A toi, Eliane

Hier soir, je regardais Cash Investigation sur le salaire des femmes. Je me disais que rémunérer des métiers en fonction des prises d'initiatives comme le font les Québécois était une bonne chose. Une infirmière ne sait pas ce qu'est la routine, elle prend des décisions, assume ses responsabilités. 
Aujourd'hui, j'ai appris le décès de ma tante, de ma marraine, Eliane Chanussot. 


C'était un pivot, quelqu'un sur qui l'on pouvait toujours compter, quelqu'un qui donnait beaucoup, qui se dépensait beaucoup. Je l'ai toujours connue exerçant mille métiers à la fois. Agricultrice le matin, cuisinière à midi, elle soignait les petits et gros bobos de tous, était toujours à l'écoute, apportait son aide à qui en avait besoin... 

 

Je ne la voyais pas souvent, mais je sais que si je passais chez elle lors d'un séjour en Bresse, elle serait toujours là pour m'accueillir. Chaque fois que j'arrivais, elle était toujours occupée, à l'écurie, ou au jardin, ou dans son garage, si ce n'est dans sa cuisine. Mais elle posait tout, nous accueillait, nous proposait un café, des gâteaux faits-maison, et puis on discutait, de tout, de rien... Quoi de neuf à Paris ? Oh, pas grand chose...


La dernière fois que nous avons échangé par téléphone, c'était en plein confinement. Elle me racontait qu'elle ne discutait plus en faisant ses courses à "U", qu'elle prenait des précautions. Les agriculteurs n'arrivaient plus à vendre leur lait. Et puis, le 5 mai dernier, elle m'a envoyé un sms, me disant qu'avec sa nouvelle dizaine (elle venait d'avoir 70 ans), elle faisait partie des personnes à risque maintenant. 

Le risque, ce n'était pas le SARS-Cov2. Il était présent depuis plus longtemps. D'ailleurs, peut-être voulait-elle parler du risque de suicide ? Je n'ai pas voulu le voir, j'ai regardé ailleurs. Comment une femme de mon entourage pourrait-elle être victime de violences ? Une femme de 70 ans ? Alors oui, on parle de violence conjugale. Non, ce n'est pas ça qui l'a poussée à commettre l'irréparable. C'est pire. 

Je suis loin, je peux juste imaginer la scène d'horreur. Les photos qui ornaient son salon toutes renversées, déchirées, comme si ce passé n'était plus le sien. A 70 ans... 


Oui, j'avais entendu parler de conflits familiaux, mais non, je ne voulais pas m'y intéresser. Ça existe dans toutes les familles, le temps effacera les querelles... Et puis, c'est aussi l'avantage d'habiter loin. On voit tout ça depuis Sirius. Et puis, quand on discute avec les uns, avec les autres, on parle d'autre chose que des conflits, on parle de Paris, on parle de voyage, de tomates, de radis, de gâteaux, de santé, de poissons, de vaches... 

On ne veut pas voir les plaies ouvertes, les blessures. Et puis, c'est bien pratique la violence psychologique. Ça ne se voit pas... La victime n'a pas forcément envie d'en parler avec une nièce de plus en plus lointaine, ou une tante éloignée. Quand on lui demande si ça va, bien oui, ça va... Le ciel est bleu, les hirondelles sont de retour, et puis, il y a eu une naissance, une petite fille... 


Maintenant que le mal est fait, que puis-je faire à part rendre hommage à une femme exceptionnelle, que je n'ai pas su, pas voulu écouter ?  

Redonner encore et encore les numéros : 

Suicide Hotline : 116 123
Croix Rouge : 0800 850 850

Ecouter les victimes, j'avoue, je ne sais pas faire... Je suis maladroite. J'ai envie de tendre une main, mais non, ça glisse, j'ai peur de blesser encore plus. J'ai peur d'offrir une rose et de voir la victime se piquer avec, qu'elle ait 7 ou 70 ans. Qu'une fille, qu'une femme soit victime de violence physique, ne serait-ce qu'un simple attouchement, ou de violences psychiques m'est insupportable, inimaginable. 


Encore sous le choc de ce qui s'est passé la nuit dernière, je ne trouve pas mes mots. J'aurais dû lui dire, lui écrire tout cela hier soir, ou pour ses 70 ans, ou avant... Mais non, je ne lui ai jamais dit que j'admirais toutes les initiatives qu'elle prenait, que je me demandais comment elle pouvait gérer tant de choses en même temps, être toujours là où l'on avait besoin d'elle. Je lui ai juste dit merci pour le café, le gâteau... Hier soir, j'ai regardé Cash Investigation sur le salaire des femmes.


Commentaires

Emmanuelle a dit…
C'est normal de ne pas savoir quoi dire. C'est normal d'avoir du mal à entendre, à écouter, toutes ces choses qui font écho souvent trop douloureusement.
Mes pensées vous accompagnent, toutes les trois...