Space Force

Le 29 mai dernier, la série Space Force est sortie sur Netflix. Je l'ai regardée en V.O. et j'ai beaucoup ri. Cela m'a rappelé le film Idiocracie. J'ai été un peu étonnée que certaines critiques francophones n'aient pas apprécié la série.  Alors, j'ai regardé ce que ça donnait en français... et c'est une catastrophe. Les notes en bas de l'article renvoient aux faits réels auxquels la fiction fait référence. 

 

Boots or boops ?

La série commence avec la création d'une nouvelle force armée : La Space Force [1]. La série débute par une réunion qui explique que cette nouvelle branche armée devra collaborer avec l'Air Force. Comme il n'y a pas d'air dans l'espace, la space force ne peut pas dépendre de l'air force, c'est donc une branche indépendante. Quelle est l'utilité d'une telle force ? Protéger les satellites, en particulier ceux nécessaires au réseau internet afin que le président puisse twitter. En anglais, le président a annoncé la création de la Space Force avec une faute d'orthographe (comme c'est souvent le cas) : "Boops on the Moon" (des seins sur la Lune) au lieu de "Boots on the Moon"... Ce qui en français a été traduit par "Objectif Lune" (et sous-titré "Objectif tune"). 

L'espace pour la comm ? 

C'est la question qui est posée tout au long de la série. Dans le second épisode, un singe est envoyé pour réparer un satellite. Pourquoi envoyer des animaux dans l'espace ? Eh bien parce que c'est mignon en terme de communication. Contrairement aux humains, on se fiche de leur retour sur Terre. On pourrait y voir une critique des expérimentations animales [2] dans l'espace mais aussi une image de l'inutilité d'envoyer des hommes quand des robots font tout aussi bien le boulot. Les nombreux clichés de la Terre partagés par Thomas Pesquet donnaient l'impression à certains qu'il ne faisait rien...  Les 2 astronautes qui ont décollé le 31 mai à bord de Crew Dragon sont des militaires... Colonel Bob Behnken  de l'Air Force et colonel Douglas G. Hurley  de la Navy. On ne savait pas trop combien de temps ils allaient rester dans la station spatiale... Aurait-on pu envoyer des chatons à la place de Bob et Doug ? 

L'importance de la communication grand public est moquée à plusieurs reprises. Le personnage en charge des tweets de la space force ressemble à Anthony Scaramucci [4], qui a été directeur de la communication de la maison blanche pendant 10 jours en 2017. 

Le problème de la Chine sur la Lune. 

Dans l'un des derniers épisodes, les chinois roulent sur le drapeau déposé par les astronautes d'Apollo 11. Les américains se demandent quelle réponse apporter, ce qui les amène à envisager l'hypothèse que ce drapeau puisse être considéré comme un déchet spatial [3]. 

A plusieurs reprises, la série aborde les questions législatives, les accords entre états, le traité de l'espace, et les états ou sociétés qui se faufilent là où aucun règlement n'existe. Par exemple, les astronomes souhaitent protéger la face cachée de la Lune de toute pollution radio. Jean Heidmann, Claudio Maccone ont œuvré pendant des décennies pour cela [5].

Et puis, il y a eu la mission Chang'E. [6]. Quand dans la série les Chinois demandent aux américains de ne pas se poser sur la mer de la tranquillité car cela perturberait leurs expériences, on n'est pas très loin de la réalité...

Back or Black ?

L'un des personnages très forts de cette série et la capitaine Angelina Ali, jouée par Tawny Newsome. Pilote d'hélicoptère, elle est diplômée en STEM et s'apprête à sortir en premier sur la Lune. En réfléchissant à la phrase de Neil Armstrong "un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité", elle réfléchit à ce qu'elle va dire en posant le pied. Après avoir interrogé sa mère et le professeur Chan, elle opte pour "It's good to be back on the Moon" (c'est bien d'être de retour sur la Lune).
Sous le coup de l'émotion, elle fait un lapsus et prononce "It's good to be black on the Moon" (c'est bien d'être noire sur la Lune). 


C'est une phrase puissante, que l'on peut interpréter de diverses manières. Par exemple, mieux vaut être sur la Lune que sur Terre quand on est noire. Personnellement, je vois l'opposition entre la course à la Lune très masculine et militaire des années 60 (même si rien n'aurait été possible sans les figures de l'ombre comme Katherine Johnson [7]) et le fait qu'une scientifique noire puisse poser le pied sur la Lune. 

La version française est une catastrophe. Le sous-titre est "Enfin un renoi sur la Lune". Outre l'emploi du masculin qui n'a rien à faire ici,  le verlan ne correspond pas au personnage. Angelina Ali a de l'autorité sur les recrues (elle est capitaine) et s'exprime dans une langue correspondant à sa formation universitaire. Elle n'est pas une fille de banlieue, ni une étudiante. 

La phrase qu'elle bredouille en français n'a aucun sens : "Quel noir d'être de retour sur la luge !". Au lieu de la magnifique réponse à Armstrong, on a un espèce de gloubiboulga. On aurait voulu la faire taire, la rendre inaudible, invisible que l'on ne s'y serait pas pris autrement. Audrey Sourdive, la voix française, ridiculise Tawny Newsome et c'est une honte. 

Cerise sur le gâteau, les scientifiques ne sont jamais écoutés par les militaires, soit parce qu'ils sont trop prudents, soit parce qu'ils utilisent des mots que les décideurs ne comprennent pas. Hors de question d'appliquer une solution faisant appel à des technologies comme les voiles solaires inconnues des militaires....

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