10 observations (50)

1/10 Béton

Près de l'arrêt de bus "Université Paris-Saclay", un long tube sort d'une bétonneuse. Le demi-cercle aboutit au niveau des rails de la future ligne 18. Habillés de vestes oranges, les ouvriers s'affairent. 

2/10 Sangliers

La terre a été retournée à plusieurs endroits dans la vallée. Au pied des arbres labourés, on ne trouve aucune pomme de pin. La première trace apparaît à proximité du restaurant universitaire "les cèdres", autour d'une souche. 


3/10 Oiseau bleu

Un bruissement d'ailes témoigne de l'envol d'un oiseau qui s'abreuvait au point d'eau bordé de joncs et de nénuphars. L'oiseau bleu disparaît derrière un bâtiment peint aux couleurs du lieu. Des perruches crient au loin. 


4/10 - Bruits du saule

Dans le parc nord, aux Ulis, une batucada répète le même rythme en se déplaçant : noire, noire, deux-croches noire. Le moteur d'un avion décolle d'Orly. Les canards cancanent. Les poules d'eau font des clapotis. Les feuilles bruissent.   

5/10 - Caloptéryx vierge 

Dans la vallée de la fac d'Orsay, de longues algues vertes suivent le courant. Trois demoiselles noires volent, tournent au-dessus. 


6/10 Le zéro

Le bouton zéro de l'ascenseur est différent des autres. Il est rond. On peut toucher le chiffre ovale en relief à l'intérieur. La traduction en braille est en-dessous. Quatre points forment un L inversé. Trois points forment les deux côtés d'un carré. Il est plus épais et entouré d'une rondelle plastic vert, ce qui le rend moins froid que les autres boutons. 

7/10 La salade détox. 

La marchande d'olives du marché des Ulis propose une salade détox à deux euros. Le goût qui arrive en premier est celui de l'ail, puis vient le persil et la ciboulette. Dans la bouche, la douceur des petits carrés de tomates donne une sensation de frais. Les lentilles fondent sur la langue.  

8/10 Les gouttes de pluie 

Les pétales des tournesols du balcon donnant à l'ouest sont constellés de gouttes de pluie.


9/10 La forêt

Le chemin emprunté par piétons et cyclistes dans la forêt qui longe la route de Montjay est entouré de mousses et de lierre. Après la pluie, le sol humide noir devient doux, spongieux, mais pas boueux. Les pas cassent quelques brindilles.

10/10 Le banc

A l'entrée du cimetière paysager de Bures-Sur-Yvette, une grande couverture blanche recouvre un corps. Des baskets dépassent à une extrémité. A l'autre, une dame aux cheveux grisonnants ouvre les yeux. Son repos a été interrompu.  


Ces dix observations sont ma réponse à l'exercice de cette semaine de l'atelier d'écriture sur le deuil de Megan Devine [1]. Le but est de s'arrêter, de lever la tête, et de regarder les petites choses qui nous entourent et de les décrire sans utiliser de métaphores. Dans ce podcast, Marie Howe décrit combien ses étudiants trouvent cela difficile au début, puis apprécient le jeu au bout de quelques semaines [2].

Cet exercice m'a permis de me rendre compte qu'il y avait des tournesols au balcon d'un immeuble devant lequel je passe régulièrement, ou dans le jardin de l'association Nazario [3]. C'est aussi un moyen de ne pas détourner le regard sur la misère, sans juger. Je m'en veux un peu d'avoir réveillé la dame sur le banc, par crainte qu'elle ait fait un malaise !   

Cette semaine, j'ai réalisé la puissance de la métaphore du père endeuillé dans le Prince des Dragons [4]. Aaravos est enfermé dans une prison, une bille, que l'on découvre à la fin de la saison 5, au fond de la mer de Castout (traduit en français par la mer des Bannis). A la fin de la saison 6, on apprend que la chute de Leola sur Terre a créé un cratère. Son père, Aaravos a pleuré pendant 100 ans et ses larmes ont rempli ce cratère qui est devenu la mer de Castout [5]. Cette image du père endeuillé prisonnier de ses larmes à l'endroit de la chute de sa fille est une belle métaphore de ce que j'ai ressenti suite au décès de Sonia ! 

On sait aussi que l'on nomme Aaravos l'étoile déchue (The fallen star). Pourquoi n'est-ce pas Leola ? Dans une interview,  les créateurs expliquent que la chute d'Aaravos est une métaphore qui fait écho à la chute réelle de sa fille [6]. Lorsqu'on leur demande si les os que l'on voit à la fin de la saison 5 sont ceux de Leola, ils répondent par l'affirmative. Effectivement, la frontière entre la cruauté et la compassion peut être très mince ! Mais que l'image du père endeuillé emprisonné au cœur de son enfant est belle !

Décrire le monde sans métaphore m'a fait le plus grand bien après avoir compris tout cela ! Contrairement aux élèves de la poétesse, ce n'est pas le premier exercice d'écriture blanche que je fais. J'avais joué à cela en 2023 en décrivant une conférence d'Hubert Reeves [7] et en 2021 dans le cadre des ateliers d'écriture de la diagonale Paris-Saclay animés par Pierrick Bourgault [8].


  1. M Devine, Writing your grief weekly
  2. M Howe, The Power of Words to Save Us, 2013
  3. Association Nazario
  4. Leola's death
  5. E. Piotelat, Poussière d'étoiles (S06E09), 08/2024
  6. SEASON 6 INTERVIEW WITH CREATORS OF THE DRAGON PRINCE, AARON EHASZ AND JUSTIN RICHMOND! + Season 7
  7. E. Piotelat, Hubert Reeves, l'origine de la vie, 10/2023
  8. Site de Pierrick Bourgault.

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