L’amphithéâtre du palais d’Iéna est surplombé d’une double coupole de verre et de béton [4]. Près de 400 personnes s’y pressent en cette journée du patrimoine de 2017. Celles qui sont un peu en avance trouvent une place sur un prestigieux siège rouge, les retardataires s’assoient sur les marches blanches des escaliers.
Les lumières s’éteignent. L’organisateur présente l’orateur sous un tonnerre d’applaudissements [1].
A la tribune, l’octogénaire sourit à l’assistance dans sa barbe blanche. L’intelligence, la sagesse et la gentillesse se devinent dans ses yeux malicieux. Derrière ses oreilles, ses cheveux gris forment deux triangles équilatéraux qui semblent symétriques. Il porte un T-shirt noir avec une traînée de poussières jaune vif laissée par une étoile. Au-dessus de lui, l’énorme écran reste blanc. Peu perturbé par ce problème technique, il débute sa conférence sur les origines de la vie en s’étonnant de l’invitation, lui qui est astrophysicien.
Il entraîne son auditoire aux abords d'une galaxie avec ses milliards d’étoiles, puis en louant Hubble, il s’émerveille des milliards de galaxies que l’on peut aujourd’hui observer. Un cygne apparaît sur l’écran géant. Rassuré, il s’assied derrière son ordinateur portable et reprend le cour normal de sa présentation, alternant des mots et des chiffres écrits en noir sur fond uni bleu ciel et les images cosmiques. Il tient le micro dans sa main gauche et fait des gestes avec le bras droit pour accompagner ses propos sur la grande et la petite histoire de l’univers, l’apparition de la vie sur Terre, sur l’intelligence et la complexité du vivant.
Avec humilité, il énonce des questions qui resteront à jamais sans réponse. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Le chèvrefeuille de Malicorne laisse place à de grandes fumerolles. Comment est-on passé d’un amas désordonné de molécules il y a 14 milliards d’années à cela ?
Le silence des espaces infinis l’effraie. Lui qui a étudié la force nucléaire au cœur des étoiles à l’université de Cornell en étant doctorant sous la direction d’Ed Salpeter avec comme professeurs Philipp Morrison, Hans Bethe, ou encore Richard Feynman, rappelle à l’assistance que lors de la guerre froide, l’humanité a été à deux doigts de s’annihiler à plusieurs reprises. Il fait un bon dans le temps et évoque le saccage actuel de la biosphère. Ses yeux se plissent. Sa main droite frappe le bureau comme pour marquer le tempo au rythme des derniers battements de cœur d’une civilisation extraterrestre.
Il imagine sur une lointaine planète des êtres vivants qui commencent par résoudre des problèmes simples comme la quête de nourriture. Puis au fil des siècles, ils découvrent les lois de la physique, celles qui sont les mêmes dans tout l’univers. Ils comprennent d’où vient l’énergie au cœur des étoiles. L’astrophysicien se redresse, son coude appuyé sur le bureau, l’index et le pouce se rencontrent. Il fait une pause. Il demande au public captivé combien de temps il faut entre le moment où cette civilisation découvre la physique et celui où elle s’annihile elle-même [2]. Sur Terre, il n’aura fallu qu’une cinquantaine d’années pour découvrir la bombe H. Il attribue cette réflexion à Enrico Fermi, qui était aussi à Los Alamos avec les meilleurs physiciens de l’époque.
La diapositive suivante apparaît. Il s’agit d’une explosion de couleurs issue de la collision de deux galaxies. Le bleu représente des étoiles naissant dans ce nuage de gaz. L’oxygène, sans lequel nous ne pourrions vivre nous vient de là. Les images de nébuleuses défilent, puis il présente une comète à l'origine de la présence d’eau sur la Terre.
Au bout de cinquante minutes, il referme son ordinateur et demande à ce que l’on remette les lumières. Les questions fusent. Hubert Reeves cherche l’émetteur en parcourant le demi cercle de gradins de droite à gauche, puis en levant les yeux jusqu’aux tribunes sous la coupole. Une vie basée sur le silicium peut-elle exister ? Quand commence le temps ? Et le multivers ? La vie sur les lunes de Saturne est-elle possible ? Avec respect, il répond brièvement à chaque interrogation, puis s’éclipse sous un tonnerre d’applaudissements.
NB : Cet hommage à Hubert Reeves a été rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture de la diagonale Paris-Saclay [5] avec comme défi "L'écriture blanche", c'est-à-dire un récit à la troisième personne sans sentiment, en mode caméra de vidéo surveillance.
Pour réaliser la boule en origami, j'ai suivi le tutoriel de 海進origami [6] en utilisant le papier "space" de la marque "Avenue Mandarine" [7].
- "L'ORIGINE DE LA VIE" - Hubert REEVES, conférence exceptionnelle
- E. Piotelat, Le grand filtre, 08/2021
- E. Piotelat, Paradoxe de Fermi : Le calendrier de l'avent, 12/2019
- Visiter le Plais d'Iéna
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