Le rêve de l'espace pour toutes

Lors de la cérémonie d'ouverture du congrès astronautique international (IAC) [1], le fil rouge était le rêve de Clarissa. Comme sans doute pas mal de femmes présentes parmi les 8700 space-geeks dans la salle, je me suis identifiée à cette fillette. Son rêve, c'était le mien, et il est devenu réalité petit à petit. Samedi, j'ai reçu un beau diplôme de membre de l'Académie Astronautique Internationale [2]. Je le dois à énormément de personnes, qui m'ont soutenue, qui m'ont ouvert des portes, qui m'ont montré le chemin ou m'ont tendu la main. Merci à tous et toutes ! 


A 9 ans

Clarissa habite Paris. A 9 ans, j'habitais à St Germain-du-Bois, un petit village de Bourgogne. Nous étions en 1980. La navette spatiale n'avait pas encore décollé. A noël 1979, j'avais suivi le décollage d'Ariane 1 grâce à Albert Ducrocq et Michel Chevalet. 

Ariane 1 à IAC2022

En 1980, Antenne 2 a diffusé la série Cosmos de Carl Sagan. Sommes-nous seuls dans l'univers ? Cette question ne m'a jamais quittée. De temps en temps, on voyait un reportage sur le grand radiotélescope de Nançay. 

A 15 ans

En 1986, j'avais 15 ans quand la navette spatiale a explosé [3]. Le rêve s'est transformé en cauchemar. A l'âge où d'autres décorent leur chambre avec des photos de chanteurs, l'équipage du STS-51-L a hanté la mienne. Une institutrice dans l'espace, le rêve était trop beau ! La porte qui venait de s'ouvrir s'est brutalement refermée. 

Photo NASA. L'équipe de la mission Space Shuttle STS-51-L posant pour son portrait officiel le 15 Novembre 1985. Derrière, de gauche à droite : Ellison S. OnizukaSharon Christa McAuliffeGreg Jarvis, et Judy Resnik. Devant, de gauche à droite : Michael J. SmithDick Scobee, et Ron McNair.

A 15 ans, je ne rêvais pas de devenir astronaute, mais de construire des vaisseaux spatiaux en étant ingénieur ou de découvrir si nous sommes seuls dans l'univers en devant astronome. Je ne savais pas trop.  

Quelques mois plus tôt, Patrick Baudry était devenu le second astronaute français en volant à bord de la navette Discovery. Quand la professeur d'anglais nous avait demandé de rédiger un texte en listant ce que l'on emmènerait sur une île déserte, j'avais répondu "Aujourd'hui, le soleil se lève 16 fois" de Patrick Baudry et mes maquettes de fusées [4]. Si je m'en souviens, c'est parce que la professeur avait réagi d'un air amusé "Non, c'est pas possible, tu ne peux pas être aussi cinglée". Elle a peut-être remplacé cinglée par un équivalent de nerd ou geek, mais j'avais perçu qu'elle n'avait pas saisi à quel point l'espace était vital pour moi et avait des doutes sur le hors sujet. 

Comme Jean-Loups Chrétien avant lui, c'était un pilote de chasse. Judy Resnik était ingénieure. Cela correspondait beaucoup plus à ma vision de ce que devait faire une astronaute. 

A cette époque, d'autres voix que celle de Carl Sagan parlaient de SETI et du radiotélescope de Nançay. L'univers du grand Meaulnes me fascinait.  Jean Heidmann a publié l'Odyssée Cosmique en 1986. En 1982, la NASA avait lancé le projet HRMS ("He Really Means SETI" pour les intimes, ou "High Resolution Microwave Survey" pour la version officielle).  

De la fiction à la réalité.

Comme Clarissa dans sa dernière apparition lors de la cérémonie d'ouverture [1], j'ai découvert la science-fiction en étant jeune adulte. J'avais Tintin ou "de la Terre à la Lune" de Jules Verne depuis longtemps dans ma bibliothèque, mais je n'ai pas entendu parler de Méliès. j'avais vu 2001 l'odyssée de l'espace, mais je n'ai lu ni Clarke, ni Asimov, ni Bradbury avant de devenir étudiante.

Ce rêve m'a conduit en prépa puis en école d'ingénieur. Je ne travaillais pas pour avoir des bonnes notes, mais pour apprendre à construire des vaisseaux spatiaux. Il est devenu réalité lorsque j'ai eu l'opportunité de faire un stage à la DLR de Lampoldshausen en 1994. J'ai étudié la formation de givre au décollage sur les tuyères du moteur Vulcain d'Ariane 5 pendant 5 mois. 

Moteur d'Ariane à #IAC 2022

En 1995, j'ai fais mon stage de fin d'études à Nançay, où j'ai croisé Jean Heidmann, mais surtout eu des discussions passionnantes avec François Biraud et quelques autres. 

Il s'en est suivi une période un peu dépressive. Quand on a touché les étoiles, que reste-t-il ? J'ai découvert la SETI League et adhéré immédiatement, puis il y a eu SETI@HOME en 1999. "Space for all", ça ressemblait à cela... Ce n'était pas forcément une carrière professionnelle à viser les étoiles grâce à des connaissances en électronique ou à s'abriter lors des essais du moteur Vulcain grâce à une formation en thermodynamique, mais c'était continuer à vivre une passion, tout en travaillant dans un autre domaine qui m'a passionnée depuis l'adolescence, à savoir l'informatique.  

Le fait d'être représentante de la SETI League en France m'a permis de faire la connaissance d'autres membres, et en particulier de Claudio Maccone qui m'a montré où était la porte de l'IAA au 6 rue Galilée. 

J'ai contribué à organisé quelques séminaires et à donner un coup de main à l'occasion, comme lors de la conférence à l'UNESCO. J'ai aussi été assez vite membre du comité SETI de l'IAA. Une fois élue membre correspondante de l'IAA, il me fallait prouver que je pouvais être utile à l'organisation. J'ai accepté d'être co-éditrice de la revue Acta Astronautica [5]. Quel privilège de découvrir des articles sur les techniques spatiales avant tout le monde ! Cette activité bénévole me permet à la fois de concrétiser le rêve spatial de la fillette de 1980, mais aussi d'utiliser mes connaissances en mécanique ou en électronique.

Le syndrome de l'imposteur prend encore de temps en temps des dimensions astronomiques quand je croise des personnes pour lesquelles j'ai une énorme admiration depuis l'enfance. Marcher dans les pas de Jean Heidmann et d'Albert Ducrocq représente aussi un lourd héritage pour que tous et toutes puissent, comme moi, rêver de répondre à la question "Sommes-nous seuls dans l'univers ?" ou de s'envoler vers le cosmos. 


  1. Opening Ceremony
  2. International Academy of Astronautics
  3. Accident de la navette Challenger (Wikipédia)
  4. P. Baudry, Aujourd'hui le soleil se lève 16 fois, Carrère, 1986
  5. Acta Astronautica








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