Le vide

Ce matin, en me réveillant, j'ai ressenti un vide, comme jamais auparavant. Difficile de décrire cette impression de néant, de silence malgré les chants des perruches au lever du soleil. Même en allumant mon téléphone portable, en surfant sur diverses applications bavardes comme Amino ou Twitter, le vide persistait. Il ne se passait rien. Tout n'était que spam et bruit de fond. Il manquait des petits sons, comme celui de Sonia qui saute de l'échelle de son lit... 

En sortant de l'appartement pour partir en Bresse, j'ai pleuré le 11 juillet dernier. Je n'étais pas prête à quitter ce quotidien qui fut le mien avec elle pendant 18 ans. J'avais l'impression de l'abandonner, de déchirer un cordon ombilical ou de sortir du nid dans lequel je me blottissais depuis le 26 juin. 

Départ en vacances en 2018

Le masque sur la bouche, son casque sur les oreilles, je suis parvenue à prendre le bus jusqu'à Massy, puis le RER B jusqu'à Châtelet. Le plus dur était fait, le cordon ombilical coupé. J'ai l'impression d'une inversion des rôles, un peu comme si j'étais sa fille. En fait non, un peu comme si elle était un idéal de justice, de pureté, d'humanisme vers lequel je devais tendre.

J'ai eu envie d'abréger mon séjour deux ou trois fois. Le pire moment a été cette visite d'une vielle dame, cousine éloignée qui m'a confondue avec ma sœur, n'a jamais vu Sonia, s'est totalement désintéressée des photos que mon père lui montrait et a passé l'après-midi à perfectionner sa langue de vipère. Je n'ai plus aucune patience, plus aucune indulgence avec ce genre d'individu nauséabond. Sonia l'aurait détestée. Elle serait partie loin, à travers les champs, se serait peut-être perdue, ou serait rentrée très tard, en étant certaine de ne pas la croiser de nouveau. Il est très probable que je ne sois plus très diplomate à l'avenir... Le vide est préférable aux caquètements. 

Sonia de retour des courses le 25 mars 2020

Il y eu aussi des moments extraordinaires en famille. Merci à tous. Je ne les raconterai pas ici pour préserver l'intimité des vivants. 

Et puis, il y a eu la comète Neowise. Elle a accompagné mes réveils à 3 heures du matin au début de la semaine. Je me suis souvenu de la comète de Halley en 1986, puis de Hale Bopp en 1997. Sonia n'a pas vécu assez longtemps pour observer une comète à l’œil nu. En novembre 2014, elle a vécu l'arrivée de  Philae sur la comète Churyunov-Gerasimenki [1]. Alors qu'elle découvrait les lois de Newton, on a beaucoup parlé d'Oumouamoua [2]. Elle a vu une éclipse partielle de Soleil quand elle avait trois ans, mais jamais elle n'aura vu de comète.

Si j'ai repéré sans problème Neowise à Frangy-en-Bresse, aux Ulis, il m'a fallu me souvenir de sa position sous la grande ourse. 


Avec un meilleur objectif, on la voit bien malgré la pollution lumineuse. 


Si Sonia avait été là hier soir, peut-être aurait-elle été en train de regarder une vidéo sur Netflix dans sa chambre, tout en inventant des fan-fictions. J'aurais déboulé dans sa chambre en criant "j'ai vu la comète, même avec le ciel pourri des Ulis". Elle serait venue sur le balcon, aurait dit "Ah oui, c'était mieux à Frangy" puis serait repartie à ses occupations. Ou alors, peut-être aurait-elle posé une question dont je n'avais pas la réponse immédiatement, à moins d'avoir une idée commençant par "Tu
 imagines si... "

J'y aurais pensé au réveil. Ah oui... et si... et pourquoi... J'aurai souri, en repensant à ces brefs échanges.

Je crois qu'en rédigeant ces lignes, je viens de trouver la raison du vide. Et si  la comète Neowise emportait les cendres de Sonia, un souvenir de son trop bref passage sur Terre ?
 
  1. E. Piotelat, enthousiasme juvénile, 11/2014
  2. E. Piotelat, Pigeon suicidaire et Oumouamoua, 11/2018


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