Je n'ai pas pour habitude de lire de la "lit-gen" (littérature générale), encore moins lorsque "les gons courent les rues"... J'ai entendu Michel Houellebecq parler de 2084 de Boualem Sansal :
Ce livre-là est bien et c'est celui que je suis en train de lire.
Ayant apprécié Soumission, je me suis lancée dans la lecture de ce roman, qui a l'énorme avantage d'être de la science-fiction, donc de supposer une intelligence chez le lecteur pour transformer (ou pas) Yölah en Allah ou Gkabul en Islam. Houellebecq aurait-il pu jouer à cela avec le récit de Soumission, ancré à la fois sur le territoire français, avec des guignols politiques contemporains, et dans un futur relativement proche ?
Le personnage principal, Ati retourne à Qodsabad après deux ans au sanatorium. Il y a appris à penser comme tout le monde, dans un pays, où il n'est nul besoin d'être éduqué pour proclamer "Yölah est grand et Abi est son délégué".
Tous en cage
Cette uniformité voulue par la religion est exactement ce qui effraie Snowden dans Citizen Four. A force d'être surveillés, on finit par s'auto-censurer. On perd la liberté de surfer, on s'interdit de rechercher de l'information sur certains sites.
C'est la loi, un oiseau sorti de la cage, fût-ce le temps d'un battement d'ailes, doit disparaître, il ne peut y retourner, il chanterait faux et sèmerait la discorde.
Le peuple
Le peuple serait donc une théorie, une de plus, contraire au principe d'humanité, tout entière cristallisée dans l'individu, en chaque individu. C'était passionnant et troublant. C'est quoi alors un peuple ? (page 64)
Livre 2 Quartier
Les loups
Ati est embauché à la mairie, où la corruption est une autre façon de respirer. Il y rencontre Koa, trop gentil, mais disant à chacun ce qu'il désire entendre.Avec les loups, il faut hurler ou faire semblant de hurler, bêler est la dernière chose à faire. (page 93)La politique des dirigeants européens n'est-elle pas de faire semblant de hurler avec les loups ? Cela fait plusieurs années que les migrants meurent en Méditerranée -souvent des hommes d'Afrique noire- sans que cela créé de hurlement.
Angela Merkel a commencé à hurler sur l'accueil des Syriens. D'autres ont suivi en acceptant les quotas.
Certains loups ont remis des contrôles aux frontières. L'Europe s'est refermée peu à peu...
Où est l'ennemi ?
Boualem Sansal a une analyse pertinente de la situation actuelle :
Pour que les gens croient et s'accrochent désespérément à leur foi, il faut la guerre, une vraie guerre, qui fait des morts en nombre et qui ne cesse jamais, et un ennemi qu'on ne voit pas ou qu'on voit partout sans le voir nulle part. (P105)
Cela rappelle les propos entendus lors des discussions sur le projet de loi renseignement. Comme on ne sait pas qui est l'ennemi, où il est, il faut tout surveiller. C'est à se demander si l'ennemi, ce ne serait pas le réseau lui-même...
On est dans une problématique proche de SETI. On ne sait pas ce que l'on cherche. Comment reconnaître un islamiste radical ? Les Femen ont montré qu'il suffisait d'écouter certains imams. Cette semaine, une vidéo de Rachid Houdeyfa a circulé, avant d'être supprimée. Il explique à de jeunes enfants que la musique est satanique.
L'ennemi, ce n'est pas l'imam, sans doute déjà très surveillé, mais l'enfant qui aura pris ses paroles au premier degré et sera prêt à partir en Syrie ou à déposer une bombe où on lui dira après avoir passé une longue période à tout faire pour qu'on ne remarque pas son comportement. Peut-être ses parents l'enverront-ils à l'école le jour de l'Aïd pour que les enseignants ne se doutent de rien.
Islamophobie :
Quel rapport existe-t-il entre religion et langue ? ... Est-ce la religion qui se crée un langage spécial par besoin de sophistication et de manipulation mentale, ou est-ce la langue qui atteignant un niveau élevé de perfection s'invente un univers idéal et fatalement le sacralise ? (page 112)
Livre 3 : voyage
Livre 4
Boualem Sansal ne dit pas autre chose quand il écrit :
Il découvre aussi que le savoir des uns ne compense pas l'ignorance des autres, et que l'humanité se règle toujours sur le plus ignorant d'entre les siens. (P213)
La dernière phrase que j'ai retenu est celle-là :
La religion, c'est vraiment le remède qui tue. (P247)
En conclusion, lire 2084 fut pour moi une véritable bouffée d'oxygène. J'y ai trouvé une analyse pertinente qui m'a permis de reconstituer le puzzle à partir des "alertes événements" qui polluent les chaînes d'information. L'auteur apporte une lumière, un recul, sur les méthodes et le langage des religions.
Au lieu de nous engluer sur des conflits internes en accusant d'islamophobie ou d'antisemitisme tout intellectuel qui ose penser autrement que ce que souhaite les médias, nous devrions accompagner Boualem Sansal sur Sirius et regarder tout cela de haut afin de mieux comprendre les fins rouages et les grains de sables qui changent le monde.
Enfin, ce roman est clairement de la science-fiction, très influencé par 1984 d'Orwell. Espérons qu'il reste dans l'histoire et soit bientôt lu dans les collèges.
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