Les insolents

 Si "Les insolents" [1], le dernier roman d'Ann Scott n'avait pas remporté le prix Renaudot 2023, j'aurais ignoré son existence, alors que "La grâce et les ténèbres" fait partie des livres qui m'ont le plus touchée ces dernières années [2]. 


Vous auriez le prix Renaudot ?

J'avais regardé, comme si comme ça, à quoi ressemblait cette rentrée, soit en me baladant dans la nouvelle librairie des Ulis "La Barque aux livres", soit en naviguant sur Babelio et son défi de critiquer  les 463 titres de la rentrée littéraire 2023. Si j'avais vu qu'Ann Scott faisait partie de ceux-ci, aucun doute que je me serai jetée dessus, mais il m'a échappée... 

A l'annonce du prix Renaudot, j'ai donc cherché à me procurer "Les insolents", tout d'abord aux Ulis, où l'on m'a répondu qu'ils n'avaient pas encore reçu les prix littéraires, mais peut-être la semaine prochaine.La semaine suivante toujours rien, y compris à Orsay, qui avait pourtant le livre ayant reçu le prix Goncourt. Finalement, c'est en allant prendre le train pour la Bourgogne que j'ai trouvé "Les insolents" à côté du Général De Gaule et de Britney Spears. 

On pourrait mal résumer l'intrigue en écrivant juste "Quitter Paris". Ce serait oublier les questions de physique omniprésentes, sur les trajectoires, les vitesses à laquelle on répond à un SMS dans la capitale ou en Province.  Une parisienne qui se promène en bord de scène est-elle la même personne que celle qui ère sur une plage déserte ? 

Le fantôme de Sonia

Ce livre est plein de fantômes. Il y a tout d'abord Lou Reed et David Bowie, avec lesquels la musicienne Alex ne cesse de discuter. Major Tom a-t-il écrit ces lignes ? 

Elle essaye de compter les étoiles qu'elle distingue dans le ciel bleu marine. Elle n'avait pas imaginé qu'ici on en verrait autant et que le ciel serait si spectaculaire, si dégagé, si vaste.

La lecture est très agréable, un peu comme si on écoutait une mélodie, des notes jouées à la perfection au piano. C'est une ballade, le long d'une route départementale, avec ses dangers et ses mystères, comme ce voisin possédant une arme, ou ceux dont on devine à peine la présence. 

Crue de la Seille à Frangy-en-Bresse. Nov 2023

Après avoir lu "La grâce et les ténèbres", j'étais incapable de rédiger une critique digne de ce nom [4]. Le personnage principal, Chris, c'était celui qui échangeait avec Sonia, qui lui avait permis de moins subir l'horreur des attentats de 2015 en utilisant l'humour. J'avais aussi découvert cette histoire de personnes qui décèdent à domicile pendant les périodes de canicule [5].  

Le deuil est un personnage secondaire du roman "Les insolents". Il prend souvent la forme de fantômes. 

Margot qui vaporise la laque de sa grand-mère dans son salon, quand elle lui manque, pour faire venir son fantôme.

Plus on avance dans la lecture, plus les personnages sont en quelque sorte mis à nus. Les cicatrices, les blessures découvertes quand ils rebroussent chemin, quand il leur est impossible d'aller dans certains lieux, sont de plus en plus nettes. On comprend le traumatisme, mais on ne juge pas. Margot ressemble un peu à Sonia, qui pouvait éclater de rire, alors que la minute d'avant, elle avait des idées noires. 

Tout d'un coup, une pensée va la traverser et s'installer jusqu'à l'envahir entièrement, s'immiscer dans tous les recoins possibles de son cerveau, comme un écoulement d'eau par terre qui remplirait les creux qu'il trouverait sur son passage, et elle va sombrer dans un abîme dont on sait simplement qu'on ne doit pas chercher à la tirer. On doit la laisser y baigner le temps dont elle aura besoin et elle en ressortira elle-même le lendemain, propre comme un sou neuf, comme si ça n'avait pas eu lieu.


Une brève histoire du temps et du COVID

Le roman alterne les passages où tout s'accélère, et ceux où la mer est calme. C'est un peu comme un voyage en TGV. Le train file à 300 km/heures, les paysages défilent, souvent les mêmes ; à l'intérieur du wagon, des gens se lèvent pour aller aux toilettes ou au bar, d'autres lisent, regardent une vidéo, le casque sur les oreilles. On essaye de deviner qui est le voisin, sans oser lui demander, d'ailleurs dans une voiture silence, ce serait inapproprié.  


La pandémie, les morts et les mesures idiotes comme les attestations de sortie servent de décor à la fin de l'intrigue. Quand l'activité s'arrête à Paris, rien ne change, ou presque à la campagne, lors des promenades à pied, ou des courses en taxi. Ann Scott retranscrit cette atmosphère avec beaucoup de poésie, comme si elle composait une symphonie avec des moments forts où le tonnerre gronde et d'autres plus calmes, quelque fois au sein d'une même phrase comme lors de cette réflexion d'un personnage victime d'agression : 

Chaque matin, au réveil, il voudrait presque avoir oublié ce qu'il a entendu la veille. C'est très joli la résilience, mais on a le droit d'espérer mieux et de vouloir arracher la tête à tous ceux qui disent qu'il faut lâcher prise.

Tout au long des lignes, il y a une réflexion sur la solitude. La fermeture des salles de cinéma, l'arrêt des concerts est le point de départ d'une réflexion artistique. 

Art ou hobby ? 

La ville des Ulis a lancé plusieurs appels aux artistes de la ville : coup de pouce, expositions en ville, etc... J'y ai répondu mais avec un énorme syndrome de l'imposteur. J'ai envie de partager ce que m'apporte l'origami que ce soit en montrant ce que l'on peut faire ou en apprenant à d'autres à plier du papier, mais pour moi, ça n'a pas de valeur. Par exemple, si ce Trapezo était exposé dans une école, je serais ravie qu'un enfant le démonte en cherchant à comprendre comment j'ai fait. Et tant que le papier n'est pas déchiré, le refaire sera un plaisir. 


Quand Ann Scott laisse le personnage Alex dire que l'on n'aura plus recourt à des artistes pour composer des BO, j'ai pensé à Frédérik Wiedman, qui a accompagné l'hommage à Sonia [7].  

Elle sait que sa profession va disparaître. La vidéo va remplacer le vrai cinéma et ce ne sera plus de l'art, donc on n'aura plus recourt à des artistes pour composer des BO. Plus personne ne paiera plus pour de l'art, il sera gratuit ou on s'en passera.

Non seulement j'ai acheté la bande originale du Prince des Dragons, qui n'a été diffusé que sur Netflix, mais pour moi, la musique de Frederik Wiedmann [8] soulève autant d'émotion que celle de John Williams par exemple. 

La critique est aisée, l'art est difficile. C'est tout de même plus simple pour moi de parler des "Insolents" aujourd'hui que de "La grâce et les ténèbres" il y a trois ans. J'y ai trouvé un échos à mes interrogations, mais aussi du réconfort. On a tous et toutes nos fantômes qui nous aident à avancer ou au contraire nous poussent à rebrousser chemin. 




  1. Scott A., Les Insolents, Calmann Levy, 08/2023, EAN :  9782702180761
  2. Scott A., La grâce et les ténèbres, Calmann Levy, 08/2020, EAN :  9782702168981
  3. E. Piotelat, Des livres débarquent aux Ulis, 09/2023
  4. E. Piotelat, La Grâce et les Ténèbres, 11/2020
  5. E. Piotelat, Sept saisons, 06/2022
  6. Trapezo designed by  PrwOrigami
  7. E. Piotelat, A Sonia, 06/2020
  8. Frederik Wiedmann

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