J'avais l'intention d'écrire une critique du livre de Nathalie A. Cabrol "Aux frontières de la vie" [1]. A l'heure où 2021 s'achève et où beaucoup s'interrogent sur leur survie, celle de leurs proches, celle de la vie sur Terre en 2022, je vais plutôt parler de toutes les lueurs d'espoir que j'y ai trouvées. J'ai pris le temps de le lire, en m'interdisant de sauter des passages, en restreignant quelque fois la lecture au samedi matin, en écoutant la bande son du film Contact, histoire de prolonger le voyage sur Mars. Au fil des pages, j'ai noté des passages particulièrement forts. Chacun mériterait un billet de blog, comme lors du dernier changement de saison [2].
J'étais née exploratrice intrépide et libre dans ma tête, et je me sentais prise au piège dans une autre dimension. La graine venait tout juste d'être plantée mais je voulais déjà être un arbre.
En 2022, je souhaite que les étudiants comme les écolières retrouvent cette liberté, ce désir d'explorer, qu'iels gardent cet espoir, cette lumière, ces étoiles dans les yeux qui nous invitent à dépasser les limites. Etait-ce plus facile avant ? Etait-ce différent ? Quand on entend un candidat prôner le retour au "par cœur" pour que le fils de paysan devienne ingénieur, tous ceux et toutes celles pour qui l'ascenseur social a fonctionné savent que réciter ses tables de multiplication ou le Dormeur du val [3] n'est pas le plus important.
Un des moments forts pour moi en 2021 aura été la rencontre avec Nora Fraisse, même si elle n'a duré que quelques minutes [4]. Nathalie A. Cabrol a aussi connu des échecs et des moments de doute. Dans l'avant-propos elle évoque les fantômes du passé que la rédaction du livre l'a amenée à affronter. Beaucoup affrontent les mêmes fantômes aujourd'hui. Page 64, elle dresse leur portrait :
J'étais une cible facile pour les mauvaises plaisanteries, et bien plus bêtes que méchantes, elles représentaient quand même une forme de harcèlement. Avec le temps, cela créa une souffrance intérieure que je ne comprenais pas et que j'avais besoin d'exprimer. [..] Puisque je ne comprenais pas ce que je ressentais, j'ai commencé à me faire du mal physiquement [..] Et puis un jour, j'ai fait une fugue.
Quand j'étais au collège, j'ai écrit au CNES pour demander quelles études il fallait faire pour être ingénieur. Je pensais être la seule adolescente assez cinglée pour faire ça. Ça m'a amusé de voir que Nathalie Cabrol avait écrit à Jacques-Yves Cousteau et à l'observatoire de Paris. Avec le recul, je pense que nous sommes des tas d'explorateurs un peu perdu, a avoir envoyé des bouteilles à la mer. Certaines ont eu des réponses. Je ne remercierai jamais assez Guy Pignolet de Sainte Rose de m'avoir dédicacé un petit livret "Les enfants de l'espace". [5]
Je me dis que Nathalie A. Cabrol a eu les mêmes professeurs, que moi quand elle écrit page 84 :
"La plongée était autant une passion que l'astronomie et je grandissais entre Cosmos de Carl Sagan et Le Monde du silence de Jacques-Yves Cousteau"
Ce n'est pas très étonnant, vu que dans les années 80, il n'y avait que deux ou trois chaînes. Si le fils de paysan a pu devenir ingénieur, chercheur, il le doit peut-être plus à la programmation scientifique et technique, qu'aux poèmes de Jacques Prévert et autres dates historiques apprises par cœur. Pas sportive pour un sou, je n'admirais pas Cousteau pour ses exploits en plongée, mais pour son bateau, l'Alcyone ou les diverses solutions trouvées par les ingénieurs pour résoudre des défis techniques liés aux caméras ou aux combinaisons de plongée [6].
Pas plus que l'apprentissage par cœur, mettre les enfants devant Cousteau ou Sagan, ne réparera l'ascenseur social. A cause de sa lenteur, le "Monde du silence" est impossible à regarder sans zapper ou faire des origamis. Utiliser un explosif pour compter les poissons morts et savoir combien il y en avait à tel endroit, n'est éthiquement plus possible. Cependant, en lisant "Voyage aux frontières de la vie", j'ai retrouvé ce sens du merveilleux, cet incroyable pouvoir qu'avaient Jacques Yves Cousteau, Carl Sagan, mais aussi Jean Heidmann ou André Brahic de nous prendre par la main et de nous amener à ouvrir de grands yeux sur les anneaux de Saturne, sur un caillou, une plante, un animal, un objet qui de premier abord ne nous intéressait pas.
Un volcan en Bolivie ? Un lac sur Mars ? On s'en fiche... Le tour de force de l'autrice est de nous amener avec elle dans sa plongée , un peu comme si notre propre vie en dépendait. En suivant sa bataille pour que la NASA envoie une sonde sur le cratère Gusev, je me suis dit que ce nom n'évoquait rien du tout... Et puis, quand elle a évoqué "Spirit", l'image a de suite surgit... C'est peut-être ce qui différencie une vocation d'ingénieur de celle d'un chercheur : s'intéresser plus à l'objet technique qu'au but de son exploration.
Grâce au voyage de Spirit dans les collines, nous avons appris non seulement que tous les ingrédients favorables au développement de la vie étaient présents à Gusev il y a 3,8 milliards d'années, mais qu'ils étaient aussi présents tous en même temps.
J'imagine la Terre suivant le même chemin que Mars... Aux Ulis, il n'y aura plus d'eau dans le parc nord, mais un robot viendra y chercher tous les déchets laissés par les humains :
Aujourd'hui, il n'y a pas besoin d'explosif pour que les cadavres de poissons flottent à la surface, ou que les égouts de la ville parfument le lieu... Dans combien de dizaines, de centaines, de milliers d'années des sondes trouveront-elles des traces de ce désastre écologique local ?
Nous sommes le 31 décembre, il fait un peu moins de 20°C sur mon balcon. Face au changement climatique, beaucoup d'étudiants pensent s'être trompés de filière et aimeraient faire quelque chose. Pour eux aussi, les propos de Nathalie A. Cabrol sont porteur d'espoir. En évoquant une expédition en 2006, elle explique :
A partir de ce moment, j'ai pris la décision d'utiliser les données que je collectais à deux fins : l'exploration planétaire mais aussi la caractérisation de l'impact du changement climatique sur notre propre planète et sa biosphère. Les données étaient les mêmes, seule la perspective et le but de l'analyse étaient différents.
Pour conclure, l'immense espoir que suscite le livre est résumé par la phrase d'un enfant, dont l'école a échangé avec Nathalie A. Cabrol et a mené une expédition au sommet d'un volcan :
"Je ne savais pas qu'un gamin comme moi aurait un jour la possibilité de faire quelque chose comme ça".
Pour mettre en marche l'ascenseur social, pas besoin de retour à un passé qui n'est plus. Il suffit juste d'appuyer sur le bouton, en disant aux intrépides, aux curieux : "Vas-y", ou "Viens !". Aucun enfant ne devrait être fataliste au points de dire "un gamin comme moi", où qu'il soit né...
- N. A. Cabrol, Voyage aux Frontières de la Vie, Seuil, 09/2021 EAN 9782021465259
- E. Piotelat, Cinq saisons, 12/2021
- E. Piotelat, Mémoire et coquelicots, 11/2021
- E. Piotelat, Camélia face à la meute, 09/2021
- G, Pignolet de Sainte Rose, Les enfants de l’espace – Guide élémentaire pour la deuxième génération d’un monde solarien, 1993
- (20) La Collection COUSTEAU - Alcyone, fille du vent (1985) - Cap Horn les eaux du vent (1986)
Commentaires
J'ai étudié en histoire. Je le vois surtout comme un moyen de comprendre le monde actuel, savoir d'où l'on vient, éviter les erreurs du passé, trouver d'autres pistes. La course à l'espace m'a fait rêver aussi. Mais pour moi c'était inatteignable. La fiction m'a donc permis de faire le pont. Vers l'espoir d'un monde meilleur, socialement parlant.
"des gens comme moi" me fait immanquablement remonter en mémoire le final de Babylon5 : "Babylon 5 was the last of the Babylon stations. There would never be another. It changed the future…and it changed us. It taught us that we have to create the future, or others would do it for us. It showed us that we have to care for one another, because if we don't, who will? And that true strength sometimes comes from the most…unlikely places. Mostly though, I think it gave us hope—that there can always be new beginnings…even for people like us." JMS
cordialement un admirateur secret