Comme la France est en quart de finale de la coupe du monde de football, il n'est plus question de boycott ou de brassard "One Love". On a oublié aussi bien les ouvriers qui ont donné leur vie pour la construction des stades que les atteintes aux droits les plus fondamentaux des hommes et des femmes.
Dans la rue, des tenues charmantes |
Au lieu de critiquer, de boycotter, d'imposer notre culture, il s'agirait juste de contribuer à une amélioration de la situation au Qatar. Je vais apporter ma contribution à cette courageuse entreprise en parlant de la pièce vue ce week-end au Théâtre 14 à Paris, et qui ne sera sans doute pas programmée de suite à Doha : Herculine Barbin, archéologie d'une révolution. [1]
Pourquoi aller voir cette pièce ? Le conseil venait d'Alexander. Il ne pouvait être que judicieux.
C'est rare de si belles adaptations, si justes, si respectueuses du texte qu'elles adaptent. C'est chose réussie par le @theatre_14 et la mise en scène de Catherine Marnas ! Les comédiens sont incroyables. La mise en scène est extrêmement intelligente.
— Riquitta (@Cepseudomarche) November 18, 2022
Les premières lignes du manuscrit [2] m'ont interpellée :
J’ai vingt-cinq ans, et, quoique jeune encore, j’approche, à n’en pas douter, du terme fatal de mon existence.
J'ai arrêté la lecture en me disant que je trouverai bien un moment pour aller voir la pièce et qu'il valait mieux que je n'en sache pas trop sur les raisons de ce suicide.
J'ai pas envie de la voir nue |
On parle aujourd'hui de culture woke, de wokisme, souvent de manière péjorative ou critique, comme s'il s'agissait d'une lubie d'ados se disant éveillé ou de phénomène de mode qui passera dans un an ou deux, quand le mouvement black lives matter appartiendra à l'histoire. Certains politiques sont fiers de crier haut et fort qu'ils sont blancs, hétérosexuels et chrétiens, un peu comme s'ils étaient victimes de discrimination [3]. Les mots d'Herculine Barbin datent de 1868 :
Soucieux et rêveur, mon front semblait s’affaisser sous le poids de sombres mélancolies. J’étais froide, timide, et, en quelque sorte, insensible à toutes ces joies bruyantes et ingénues qui font épanouir un visage d’enfant.
A l'époque le "iel" n'existait pas. Herculine Barbin est la première personne intersexe. Quand elle est née, personne n'a vu de zizi, c'était donc forcément une fille. Simple, non ? La pièce nous montre sa vie de fillette heureuse dans une institution religieuse protectrice au milieu de ses copines, puis plus tard dans un pensionnat entourée de jeunes filles d'un milieu plus aisé.
Et j'aime cette fille aux cheveux longs |
Elle s'étonne toutefois de voir des poils pousser et de rester plate... Mais quelle adolescente n'a pas de complexes par rapport aux jeunes filles de son âge ? Elle est appréciée par son entourage, obtient d'excellents résultats, et de longues robes couvrant les épaules lui permettent de dissimuler ses différences. Il a été décidé qu'elle sera institutrice. Elle n'est pas particulièrement emballée par l'idée. Dans la pièce de théâtre, certains passages sont très drôles, comme celui sur le comportement des inspecteurs envers les enseignantes. Yuming Hey et Nicolas Martel ont su égailler l'histoire tragique avec talent.
Herculine obtient un poste dans un pensionnat religieux, où la directrice lui présente sa fille, Sara, qui s'occupe des petites classes. Elle lui demande de la considérer comme sa sœur. La pièce décrit magnifiquement l'évolution de l'amitié en amour impossible. Des douleurs au bas du ventre amènent Herculine à consulter un premier médecin, dont l'examen s'apparente à un viol. Il comprend ce qui se passe, mais ne dit rien. Pendant les vacances, un second médecin écrit noir sur blanc, qu'Herculine est un "pseudo hermaphrodisme masculin" [4].
L'institutrice devient Abel, qui travaille aux chemins de fer d'Orléans avant de finir sa vie à Paris, seul, isolé, sans possibilité de revoir son unique amour, Sara.
Et ce garçon qui pourrait dire non |
Je craignais de m'ennuyer ou de ne pouvoir retenir des larmes. Je n'ai pas vu le temps passer, j'ai ri et je suis ressorti en me disant que les questions de genre, de sexe, d'attirance n'avaient rien ni de culturel ni de moderne, mais étaient très... médicales.
La pièce montre Herculine heureuse et Abel malheureux. Hermaphrodite est une divinité grecque. Les individus non binaires ne datent pas d'aujourd'hui, et il n'y a aucune raison scientifique qu'il y en ait plus en occident qu'au Qatar. Porter un brassard "one love", ce n'est pas imposer sa culture, c'est imposer sa science, on pourrait même dire "La" science, qui se fiche du sexe des anges.
Il est belle, il est beau décrié L'outragé mais j'en ai rien à faire [5] |
Aux doutes, à l'émotion d'Herculine puis d'Abel, la science apparaît froide, brutale, non négociable, surtout dans un environnement très religieux qui lui interdit l'amour de Sara, peu importe le sexe décrété par les médecins. Est-ce que si cette histoire se produisait aujourd'hui la fin serait moins tragique ? Pour beaucoup de femmes, une ablation d'un sein ou de l'utérus suite à un cancer est vécue comme une perte de l'identité. J'imagine qu'il en va de même pour ces messieurs. Les mentalités évoluent, heureusement, et ce genre de spectacle qui nous prend doucement par la main pour partager la souffrance des autres y contribue.
Et on se prend la main,
Un garçon au féminin,
Une fille au masculin... [6]
- Herculine Barbin, archéologie d'une révolution.
- A. H. Barbin, mes souvenirs, 1868
- Tweet de Guillaume Peltier
- Abel Barbin. Wikipédia
- E. Piotelat, Fêtes, origami thérapie, 11/2022
- Indochine & Christine and the Queens - 3SEX
Commentaires