Le 13 octobre dernier, Hubert Reeves s'est éteint à l'âge de 91 ans [1].
Dominique Bernard, 57 ans, a été assassiné par un terroriste [2].
Quel rapport entre les deux faits divers ? Aucun, si ce n'est que me replonger dans la prose d'Hubert Reeves a atténué un peu le choc de l'attentat et m'a remis un peu les idées en place après une semaine de sidération à cause de l'attaque du Hamas. En recherchant ce que j'avais déjà écrit ici sur le célèbre astronome, je me suis rendue compte qu'il est comme ces professeurs que l'on oublie de remercier de nous avoir ouvert les yeux, de nous avoir aidé à grandir, à mûrir [3].
Si je n'ai parlé qu'une fois d'Hubert Reeves ici, je me suis demandé quels livres je possédais dans ma bibliothèque aux Ulis. Où sont "Patience dans l'Azur" [4] et "Malicorne" [5] ? Peut-être en Bourgogne avec des souvenirs d'enfance ? Peut-être les ai-je prêtés ? Je n'ai trouvé que deux ouvrages avec des écrits d'Hubert Reeves : "Sommes-nous seuls dans l'univers ?" et "Références pour un ingénieur humaniste" [7].
L'univers a-t-il un sens ?
L'anthologie de l'école des Mines de Nancy m'avait été envoyée par Yvonne Maillard qui travaillait alors aux éditions Denoël, alors que je venais d'avoir mon diplôme d'ingénieure [8] . Le texte d'Hubert Reeves est un extrait de "L'heure de s'enivrer". Il est situé entre Descartes et Victor Hugo [9].
Dans cet extrait de 8 pages, de nombreuses citations pourraient à elles seules donner lieu à un billet de blog, si ce n'est à de passionnants échanges en regardant les étoiles. Pour lui, donner du sens à la complexité engendrée par l'univers, c'est prendre une décision active et consciente, ce dont sont incapables les mésanges par exemple. Il écrit :
Potentiellement, le conflit est inscrit, depuis les temps les plus reculés, dans le déroulement de l'univers et l'édification de la complexité. Avec l'homme, il prend sa tragique dimension, mais en parallèle, une solution devient possible. Il revient à l'humain de donner un sens à la réalité.
Comment donner un sens aux actions terroristes du Hamas, aux décès de jeunes qui faisaient la fête pour la paix ? Pourquoi prendre des bébés en otage, pourquoi les tuer ? Les bombardements sur Gaza décidés par Netanyahou ont-ils plus de sens ?
Dans un passage sur l'humanisation, Hubert Reeves prône l'action locale. On ne peut pas changer la société par des actions de nature politique !
L'antisémitisme et le racisme sont insupportables. Mais même si j'avais des pouvoirs politiques au niveau national ou européen, pourrais-je éradiquer la haine, la soif de vengeance, le rejet de l'autre ? Non, ça n'aurait pas plus d'effet qu'une grue pour la paix. Je peux juste agir au niveau local, pour soutenir les victimes et exprimer ma reconnaissance tardive aux professeurs.
Dans la suite de l'extrait, Hubert Reeves s'interroge sur la connaissance. Il cite l'exemple d'un jeune homme qui l'a remercié pour ses émissions de télévision et lui a demandé des conseils d'orientation. Après des études brillantes, ce dernier lui a annoncé qu'il acceptait un poste dans l'armement nucléaire. Oppenheimer s'interrogeait sur les réactions au cœur des étoiles avant de mettre au point la bombe atomique dans le but d'éradiquer le nazisme. [11] Les travaux de la mathématicienne iranienne Maryam Mirzakhani [12] comme les nombreuses publications dans Acta Astronautica [13] m'incitent à penser que l'Iran a d'énormes capacités scientifiques et technologiques. Si cette soif de connaissance, partagée avec le monde entier, ce désir d'aller dans l'espace a un but pacifique, si l'Iran nie toute implication dans l'attaque du Hamas, ne devrait-on pas avoir un peu peur quand même ?
Relire quelques mots écrits par Hubert Reeves m'a permis de prendre un peu de hauteur, de m'éloigner d'une activité trop sanglante, trop polarisante. Le conflit Israélo-Palestinien n'est pas un match de Rugby où l'on devrait choisir un camps ou jouer les arbitres entre une mère qui pleure la perte de son enfant à Tel Aviv ou à Gaza.
La mort d'un enfant provoque cela, l'effondrement du monde pour chacun d'entre nous, la conscience collective d'un chaos indicible dans lequel plonge l'humanité, sous les traits de parents dont l'avenir est, en un instant, devenu le passé. "Vivre avec nos morts." D. Horvilleur [14]
Ce court extrait de l'Heure de s'enivrer montre à quel point l'oeuvre d'Hubert Reeves est intemporelle, même si les moins de 30 ans ne semblent pas le connaître. Pour lui rendre hommage, j'ai sorti mon plus beau papier origami et je vais suivre le tutoriel de Kai Shin [15].
- Hubert Reeves
- F. Traullé, Attentat d’Arras : la mort de Dominique Bernard, un professeur de lettres respecté, qui « prenait à cœur son travail », 10/2023
- E. Piotelat, L'univers, c'est quoi pour toi ?, 07/2021
- H. Reeves, Patience dans l'azur. L'évolution cosmique, Seuil, 1981
- Herbier d'Hubert Reeves
- J. Heidmann, A. Vidal-Madjar, N. Prantzos, H. Reeves, Sommes-nous seuls dans l'univers ?, Fayard, 2000
- École des mines de Nancy, Références pour un ingénieur humaniste, Cherche-midi éditeur, 1996.
- E. Piotelat, Dazibao, 05/2017
- H. Reeves, L'heure de s'enivrer. L'univers a-t-il un sens ?, Seuil, 1992
- V Hugo, Plein ciel, La légende des siècles, 1859
- E. Piotelat, Oppenheimer, 08/2023
- Maryam Mirzakhani (wikipédia)
- Par exemple : N Fouladi, S Afkhami, M Pasandideh Fard, Experimental and comprehensive investigation of second throat diffuser area effect on ground test of a thrust optimized parabolic nozzle with different expansion ratios, Acta Astronautica, Volume 209, 2023
- E. Piotelat, Vivre avec nos morts, 03/2021
- How to make "Wappen" with kusudama
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