  4. Virtual Tour in Hiroshima
  5. E. Piotelat, 1000 grues en 11 mois, 05/2021
  6. Maladie à Coronavirus, conseils au grand public
  7. Carl Sagan, William I. Newman "The Solipsist Approach to Extraterrestrial Intelligence", 1983
  8. NASA Takes a Cue From Silicon Valley to Hatch Artificial Intelligence Technologies, 2019

Commentaires

Nathalie FT a dit…
Je suis dans le groupe de ceux et celles qui pensent que la paix vaut la peine. En soi, avec les autres et qu'effectivement cela se fait à notre échelle, tous les jours en choisissant ses mots, ses attitudes, pour favoriser l'ouverture. Travail de fourmi ? Autant commencer de suite !