L'espoir du policier

Je viens de réaliser que Lola est décédée un vendredi ; comme Sonia. Encore aujourd'hui, le vendredi n'est pas un jour comme les autres, même s'il n'y a ni larmes, ni réveil à l'heure du drame [1]. Vendredi 21 octobre, j'ai allumé la TV le matin, chose que je ne fais jamais, ni le vendredi, ni les autres jours. Quelles informations sur Lola pouvais-je encore chercher ? J'ai l'impression que tout a été dit et qu'un développeur a oublié une ligne dans une boucle "while". 

Tant que les gens pleurent...

Tant que les politiciens s'engueulent à base de "Les parents appellent..." 

Tant que l'extrême droite met son costume de charognard "Les parents font leur deuil dans leur coin et se taisent..." [2]

En zappant, j'ai entendu le témoignage d'un policier sur BFM TV [3]. Celui-ci a donné lieu à quelques réactions du style "Mais les parents... "

Quelques neurones déconnectés le 26 juin 2020 se sont réveillés. J'ai pensé aux policiers qui étaient là. Si j'ai eu l'occasion de remercier et d'échanger avec les pompiers qui sont intervenus, lors de leur passage pour la vente de calendrier je n'ai jamais pu le faire pour les autres fonctionnaires qui ont multiplier leurs efforts pour sauver Sonia.

Dans ce témoignage [3], on retrouve l'espoir, l'impossibilité d'imaginer le pire, avant que le sentiment d'échec survienne. C'est aussi ce qui s'est passé pour Sonia. Quand, enfermée dans la salle de bain, elle ne répondait plus à mes appels, c'est l'image de son malaise l'année précédente qui a surgit [4]. Elle ne pouvait être qu'allongée sur le sol. Elle allait se réveiller toute seule. 

Les policiers ont aussi cherché Lola vivante.  Vendredi, dans le bus, un étudiant avait deux énormes valises dans le couloir, ce qui a obligé quelques personnes à rester sur le quai au Guichet, faute de place. Je me suis surprise à penser à Lola. Comment imaginer qu'il puisse y avoir autre chose que des chaussettes dans une valise ? 

Je ne veux pas savoir si les parents de Lola ont vécu la même chose que moi quand l'espoir s'est transformé en échec. Pour ma part, j'ai littéralement basculé dans le monde à l'envers de Stranger Things quand les pompiers ont ouvert la porte et découvert Sonia dans la baignoire [5]. J'ai fait taire la petite voix qui me disait que trop de minutes s'étaient écoulées depuis mon appel pour qu'il y ait la moindre chance qu'elle vive. 

Cependant, quand les secouristes essayaient de la ranimer, je n'imaginais pas une issue fatale. Peut-être aurait-elle des séquelles ? Je savais que je ne pouvais rien faire, à part ne pas être une gène supplémentaire. 

Je me souviens qu'une policière s'est assise à côté de moi et m'a demandé : 

"Vous comprenez ce qui se passe ?"

 Ce n'est qu'à ce moment là que mon cerveau a admis qu'il n'y avait plus d'espoir, même si les secouristes poursuivaient leurs effort, même si à un moment, une secouriste a crié "J'ai un pouls". Les policiers se sont inquiété très tôt du fait que je sois seule à la maison. Ils m'ont invitée à appeler des amis, des collègues, qui ont eu la gentillesse de venir. 

Les policiers (enfin je crois, il y avait peut-être aussi les pompiers et le médecin légiste) m'ont protégée en fermant la porte du salon pour que je ne vois pas le sac mortuaire. C'est plus tard que l'on m'a dit que le corps ne tenait pas dans l'ascenseur et que Sonia avait dû emprunter les escaliers pour quitter une dernière fois l'immeuble. Comment Lola a-t-elle pu tenir dans une valise ? 

Ensuite, quand ce fut mon tour de quitter l'immeuble, ils m'ont accompagnée jusqu'à la mairie pour le certificat de décès. 

Sans cette protection dans les premiers instants sans Sonia, dans ce basculement vers les ténèbres, je ne sais pas ce que je serais devenue. Le témoignage du policier sur BFM TV [3] m'a rappelée que je n'ai jamais pris l'occasion de les remercier. Certes, tous ces fonctionnaires n'ont fait que leur boulot, mais ils n'avaient pas demandé à être confrontée à la mort d'une jeune fille au début de leur journée de travail. Je n'ai pas mémoriser les visages. Il m'est sans doute arrivé de croiser des gens qui étaient là, sans les reconnaître. Je ne sais même pas s'il s'agit de la police municipale ou nationale. 


Les parents de Lola ne regardent pas la télé aujourd'hui, mais peut-être que dans deux ou trois ans, ils seront heureux d'entendre ce témoignage et d'avoir au moins le nom d'une personne à remercier. 



  1. E. Piotelat, Partir (26), 08/2022
  2. Thread sur les parents et le deuil (en réponse à une vidéo d'extrême droite)
  3. "UNE SITUATION EXCEPTIONNELLE, HORRIBLE": LE TÉMOIGNAGE D'UN POLICIER INTERVENU SUR LE MEURTRE DE LOLA
  4. E. Piotelat, Un étrange hommage, 07/2020
  5. E. Piotelat, Minecraft (25), 07/2022

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