J'ai longtemps hésité avant d'écrire ce billet. Il trotte dans ma tête depuis dimanche dernier. Un peu comme une poubelle qu'il faut vider, je me suis assise près de la tombe de Sonia et j'ai écrit pendant 20 minutes. Juste avant, j'ai déposé ses livres de première STL (Sciences et Technologies de Laboratoire) au Lycée de la Vallée de Chevreuse à Gif-sur-Yvette.
Boîtes aux lettres du LVC |
J'espère juste fournir des arguments aux lycéennes à qui on refuse la filière générale en leur faisant miroiter un avenir radieux avec un bac technologique, et à leurs parents impuissants devant les propos sexistes du style "elle n'a pas le niveau", "c'est trop théorique pour elle", etc...
STL et décès de Sonia
Si j'ai hésité à écrire ces mots, c'est que j'avais l'impression d'avoir tourné la page et qu'il n'y avait aucun lien de causalité entre le décès de Sonia [1] et le fait d'avoir mis STL SPCL (Sciences Physiques et Chimiques de Laboratoire) comme second vœu (après la 1ière S) sur sa fiche d'orientation en 2017, puis d'avoir accepté.
Sonia s'ennuyait en seconde, et a décidé de s'inscrire aux épreuves anticipé de français du bac S en candidate libre [2]. Elle envisageait d'aller aux lycée pour préparer le bac STL, se disant que le côté expérimental rendrait les cours plus intéressants, tout en préparant le bac S, puisque les profs avaient juré que le programme était le même, ce qui bien sûr est complètement faux.
Je pensais aussi avoir fait le tour de la question sur cette classe que Sonia appelait PoubSTL en parlant des violences sexuelles et sexistes à Centrale Supelec [3].
Selfie de Sonia au LVC. 2016-2017 |
Discrimination, sexisme, racisme ?
En obtenant son bac S en 2019, Sonia a prouvé qu'elle avait été victime de discrimination de la part des profs et de la conseillère d'orientation qui ont refusé de lui donner sa chance en mai 2017 en fin de seconde, mais également au début de 1ière STL. En septembre 2017, après les premières batailles d'acide en TP par des gens qui n'avaient rien à faire là, après les dépressions de certains camarades qui voyaient leurs rêves devenir cauchemar, elle a fait des pieds et des mains auprès de la vie scolaire pour corriger cette erreur d'orientation. L'emploi du temps permettait difficilement de faire le programme de terminale S en même temps, et les trois heures de math par semaine n'aidaient pas non plus à avoir le même niveau qu'en S...
Emploi du temps 1ière STL |
Comme elle n'a pas été écoutée et que le CPE ne lui promettait que des carottes indigestes du style "si tu as d'excellentes notes en 1ière STL, tu pourras redoubler et faire une 1ière S", elle a commencé à multiplier les retards (aidée par le RER B). De nombreuses douleurs somatiques sont également apparues, en particulier un problème à la cheville. Ce n'est qu'à partir de début octobre que les échanges de mail avec la vie scolaire se sont multipliés...
Il m'arrivait de recevoir des réponses de la vie scolaire pendant la nuit, et de les découvrir au réveil. J'en lisais certaines à Sonia, ravie de voir qu'enfin le lycée prenait conscience de l'erreur d'orientation. Elle éclatait souvent de rire en voyant pas exemple que le CPE m'avait répondu à 5h47 avec sa messagerie personnelle :
"Mais c'est pas possible, il pense à toi sous la douche !"
Ces nombreux échanges n'enlèvent rien à ma culpabilité, ma complicité. J'ai été aveugle. Je n'ai pas vu la discrimination, le racisme, le sexisme dont a été victime Sonia. A la gare RER du Guichet, il y a de nouvelles revendications, dont une qui dit aux mâles de laisser la place aux filles dans les grandes écoles du plateau de Saclay. Le mal commence sans doute dès la seconde. Il y avait beaucoup de filles et d'élèves qui n'habitaient pas Gif en 1ière STL.
Journée internationale des femmes de science.
Si j'écris ce billet depuis une semaine, c'est grâce à Elisabeth Borne, ou plus exactement à une vidéo qui a ouvert une cicatrice [4]. On y entend Nina, en 1ière STL déclarer :
"Moi, j'ai envie de travailler dans le domaine de la santé, médecin légiste ou police scientifique".
Chère Nina, si tu bosses dans la police scientifique, ce sera pour passer l'aspirateur dans l'appartement de Pierre Palmade. Pour être médecin légiste, c'est un bac+11, et c'est pas vraiment marqué dans les fiches d'orientation mensongères.
J'ai retrouvé dans les papiers de Sonia, ses choix. Elle voulait aller en licence puis en master. Elle se sera arrêtée en L1. Sur le site web du LVC [5], l'orientation en BTS est soulignée en rouge, preuve que beaucoup d'élèves ont été orientées en STL par erreur :
Des places sont réservées aux élèves de STL SPCL en BTS, BUT (IUT) et ces filières ne remplissent pas leurs quotas !
Je ne comprends pas qu'Elisabeth Borne n'ait pas rencontré d'élève de 1ière STL expliquant que leur rêve était de fourrer des écouvillons dans le nez des gens ou d'analyser la matière fécale pour déceler des cancers du colon ou résoudre les problème de diarrhée et de constipation...
Femmes sur les manuels STL |
En première année de licence, même avec le bagage du bac S, Sonia avait du mal à suivre en maths. Ceux qui avaient un bac STI2D étaient avantagés dans certaines matières, mais étaient aussi complètement largués en algèbre linéaire. Sonia disait que les seuls qui y arrivaient étaient des bourgeois qui avaient fait une première année en classe préparatoire aux grandes écoles et avaient échoué. Bref, je doute fort qu'un bac STL permette d'être acceptée en 1ière année de médecine et de réussir le concours.
Le tweet d'Elisabeth Borne est d'autant plus nauséabond qu'elle sait très bien que la voie royale pour devenir une femme de sciences, c'est le chemin qu'elle a emprunté, et moi aussi : prépa et école d'ingénieur [6]. Nina est peut-être une actrice recrutée pour l'occasion, qui joue le rôle d'une élève de 1ière STL. La France a besoin de petites mains pour analyser les selles ou les secrétions nasales !
Du mépris pour STL ?
Je n'ai donc pas pu m'empêcher de réagir vivement au tweet mensonger en demandant combien de médecins légistes avaient un bac STL. On m'a accusé de mépris, ce à quoi j'ai répondu qu'il s'agissait de culpabilité. Je veux éviter que d'autres ados soient malheureux, que d'autres parents soient aveuglés. Peut-être que si Sonia n'était pas allée en STL, elle serait toujours là... Ou peut-être que si elle avait fait le gros dos en allant de temps en temps au lycée pour obtenir le bac STL, elle s'épanouirait en vendant de l'homéopathie dans une pharmacie.
On m'a accusée de tirer des conclusions avec un seul exemple... Certes... Mais je n'ai eu en retour qu'un seul contre-exemple "J'ai fait STL et je gagne bien ma vie".
Bref, les filles, allez en STL si vous en avez envie, mais pas si on vous l'impose !
N'hésitez pas à utiliser l'histoire de Sonia comme argument ! La cause de son décès n'est pas connue, il ne me reste que des "white lies", des mensonges qui font du bien [7]. Si refuser STL évite des douleurs, des angoisses et permet de rester en vie, il n'y a pas à hésiter !
Ecrire ce billet m'a fait du bien, comme le fait de déposer les livres de Sonia dans la boîte aux lettres du lycée. Je les avais achetés en janvier 2018, quand elle a abandonné la STL, au cas où ils puissent tout de même lui être utiles pour le bac... Je pensais les mettre dans une boîte à livres, mais je n'en ai pas trouvé à Courcelles. Au moment où je termine cette phrase, le rouge-gorge vient d'apparaître dans l'if vers la tombe de Sonia. Je ne l'ai pas beaucoup vu cet hiver [8].
Gros plan sur le rouge-gorge |
- E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020
- E. Piotelat, L'inscription au BAC, 07/2020
- E. Piotelat, La Team Vichy, 10/2021
- Tweet d'E. Borne.
- Présentation générale de la section STL SPCL
- E. Piotelat, Le rêve de l'espace pour toutes, 09/2022
- E. Piotelat, Through the Moon, 10/2020
- E. Piotelat, Flocons de neige en origami, 12/2022
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