Suicide climatique

Hier, quand je me suis réveillée, il n'y avait pas un brin de vent. J'ai pu déposer des pétales de rose et des grues en papier sur la rambarde du balcon sans que rien ne bouge.

Ce 8 août, à midi, il faisait 40°C sur le balcon à l'ombre. A 14 heures, ils faisait 44°C.

Pendant ce temps, les avions défilaient. Le monde d'après est vraiment pire que le confinement... 

C'est dans cette atmosphère moite où je naviguais entre la salle de bain, mon smartphone et l'ipad que j'ai découvert que Bernard Stiegler avait mis fin à ses jours [1]. En lisant le mot "suicide", les questions sur la disparition de Sonia ont refait surface [2]. Même si Lujanne [3] m'a expliqué qu'il ne fallait pas cherché à voir la partie de la Lune qui était dans l'ombre,  cette information m'a interpellée. 

Hier à 14h, je ne savais pas qui était Bernard Stiegler. Je ne l'avais jamais écouté, jamais lu, ou alors, je n'avais pas fait attention au nom de la personne qui écrivait ou parlait. En cherchant à me coucher moins bête, le premier autre nom qui est apparu est Greta Thunberg, dont il parle dans son dernier ouvrage. Dans le bain, j'ai pris le temps d'écouter l'intégralité de cette interview...


Le 10 septembre 2019, Sonia écrivait sur Twitter [4] : 

"Je pourrai pas être à la marche pour le climat le 20 vu qu'en tant qu'étudiante en licence de sciences pour l'ingénieure je considère que pour lutter contre le réchauffement climatique il faudra des juristes, des ingénieurs et de chercheurs mais sinon allez y"

Cela correspond tout à fait au "Osons" de Kant dont parle Bernard Stiegler. Osons le savoir, osons faire des études exigeantes, osons passer le bac en candidat libre pour aller plus vite [5]. Il y avait une matière qu'elle ne supportait pas, c'était le PPP, ou "projet professionnel personnalisé". Les TD consistaient à surfer sur le site de l'ONISEP et à remplir des tableaux avec ses compétences et celles qui sont attendues dans diverses professions. Sonia était à l'université pour découvrir, pour apprendre, pas pour choisir un métier. Les matières comme la thermodynamique ou la modélisation et simulation numérique l'intéressaient justement parce qu'elles étaient difficiles. Peut-être pressentait-elle qu'elle en aurait besoin pour comprendre le changement climatique ? 

Sonia défendait Greta Thunberg chaque fois qu'elle en avait l'occasion. Le "How Dare You ?" était le sien. Je me souviens qu'elle m'avait montré amusée cette version métal du célèbre discours à l'ONU en septembre 2019 : 

Sonia faisait partie de la "génération Thunberg" dont parle le philosophe. Peut-être a-t-elle cru à la fin de l'anthropocène avec le confinement ? Sonia est décédée lors d'un pic de chaleur. J'ai très peu dormi cette nuit, et j'en ai profité pour noter la température qui refusait de baisser. 

Comme le jour du décès de Sonia, j'ai ouvert les fenêtres à 5h30 du matin pour essayer de faire baisser la température à l'intérieur de l'appartement [6]. Sonia aurait-elle supporté cette nouvelle canicule, plus intenses que celles qu'elle a connu jusque là ? On n'a jamais eu 44°C sur le balcon.  A-t-elle été découragée par les efforts qu'il fallait fournir pour acquérir les connaissances nécessaires afin d'appréhender les changements climatiques, dans cette période perturbée avec des conditions d'examen horribles [2] ? Elle répétait souvent que seuls ceux qui venaient de prépa réussissaient. 

Bravant la vigilance rouge, je suis allée au cimetière ce matin très tôt. Autour de sa tombe, j'y ai trouvé l'entropie biologique dont parle Bernard Stiegler : des insectes, des jeunes pousses qui surgissent là où il n'y avait que de la terre. 

Pourquoi Bernard Stiegler a-t-il choisi de mourir avant cet épisode caniculaire ? Certes, il était malade, et cela ne me regarde pas... 

De retour, j'ai regardé les avions défiler à Orly. Le monde d'avant est bien là. On n'a rien retenu. 

Il a fait un peu moins chaud aujourd'hui, même si l'on a dépassé les 40°C. Mais comment la génération Thunberg peut-elle communiquer avec ceux qui prennent des décisions ?  Pourquoi les seuls reportages sur la vigilance rouge consistent-ils à interroger des gens qui ont chaud ou sont au bord des plans d'eau ? Pourquoi est-ce qu'aucun journaliste ne parle des prévisions du GIEC ? Pourquoi très peu osent prononcer le mot de "changement climatique" ? C'est devenu tabou ? Comme le suicide de Bernard Siegler ? 

  1. Bernard Stiegler, le grand philosophe français d'Epineuil-le-Fleuriel, est décédé, Le Berry Républicain. 
  2. E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020
  3. Lujanne, The Dragon Prince fandom
  4. Tweet d'Elie PK
  5. E. Piotelat, L'inscription au bac, 07/2020
  6. E. Piotelat, Un mois, 07/2020
  7. E. Piotelat, 30 ans, 07/2020

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