Bob Morane contre Goldorak

Il y a 40 ans, le 3 juillet 1978, une partie de la France était terrorisée par un robot qui envahissait les écrans : Goldorak. A écouter Ségolène Royal et autres pseudos spécialistes, ce dessin animé aurait dû faire de moi quelqu'un de violent. Grâce à lui, je suis devenue ingénieur [1]. La crainte de l'intelligence artificielle, des robots, des écrans [2] n'est pas nouvelle ! A part l'idée foireuse d'autisme virtuel [3], Mme Ducanda n'a rien inventé et tient un discours vieux de quatre décennies.


La semaine dernière, dans la nouvelle "boîte à livres" de la gare d'Orsay, j'ai trouvé un trésor : "La revanche de l'ombre jaune", publié en 1959 aux éditions "Marabout Junior". Je n'avais jamais lu d'aventure de Bob Morane avant, et la curiosité m'a poussée à l'emprunter, Une riche écriture, des explications scientifiques, mais aussi de la violence, de la xénophobie et  du racisme, comment pouvait-on laisser ça dans les mains des enfants de 1959 ?


Ecriture : 

Dès les premières phrases, l'écriture d'Henri Verne surprend par la richesse du vocabulaire utilisé en particulier dans les descriptions. Bob Morane est à Paris, il s'arrête pour observer un mendiant qui fait faire des tours à son singe (page 6):
L'intelligent animal semblait parfaitement dressé et, bien qu'il eût passé l'âge, où avec un peu d'inconscience, on admire les animaux savants, l'homme aux cheveux en brosse arrêta la voiture pour contempler les mimiques et cabrioles du quadrumane. En même temps, sans le détailler vraiment, il regardait le bateleur. C'était un homme maigre et courbé, mais qui avait dû être très grand avant que le rhumatisme ne tordit sa taille. Il portait une sorte de long caftan, verdi et déchiré [..]  
Le succès de Goldorak doit aussi beaucoup à la qualité de l'adaptation en français d'après Sarah Hatchuel, qu'il s'agisse des noms inspirés des étoiles (Rigel, Alcor) ou de la mythologie. [4] Le petit écran a fait de nous des astronomes !

Science :

La principale énigme scientifique de Goldorak, ce sont les 2 demi-tours que fait Actarus quand il passe des commandes du vaisseau à celle du robot. Quelle surprise de voir que ce problème soulève presque autant de théories [5] que le paradoxe de Fermi (où sont-ils ?).

 
La principale source d'intérêt scientifique de Bob Morane est la main de Ming, alias l'ombre jaune. On découvre uniquement la main que le héros affronte sans trop comprendre comment elle peut réagir aussi vite et avec autant de précision.


Page 71 (alerte spoiler), on découvre les opérations chirurgicales que fait subir l'Ombre Jaune à certains hommes pour qu'ils meurent à sa place si nécessaire :
Là-bas, dans mon repaire d'Extrême-Orient, je m'étais donc fabriqué une série de doubles en sélectionnant des hommes dont la morphologie ressemblait à la mienne et que, par différentes opérations de chirurgie plastique, je rendis exactement pareils à moi, allant même jusqu'à leur tatouer la cornée afin de donner à leurs yeux la couleur des miens. Des doubles qui, comme moi, avaient la main droite coupée au ras du poignet.
Le livre de poche se termine par deux pages d'explications sur l'influx nerveux dans une chronique "Marabout Chercheur".


Violence

Bob Morane est bien plus violent que Goldorak. Tout au long des pages, les dacoïts [6] sont blessés, ou meurent, peu importe. Ces intouchables brigands ont été recrutés en Inde par l'Ombre jaune.

La violence atteint son paroxysme à la fin où Bob Morane meurt (si, si...) afin de pousser les jeunes lecteurs à acheter le volume suivant "Le châtiment de l'ombre jaune". Aujourd'hui, certains critiquent le côté addictif des jeux vidéos. En 1959 déjà, les enfants étaient poussés à consommer plus, non pas en recevant des récompenses, mais parce que l'on ne retrouvait pas le corps de Bob Morane.


Je n'ose même pas imaginer l'état de psychose qui aurait régné en France si Actarus était mort un mercredi et qu'il eut fallu attendre une semaine pour apprendre qu'en fait, il avait survécu.


Une pensée au passage pour Alain Roux, alias Corbier qui a rejoint Cabu cette semaine [7].

Racisme et xénophobie

En 1959, la France a encore quelques colonies. La description du chinois Ming  (page 6) se poursuit comme ça :
"Un visage large, mongoloïde, à la peau légèrement olivâtre, aux pommettes saillantes, au nez épaté."
Pour les dacoïts, on a droit au verbe "dresser", comme s'ils étaient des animaux :
"Des hommes sans pitié, sans scrupules, et dressés au seul métier de tueur - si métier il y avait bien sûr."
Henri Vernes nous présente ensuite les habitants des îles Andaman (page 81) avec une analogie simiesque (et pas le singe intelligent du début, non...).
Il s'agissait de petits hommes, hauts d'un mètre quarante à peine et vêtus de mauvais habits de toile. Leurs faces noires, couronnées de cheveux crépus,  accusaient des traits nettement négroïdes : mâchoires prognathes, bouche lippue, nez exagérément épatés. Une expression d'abrutissement féroce marquait en outre ces visages disgraciés. Tels quels, leur station debout mise à part, ces êtres semblaient plus proches de la bête que de l'homme.
[..] Perdus dans les jungles du petit archipel situé à l'écart des grandes lignes de communication, en plein golfe du Bengale, ces êtres vivent encore à l'état de sauvagerie pure, à tel point que, longtemps, on les prit pour des singes.
On pourrait imaginer que l'auteur a besoin d'un trait négatif pour décrire les ennemis du "Français". Mais dans ce cas, pourquoi sont-ils tous étrangers, souvent identifiés par leur couleur de peau ?  Ségolène Royal, née en 1953, a-t-elle eu peur de l'ombre jaune quand elle était enfant au point de croire qu'un péril s'abattait sur la France avec l'arrivée de Goldorak il y a 40 ans ?

Dans ce dessin animé, aucune peur de l'autre, au contraire... Alcor parle drôlement bien notre langue pour un martien !


Il ne me reste plus qu'à remettre Bob Morane dans la boîte à livres de la gare RER d'Orsay, dans l'espoir que des pourfendeurs des écrans et de la culture manga le trouvent. Mme Ducanda et ses sbires se rendront compte que ce livre comporte bien plus de violence que n'importe quel anime.


Mise à jour 4 juillet :

Ma fille m'a parlé de cette vidéo de Caljbeut à la gloire d'une anonyme Ségolène :

  1. Enfin, c'était surtout Albator, comme je le raconte dans ce billet : "Parcours chaotique"
  2. Ciel un écran, mars 2018
  3. Cirque virtuel, mars 2018
  4. Philippe Guedj, Goldorak est une épopée écologiste qui touche au mythe.
  5. L'affaire Goldorak
  6. Dacoït (Wikipédia)
  7. François Corbier, le chanteur du Club Dorothée, est mort à 73 ans

Commentaires

Emmanuelle a dit…
Tiens, on a tenté de faire voir les Goldorak aux nains... ce qui les a frappés, c'est le "nunuchisme" des personnages féminins, pas la violence (personnellement, je la trouve suffisamment peu réaliste)...