Les extraterrestres ont-ils besoin d'une prophète et d'une ambassade ?

Après avoir déclaré "J'ai un dragon cracheur de feu dans mon garage !", aujourd'hui je clame haut et fort "Je suis la prophète des Lolols. Lors d'une visite amicale sur leur planète, ils m'ont demandé de construire une ambassade sur Terre afin de préparer leur venue en 2035. Nous sommes leurs enfants et le blog de la fille d'un alien était prémonitoire". [1][2] 

Des extraterrestres amicaux, intelligents, évolués ont-ils besoin de tout ce folklore pseudo religieux ? Je ne parle même pas de la dépense énergétique pour venir nous serrer officiellement la pince ou me proposer une balade !

AI-Girl Generator : Prophète accueillant des extraterrestres

L'excellence française

Le 7 février dernier, la plateforme Netflix a publié un documentaire en 4 épisodes sur une secte bien de chez nous [3]. Je ne m'étendrai pas sur les questions liées au clonage, ni sur la sexualité, afin de me focaliser sur les extraterrestres. Comme toutes les sectes, ce mouvement vend du prêt à porter (formule empruntée à Nathalie [3]) : bonheur, amour, spiritualité, quête de sens, vie éternelle, etc... Son originalité vise à extorquer 10% du salaire des adeptes pour construire une ambassade destinée à accueillir des extraterrestres. 

Extrait du blog de la fille de l'Alien [2]

A l'origine de ces millions d'euros qui dorment en Suisse (ou aux Bahamas), se trouve un français ayant connu quelques échecs dans la chanson et la course automobile. Enfant, personne ne croyait ses bobards, mais il a suffit d'un livre et de quelques passages TV en pyjama pour qu'il connaisse le succès et la renommée intergalactique en affirmant avoir été enlevé par des extraterrestres. La course à l'audience avec le sensationnel ne date pas d'aujourd'hui, ni des chaînes d'info ou des réseaux sociaux !  

Comme ce pays ne sait pas garder ses talents, son mouvement a été classé comme secte en 1995 et le prophète s'est exilé au Québec, où il a construit un parc d'attraction. Je n'ose même pas demander aux Lolols  si tout ce kitsch ne nuit pas à la représentation que les terriens se font d'eux. 

Ajouter un peu de vocabulaire scientifique comme panspermie et clonage, contribue aussi à passer pour quelqu'un de sérieux. Ce succès date de l'époque où Jean-Claude Bourret était journaliste et où l'astrophysicien Jean-Pierre Petit écrivait des livres sur l'origine extraterrestre des OVNI. Dolly, la première brebis clonée est née le 5 juillet 1996 [3]. Qu'une guide de la secte, titulaire d'un doctorat de chimie analytique à l'université de Dijon, prétende qu'elle a un dragon dans son garage, ou plutôt qu'elle a cloné un bébé, est passé comme une lettre à la poste et a suscité aussi bien l'intérêt médiatique que celui du congrès américain. La vie éternelle n'est pas gratuite et les candidats au clonage ont dû débourser quelques centaines de milliers de dollars !  On n'a pas attendu la crise du COVID pour avoir des chercheurs de renommée internationale ! 

Cette excellence scientifique va de pair avec le rejet de la théorie de l'évolution puisque les extraterrestres nous ont créés. Ces clowns oublient aussi l'impossibilité de dépasser la vitesse de la lumière, puisque les Lolols y arrivent ! Utiliser le lexique scientifique n'est pas incompatible avec l'ignorance des cours de science niveau collège. 

OVNI : la vérité enfin révélée à Dijon !

S'il me semble important d'en parler ici au lieu de taire l'existence du documentaire et de la secte, c'est parce que j'aurais pu en être victime. L'histoire se passe en 1990 à Dijon. J'étais en classe préparatoires au lycée Carnot. Mon intérêt d'adolescente pour les OVNI s'était transformée en curiosité avec pas mal d'éclats de rire. L'astronomie et la science-fiction m'avait ouvert des portes derrière lesquelles je trouvais plus d'émerveillement. 

Un samedi matin, cherchant à me nourrir entre deux exercices de maths ou de physique, j'ai vu des affiches un peu partout dans les commerces de Dijon : "OVNI, la vérité enfin révélée !" avec un rendez-vous à 14h au jardin Darcy. J'étais convaincue que je ne prenais aucun risque en y allant et qu'au pire ça me changerait les idées avant d'attaquer la physique. 

C'était super cool. On a fait une méga ronde en se donnant la main, ce qui changeait des inversions de matrices. Il y'avait un magnéto aussi bon qu'une IA générative pour raconter n'importe quoi, la lumière vient du ciel, pénètre dans ta tête, tu es détendue, etc... Le documentaire sur Netflix évoque la méditation, qui était jusque là très peu pratiquée en France. Se sentir mieux après des exercices de respiration, c'était nouveau !  

A la fin, une dame m'a demandé mon adresse, mon numéro de téléphone. A l'époque, il n'y avait pas de smartphone, et donc j'ai donné le numéro des mes parents et leur adresse, sans trop me méfier. J'étais hyper relaxée, prête à affronter n'importe quelle transformée de Fourrier. Quelques semaines plus tard, j'avais oublié cette rencontre quand j'ai reçu une brochure de la secte et que mes parents ont raccroché au nez d'une gentille dame qui cherchait à me vendre un bouquin.  

Ce n'est pas avec mes économies d'étudiante que j'allais financer une ambassade et même à 20 ans, je n'avais pas le physique des prostituées que l'on voit dans le documentaire. Est-ce que des extraterrestres ont envie d'être accueillis par des femmes nues ? Si c'est le cas, je serais la première à leur dire d'aller voir sur Jupiter si j'y suis ! 

Un danger toujours présent

Dans le quatrième épisode du documentaire, on voit un vieillard coulant une vie paisible au Japon, toujours entouré de jeunes anges, qu'il présente comme sa femme et son assistante. Cela donne le sentiment que le mouvement ne présente pas plus de danger qu'un pot de moutarde à Dijon [6]. 

Si dans les années 90, le moteur de la secte était la curiosité pour le phénomène OVNI, celle-là même qui m'a incitée à jeter un œil au jardin Darcy, on voit que le discours s'adapte et que les aspirants prophètes sont nombreux. Le documentaire donne la parole aux guides canal historique en France, qui ne regrettent rien de ces 50 années de bonheur grâce à la secte. On y voit aussi des africains prêts à gober n'importe quel propos qui commence par "les colonisateurs vous ont menti, vous ont imposé leur religion, etc, etc...", peu importe que cela vienne de nouveaux colons !   Amasser de l'argent pour construire une ambassade dans le désert, c'est une sorte de revanche : "Les derniers seront les premiers."

Pour ma part, j'ai refusé d'être prophète des Lolols. Je ne suis pas certaine d'être disponible quand ils arriveront en 2035. Ils sont assez débrouillards pour manipuler tout ce qui restera de vivant sur cette planète sans moi ! Si vraiment ils ont besoin d'intermédiaires, les fourmis sont assez nombreuses et assez bien réparties sur la planète pour faire le boulot. Et puis, s'ils ont été capables de créer l'espèce humaine, modeler la prophète idéale ne devrait pas être un soucis ! 

L'ambassade ? Je pense que des petites mosaïques réparties à travers le monde pourraient être perçues comme un signe de bienveillance. Au cas où les Lolols aient une taille microscopique, ils pourront même s'y abriter !

1. E. Piotelat, Le Dragon dans mon garage, 2024
2. S. Piotelat, Blog de la fille d'un l'alien, 2016
3. Netflix, Raël, le prophète des extraterrestres, 2024
4. N. Faure, Prêt à porter ou sur mesure ?, 2024
5. Amphiscience, L'histoire de Dolly, 2018
6. E. Piotelat, Invasion extraterrestre, 2024