Hier soir, en discutant des lois de Newton avec ma fille, celle-ci a émit une idée amusante :
Les scientifiques jouent à cela tout le temps, le plus souvent autour d'un café. Mais il peut arriver que ces débats loufoques débouchent sur des publications dans des revues plus ou moins prestigieuses, ou sur une archive ouverte, comme arXiv [1] ou HAL[2] . Ainsi, trouve-t-on sur arXiv une excellente question :
En jouant avec le suicide d'un pigeon, je ne dis pas qu'il existe un seul pigeon suicidaire au monde, ni qu'il n'y en a aucun. En jouant avec une voile solaire, Bialy et Loeb ne disent pas qu'Oumuamua est un vaisseau extraterrestre, ni qu'il n'en n'est pas. C'est juste une hypothèse, une idée pour s'amuser à calculer des trucs, des suites de "Et si... alors..." Personne n'a encore mis Paris dans une bouteille !*
Si je prends mon propre cas, j'ai [4] publications (mais c'est plus qu'Idriss Aberkane qui n'a que 2 communications dans des congrès en 2015) et je n'ai pas encore déposé l'article rédigé pour IAC2018. On voit dans HAL que je ne suis pas chercheuse (sinon, il y aurait une thèse comme pour notre ministre de la Recherche) [5]
Je n'y ai mis que des choses qui ont été publiées, c'est-à-dire qui ont été lues, corrigées par des experts des domaines concernés. Ces arbitres auraient pu rejeter les articles, ils ont demandé des modifications petites ou importante, et à la fin de ce long parcours, les articles ont été publiés d'abord dans les revues, puis dans HAL.
Si les calculs avaient dépassé le niveau des connaissances d'une lycéenne, j'aurais pu écrire un article sur le pigeon suicidaire et le déposer dans arXiv, avant tout pour dire "On y a pensé en premier !". J'aurais déposé ce qui s'appelle un "preprint", c'est-à-dire un brouillon, mais quand même nettement plus travaillé que celui ci-dessous qui a permis à ma fille de dire que le pigeon chutait en un peu plus de trois secondes.
Les experts ne seront pas les mêmes si l'article est soumis au "Journal international de la chute des animaux" ou au "Journal international sur la psychologie des pigeons".
Il y est tout d'abord question d'Oumuamua, qui n'est pas un caillou dont Corinne se fiche. mais un objet astronomique passionnant découvert en 2017 [7]. Il soulève une question bien plus importante que la décision prise par un pigeon. On n'explique pas sa trajectoire, comme le montre le gif animé sur le site Gizmodo [8] qui reprend celui de la NASA.
Les articles scientifiques ont tous une structure bien définie [9]. Ici, on a :
1. INTRODUCTION
2. ACCELERATION BY RADIATION PRESSURE
3. MAXIMUM DISTANCE FOR INTERSTELLAR TRAVEL
4. TENSILE STRESSES
5. SUMMARY AND DISCUSSION
Les deux dernières lignes du résumé sont très claires :
Selon nbcnews [10], l'article sera publié le 12 novembre. Comme le prochain numéro sort le 10 novembre, ce sera sans doute pas exactement à cette date-là.
"Si un pigeon suicidaire se trouvait sur un balcon à 45 m du sol, s'il se laissait tomber et que finalement, il change d'idée pendant sa chute, aurait-il le temps de se remettre à voler avant de toucher le sol ?"
Les scientifiques jouent à cela tout le temps, le plus souvent autour d'un café. Mais il peut arriver que ces débats loufoques débouchent sur des publications dans des revues plus ou moins prestigieuses, ou sur une archive ouverte, comme arXiv [1] ou HAL[2] . Ainsi, trouve-t-on sur arXiv une excellente question :
"Est-ce que la pression des radiations solaires pourrait expliquer l'accélération particulière d'Oumuamua ?" [3].
En jouant avec le suicide d'un pigeon, je ne dis pas qu'il existe un seul pigeon suicidaire au monde, ni qu'il n'y en a aucun. En jouant avec une voile solaire, Bialy et Loeb ne disent pas qu'Oumuamua est un vaisseau extraterrestre, ni qu'il n'en n'est pas. C'est juste une hypothèse, une idée pour s'amuser à calculer des trucs, des suites de "Et si... alors..." Personne n'a encore mis Paris dans une bouteille !*
Preprint et archive ouverte.
Les sites comme arXiv[1] ou HAL[2] sont des archives ouvertes, c'est-à-dire que les chercheurs sont invités à déposer leurs articles sous une forme qui n'est pas celle de l'éditeur, souvent pour des raisons de droit. Une grande partie de la recherche française est sur HAL[2], ce qui permet en général d'avoir une première idée sur le niveau d'un chercheur.Si je prends mon propre cas, j'ai [4] publications (mais c'est plus qu'Idriss Aberkane qui n'a que 2 communications dans des congrès en 2015) et je n'ai pas encore déposé l'article rédigé pour IAC2018. On voit dans HAL que je ne suis pas chercheuse (sinon, il y aurait une thèse comme pour notre ministre de la Recherche) [5]
Je n'y ai mis que des choses qui ont été publiées, c'est-à-dire qui ont été lues, corrigées par des experts des domaines concernés. Ces arbitres auraient pu rejeter les articles, ils ont demandé des modifications petites ou importante, et à la fin de ce long parcours, les articles ont été publiés d'abord dans les revues, puis dans HAL.
Si les calculs avaient dépassé le niveau des connaissances d'une lycéenne, j'aurais pu écrire un article sur le pigeon suicidaire et le déposer dans arXiv, avant tout pour dire "On y a pensé en premier !". J'aurais déposé ce qui s'appelle un "preprint", c'est-à-dire un brouillon, mais quand même nettement plus travaillé que celui ci-dessous qui a permis à ma fille de dire que le pigeon chutait en un peu plus de trois secondes.
Du brouillon à la publication
Le travail des reviewers, c'est-à-dire des experts qui vont relire l'article vise en général à l'améliorer. Par exemple, dans le brouillon ci-dessous :- La résistance de l'air est négligée (alors que c'est le plus intéressant) et qu'un vrai pigeon mettra plus de trois secondes, surtout s'il y a du vent.
- Le pigeon est assimilé à un point (ou un gribouillis).
- Pour éviter de sortir une calculatrice, on a pris g=10 m/s.
- La seconde loi de Newton n'est pas citée.
- etc, etc...
Les experts ne seront pas les mêmes si l'article est soumis au "Journal international de la chute des animaux" ou au "Journal international sur la psychologie des pigeons".
Facteur d'impact
L'article de Shmuel Bialy et Abraham Loeb a été soumis à "The Astrophysical Journal Letters" [7], qui a un facteur d'impact de 6,634. C'est-à-dire qu'en moyenne, un article publié dans cette revue au cours des deux dernières années aura été cité par 7 autres articles. Si un journal veut augmenter sa visibilité, il a donc intérêt à publier des papiers qui serviront de base à d'autres chercheurs et qui à la fois sont novateurs et soulèvent des questions. Les lois du mouvement de Newton ayant été publiées en 1687, il n'y a absolument rien de nouveau sous le soleil et le "Journal international de la chute des animaux" ne risque pas d'augmenter son facteur d'impact en publiant nos calculs. En revanche, un article avec des expériences novatrices sur le déploiement des ailes d'un pigeon ou son changement de trajectoire brutal à l'approche du sol pourrait l'intéresser. En lisant le résumé, on comprend tout de suite ce qu'apporte l'article.Il y est tout d'abord question d'Oumuamua, qui n'est pas un caillou dont Corinne se fiche. mais un objet astronomique passionnant découvert en 2017 [7]. Il soulève une question bien plus importante que la décision prise par un pigeon. On n'explique pas sa trajectoire, comme le montre le gif animé sur le site Gizmodo [8] qui reprend celui de la NASA.
Cette animation montre le parcours de A/2017U1 lors de sa traversée du système solaire en septembre-octobre 2017. Credits: NASA/JPL-Caltech |
Les articles scientifiques ont tous une structure bien définie [9]. Ici, on a :
1. INTRODUCTION
2. ACCELERATION BY RADIATION PRESSURE
3. MAXIMUM DISTANCE FOR INTERSTELLAR TRAVEL
4. TENSILE STRESSES
5. SUMMARY AND DISCUSSION
Les deux dernières lignes du résumé sont très claires :
We discuss the possible origins of such an object including the possibility that it might be a lightsail of artificial origin. Our general results apply to any light probes designed for interstellar travelIl y a une discussion sur l'origine possible d'un tel objet, y compris sur la possibilité qu'il puisse s'agir d'une voile solaire d'origine artificielle. Nos résultats s'appliquent à toute sonde propulsée avec la lumière et conçue pour le voyage interstellaire.
Selon nbcnews [10], l'article sera publié le 12 novembre. Comme le prochain numéro sort le 10 novembre, ce sera sans doute pas exactement à cette date-là.
Avi Loeb et Breakthrough Starshot
En avril dernier, j'avais parlé sur ce blog des journées Breakthrough Discuss [11]. Il y a des chercheurs renommés qui font des tas de spéculations, et c'est captivant ! Abraham Loeb était intervenu en 2017 pour parle de Breakthrough Starshot [12] et de l'envoi de nanocrafts autour d'Alpha du Centaure en 20 ans pour faire tout ce que l'on ne peut pas faire à distance.
Cet article s'inscrit dans ce contexte. Toutes les publications de Breakthrough Starshot [12] sont en libre accès. Voyager en 20 ans vers Alpha du Centaure en étant propulsé par de la lumière qu'il s'agisse de celle du soleil ou des ondes LASER, cela suppose pas mal de développements. Les voiles solaires sont un vrai sujet d'étude, pas une idée de science-fiction, comme le montre Les Johnson à Breakthrough Discuss [11].
A postulat extraordinaire, preuve extraordinaire.
Si je m'amuse à faire des calculs sur la trajectoire d'un pigeon suicidaire qui changerait d'avis à la dernière minute, je ne dis pas que ce genre d'idée existe dans la tête d'un pigeon.
Shmuel Bialy et Abraham Loeb effectuent plein de calculs très complexes et écrivent que la présence de voiles accélérées par la lumière du soleil pourraient expliquer la trajectoire d'Oumuamua. A aucun moment ils n'affirment que nous ne sommes pas seuls dans l'univers ou que nous avons été visités par un vaisseau extraterrestre (avec ou sans pigeon suicidaire). Ils ne disent pas le contraire non plus. Il existe peut-être un pigeon quelque part, un peu plus suicidaire que les autres. La publication de cet article entraînera sans doute d'autres articles et c'est comme ça que la science avance (et que le facteur d'impact augmente) !
Mise à jour le 9 novembre.
Il existe au moins un pigeon suicidaire assez bon en physique pour voler à plus de 100km/h dans le sillage des voitures avec lesquelles il fait la course sur autoroute.
Mise à jour le 14 novembre.
L'article a été publié [13], dans une version peut-être un peu différentes (je n'ai pas pris le temps de comparer).
Shmuel Bialy and Abraham Loeb, Could Solar Radiation Pressure Explain ‘Oumuamua’s Peculiar Acceleration? , The Astrophysical Journal Letters, volume 868, 2018
Il existe au moins un pigeon suicidaire assez bon en physique pour voler à plus de 100km/h dans le sillage des voitures avec lesquelles il fait la course sur autoroute.
Mise à jour le 14 novembre.
L'article a été publié [13], dans une version peut-être un peu différentes (je n'ai pas pris le temps de comparer).
Shmuel Bialy and Abraham Loeb, Could Solar Radiation Pressure Explain ‘Oumuamua’s Peculiar Acceleration? , The Astrophysical Journal Letters, volume 868, 2018
- arXiv
- HAL
- Shmuel Bialy, Abraham Loeb, Could Solar Radiation Pressure Explain 'Oumuamua's Peculiar Acceleration? arXiv:1810.11490 [astro-ph.EP]
- Mes publications sur HAL
- E. Piotelat, Parcours chaotique. 04/2018
- The Astrophysical Journal Letters
- E. Piotelat, Rendez-vous avec Oumuamua, 12/2017
- Ryan F. Mandelbaum, No, 'Oumuamua Is Probably Not an Alien Spaceship, Gizmodo, 11/2018
- E. Piotelat, Les leçons de Ross 128. 07/2017
- David Freeman, Scientists say mysterious 'Oumuamua' object could be an alien spacecraft, NBC News, 11/2018
- Breakthrough Discuss, Day one, 04/2018.
- Breakthrough initiative.
- Shmuel Bialy and Abraham Loeb, Could Solar Radiation Pressure Explain ‘Oumuamua’s Peculiar Acceleration? , The Astrophysical Journal Letters, volume 868, 2018
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