Ronds de fumée

Ce mois ci, dans le cadre de l'atelier d'écriture sur le deuil [1], Megan Devine nous propose de réfléchir sur les mots et les ténèbres, à partir de cette citation [2] :

Quand je ne peux pas voir les mots s'enrouler comme des ronds de fumée autour de moi, je suis dans l'obscurité - Je ne suis rien.
Virginia Wolf, la Vague. 

Quand un enfant se suicide, il n'y a pas de rond de fumée, il n'y a pas un seul mot qui ne soit pas entaché d'une hypocrisie ou qui ne s'apparente pas à de la déresponsabilisation. 

Grue en origami

On a tous baissé les bras, on a tous regardé ailleurs quand les footballeurs n'ont pas eu le courage de porter un brassard arc-en-ciel au Qatar [3]. Il fallait qu'ils soient dans la norme, comme tous ces enfants différents à qui l'on demande de se fondre dans la masse. 

La douleur de devoir jouer en permanence un rôle, de porter un uniforme dans lequel on n'est pas à l'aise, de cacher son identité n'est-elle pas aussi intense que celle d'un coup de poing qui disparaît en quelques jours ? Elle est invisible, elle rassure tout le monde. Devant un juge, chacun pourra sortir son bouclier et déclarer "on pensait que le problème était résolu". Ce sont déjà les propos que l'on entend après la disparition de Lucas [4].

La plainte de la famille de Dinah a été classée sans suite le 30 septembre 2022. Les politiques s'en félicitent et réconfortent les CPE. 

Je n'ai pas les mots pour tous les enfants pour lesquels "Liberté, égalité, fraternité" sur le fronton des écoles ne rime à rien. Leurs parents souhaiteraient juste entendre plus souvent "on ne laisse pas souffrir un enfant ! " et être écoutés quand ils parlent de souffrance. 

Eleven (Stranger Things) harcelée dans la saison 4.

Comment la manif pour tous pouvait-elle se gargariser hier du succès de son rassemblement du 13 janvier 2013 ? C'est indécent. Fumer tue, l'homophobie tue, le rejet de la différence tue. Sincères condoléances disent les élus de droite. Ils pourraient ajouter "SVP les parents, arrêtez de chialer !" [5], mais ils s'en fichent de la douleur de la perte d'un enfant. Ils ont juste une image à redorer, tout comme le gouvernement. 

Je ne regarde jamais les vidéos sur le harcèlement. J'ai peur d'y voir de la violence bien sûr, mais aussi de ressentir de la culpabilité et d'être aussi mal à l'aise que lors d'une campagne nationale qui incitait les harceleurs à gifler leurs camarades. Hier, j'ai découvert le clip de Marion La Main Tendue [6] pour la Journée Mondiale de lutte contre le harcèlement il y a 2 ans.

J'y ai vu le début du film du Joker [7], quand Arthur Fleck se fait tabasser, mais aussi l'enseignant dans le clip "Another brick in the Wall" de Pink Foyd. 


A la fin, nous sommes tous des briques dans un mur. Pourquoi choisir cette fin à 13 ans, ou encore à 11 ans comme Ambre le jour de Noël [8] ? Que faire ? Une "team Vichy" [9] comme Sonia appelait les délateurs censés jouer le rôle de médiateur ? Une BD [10] ? Des numéros comme le 3020 ou le 3018 ? Un chapeau d'infirmière en origami [11] ?

On ne changera pas le professeur du clip de Pink Floyd ou les adolescents qui s'en prennent à Arthur Fleck. On peut faire ce que l'état ne fait pas, c'est-à-dire donner aux associations qui luttent contre l'homophobie, contre le harcèlement, contre le suicide. 

Tendre la main, trouver les mots face à un enfant qui souffre est difficile. Il n'y a pas de ronds de fumée, juste l'obscurité, les ténèbres. 

A Lucas, Dinah et les autres...

  1. E. Piotelat, 10 mois, 04/2021
  2. Citations de Virginia Wolf. 
  3. E. Piotelat, Herculine Barbin, 12/2022
  4. BFM, Dossier Suicide de Lucas, 01/2023
  5. E. Piotelat, C'est OK que tu ne sois pas OK, 04/2021
  6. Association Marion La main tendue
  7. E. Piotelat, Joker, 10/2019
  8. D. Mozzola, Harcèlement scolaire. Marche blanche à Romans/Isère en mémoire d'Ambre, 11 ans, France 3, 01/2023
  9. E. Piotelat, La Team Vichy, 10/2021
  10. E. Piotelat, Camélia face à la meute, 09/2021
  11. L. Burns, Origami medical hat, 01/2023

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