Il est un livre dont j'entends parler depuis 1988, année de la fatwa, ou 1989, année de sa sortie en français, mais que je n'avais jusque là jamais eu envie de lire, persuadée que c'était une histoire religieuse. En septembre dernier, je l'ai croisé, comme par hasard, en faisant un tour dans la "Barque aux livres", la librairie qui venait d'ouvrir aux Ulis [1]. Je l'ai acheté par curiosité. Je viens de lire les dernières lignes des versets sataniques de Salman Rusdie. J'espère que les autres clients et clientes sont plus rapide que moi !
Des femmes puissantes !
J'ai dévoré les 300 premières pages, captivée par cet univers fantastique aux personnages plus incroyables les uns que les autres. Les principaux sont Gibreel Farishta et Saladin Chamcha, ange, diable, rêveurs... Comment avoir pu prendre ce récit au premier degré ? Ce n'est qu'un rêve. Mais il est difficile de s'en rendre compte en lisant deux pages aux hasard [2] !
J'ai été impressionnée par les nombreuses femmes qui peuplent les aventures mystérieuses. Nasreen, la mère de Saladin, porte un sari avec les nouvelles du jour ; Pamela et les fantômes de ceux qui ont échoué au sommet de l’Everest ; l’orpheline épileptique Ayesha, devenue impératrice ou encore Rekha sur son tapis volant poursuivant Gibreel dans le métro de Londres,
J'ai trouvé de nombreux passages féministes, comme celui qui compare certains hommes à la fée Clochette :
Un homme qui s'invente lui-même a besoin de quelqu'un qui croie en lui, pour lui prouver qu'il a réussi. Pour à nouveau jouer à Dieu, pourrait-on dire. Ou l'on pourrait réduire ses prétentions, et penser à Thinkerbell, la fée de Peter Pan ; les fées n'existent pas si les enfants ne frappent pas dans leurs mains (p77).
Sonia sur les traces de Peter Pan à Londres en 2008 |
Le récit d'un migrant
L'histoire de Saladin est celle d'un Indien, qui à l'instar de Salman Rushdie vient étudier à Londres. Perdu, il s'adapte à la ville et au mode de vie occidental. Quand il retourne chez lui, cela se passe mal, un peu comme s'il avait perdu son identité indienne et que ses proches le lui reprochaient.
Il tombe d'un avion et se retrouve sur une plage, pris pour un étranger illégal par la police. Il subit des humiliations, des moqueries des trois officiers, et finit par se changer en chèvre, ou en diable...
Avec la diversité des lieux et des personnages, l'histoire est un hymne à la tolérance, à l'ouverture à d'autres cultures et une critique du racisme, à mille lieux de ce que j'imaginais en 1989.
L'auteur imagine même la ville de Londres devenue tropicale en laissant Gibreel énumérer des avantages comme une musique de plus grande qualité, des cacatoès sur des tamariniers, la fin de la froideur britannique ou l'interdiction définitive des bouillottes.
Il y a même des extraterrestres !
Un argument qui aurait pu convaincre la lycéenne que j'étais de lire "Les versets sataniques", outre son humanisme et le côté fantastique, est l'évocation des extraterrestres.
Au début du roman, alors que Gibreel Farishta est un acteur X célèbre enfilant le costume de Ganesh et de tout un tas de divinités, Saladin Chamcha prête sa voix à Maxim Alien, le playboy de l’espace, dans une série télévisée appelée « Les extraterrestres ».
En prenant de l'importance Les extraterrestres s'attirèrent des critiques politiques. Les conservateurs attaquèrent l'émission en lui reprochant d'être trop effrayante, trop explicite sur le plan sexuel [..], trop bizarre. Les commentateurs de gauche commencèrent à attaquer sa façon de stéréotyper les extraterrestres, de renforcer leur aspect de monstre, de manquer d'images positives.
Je ne sais pas si à 18 ans, j'aurai saisi toute l'ironie de ce passage ! Le livre de poche comporte 750 pages, donc il est possible que tout lecteur, toute lectrice, trouvera sa lampe magique à frotter, des lignes pour éclater de rire, d'autres pour s'émerveiller et sans doute quelques unes pour protester ! J'ai eu un peu de mal à me passionner pour les 400 dernières pages, sans doute parce que l'effet de surprise était passé... et peut-être aussi parce qu'il y avait moins d'extraterrestres et de merveilleux.
- E. Piotelat, Des livres débarquent aux Ulis, 09/2023
- E. Piotelat, Le couteau, 04/2024
Commentaires