C'est quoi un terroriste ?

Le 11 mars 2012, à 16 h 10, il tue le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten (30 ans) à Toulouse. Le 15 mars,  à 14 h 10, deux militaires, Abel Chennouf (25 ans) et Mohamed Legouad (24 ans) sont tués à Montauban. Le 19 mars 2012 vers 8 h, à l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse, il abat Jonathan Sandler (30 ans) et ses deux fils Gabriel (3 ans) et Aryeh (6 ans) puis tire à bout portant sur Myriam Monsonégo (8 ans). [1]



Bande dessinée.

Doan Bui est journaliste. Lorsque l'information circule en boucle, elle essaye de protéger ses filles qui lui demandent "C'est quoi un terroriste ?", mais à quoi bon mettre Gulli quand l'école fait une minute de silence alors que Mohammed Merah n'est pas encore arrêté ?

La question parait enfantine, mais ne l'est pas. Doan Bui a couvert le procès Merah qui a eu lieu en 2017. Elle avait envie de raconter tout cela, mais ne savait pas trop sous quelle forme. Sur ce blog, j'ai déjà parlé de son bouleversant récit "Le silence de mon père" [2].  Elle a regretté de ne pas avoir assisté au procès avec une illustratrice et s'est confiée à Nathalie Fiszman du Seuil, qui l'a mise en relation avec Leslie Plée. dont j'ai également parlé ici. J'avais adoré sa BD "Eloge de nos névroses en 10 syndromes". [3]

Portraits de familles.

Dans cette BD, Doan Bui dresse un peu le portrait de sa famille, mais aussi de toutes celles qui se présentent à la barre pendant le procès.  On retrouve l'incroyable Latifa Ibn Ziaten, et son courage, sa persévérance. Pourtant, son message pacifique dérange, comme en témoignent les insupportables menaces qu'elle a reçues hier [4


Ce procès qui débute le 2 octobre 2017 est celui du frère de Mohamed Merah,  Abdelkader, accusé de complicité d'assassinat et d'association de malfaiteurs. 

Toute la famille Merah est passée au crible, sans complaisance. Doan Bui décrypte les déchirures, les complicités, les relations entre les uns et les autres, comme peu l'ont fait avant elle. 


Twitter, ton univers impitoyable

Même si elle répond à une question d'enfant "C'est quoi un terroriste ?", cette BD est écrite pour les adultes. En direct depuis la salle d'audience, Doan Bui a raconté ce qui se passait sur Twitter [5]. Cela lui a valu quelques insultes.
En retranscrivant les propos des uns et des autres, elle est dans son rôle de journaliste. Mais cela a-t-il une influence sur l'opinion publique ? Sur le déroulé du procès ?


La question "C'est quoi un terroriste ?" prêterait-elle à controverse ? Je l'ai découvert à mes dépends au détour d'une discussion sur le retrait en une heure de contenu exigé par le règlement terroriste adopté le 17 avril dernier par le parlement européen. [6]

Les erreurs de l'OCLCTIC

L'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC) [7] gère, entre autres, la plateforme PHAROS [8].
La Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) a publié un rapport portant sur les  25 474 demandes examinées par la personnalité qualifiée de la CNIL en 2018, suite à des blocages de sites internet relatifs à des cas d'apologie du terrorisme, provocation à acte terroriste ou contenu pédopornographique [9].

Page 12, on peut lire ceci :

Il s'agit donc du tweet d'Abu Portant [10] .
"Le caractère parodique du compte est conforté par l'intitulé de sa géolocalisation, se référant à un slogan publicitaire pour un fromage".


Effectivement, la localisation est "Sham Sham Sham Shamoi d'or", ce qui a pu échapper à une IA ou à un filtre automatique. Mais même sans aller jusque là, c'est étonnant que l'OCLCTIC n'ait pas reconnu un compte de la Katiba des Narvalos. Il aurait même été possible de chercher sur Wikipédia. [11]

La CNIL n'est pas la seule à souligner les erreurs de l'OCLCTIC. Le blog Biblio Numericus signale également des demandes de retrait sur la plateforme Internet Archive [12].

Abus de bienveillance

C'est lors d'une discussion  [6] qui a débuté le 29 mai à propos de l'impossible retrait en 1h et des erreurs de l' OCLCTIC que j'ai indiqué le lien [11]. J'ai découvert qu'une personne  m'avait bloquée. Je n'avais jamais entendu parler d'elle auparavant, et j'ai voulu comprendre pourquoi mes propos entravaient sa sérénité sur les réseaux sociaux.


Je me suis demandée si elle avait des accointances avec les djihadistes. Pourquoi tant de haine ? Si j'ai dit [13] et écrit [14] [15] à plusieurs reprises à quel point j'admirais l'action de la Katiba des Narvalos, ça faisait un moment que je n'en n'avais pas parlé. Comment cette supposée terroriste avait-elle pu m'associer à la Katiba ? Comme je ne peux pas voir son compte, j'ai appris qu'elle m'avait bloquée pour ma bienveillance...

Bienveillance ? J'ai vérifié quel était la dernière fois que j'avais été bienveillante, par exemple, au hasard en rediffusant un truc drôle publié par abou_xxxx.  Le 4 juin, j'ai rediffusé un tweet d'Abou D'Ner [16] avec un lien vers l'un des textes les plus intelligents sur le terrorisme : "Perdons-nous la bataille idéologique contre le terrorisme djihadiste?".  [17] Emmanuel Domenach, administrateur de l’association "13 Novembre : Fraternité et Vérité", y dénonce le recul de l'état de droit ou l'instrumentalisation des victimes et insiste sur la nécessité de mener une bataille idéologique sur le long terme au lieu de modifier les lois dès qu'un attentat survient.


Les individus qui se promènent près de la mosquée sont-ils des terroristes ? Je n'en sais fichtre rien. Le fait de parler arabe ou d'avoir une pratique religieuse régulière ne m'indique pas qu'ils sont salafistes ou pratiquent le wahhabisme. D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'ils longent la mosquée qu'ils en sortent. Ils viennent peut-être du lycée au sud, ou de centre commercial à l'est.

Et si ces personnes commettaient un attentat, pourquoi faudrait-il réduire ma liberté ? L'abus de bienveillance, ce serait donc ça ? En fait non, par l'intermédiaire d'une certaine Sophie, grâce à Oum Al Habar, j'ai appris que c'était juste le lien vers wikipédia [18]. La suite de la conversation m'a un peu échappé. J'ai cru voir un grosminet, euh non, une menace de mort aimée par la Oum du 12ième.


Ce message est adressé aux 8 personnes, ou  à une seule ? Qui est ce Benjamin ? Un terroriste ?


Si la dame se comporte comme une djihadiste en s'en prenant à tous ceux et celles qui sont bienveillants avec la Katiba des Narvalos, si elle apprécie les menaces de morts, ce ne serait que du cynisme et de l'ironie ? Drôle de manière de faire... Peut-être s'agit-il d'un comportement très puéril, digne des écoles maternelles "Si t'es la copine d'Abou d'Ner, alors t'es pas ma copine !"

C'est quoi un terroriste ?

Il n'y aurait donc pas que les djihadistes qui auraient à craindre la Katiba des Narvalos. Nous ne vivons pas dans un monde binaire avec des gentils et des méchants. Définir le terrorisme est plus complexe que de dire "Elle m'a bloquée sans raison, elle est contre la liberté d'expression, la laïcité, les valeurs républicaines". 

Pendant le ramadan, j'ai vu de la fumée depuis ma fenêtre. Un attentat ? Non, juste la coupe d'Afrique, avec un match opposant le Maroc et la Turquie (enfin, je crois) dans une ambiance survoltée. 


Doan Bui et Leslie Plée ne répondent pas vraiment à la question "C'est quoi un terroriste". Ce n'est pas de leur faute, mais sans doute de celle d'Eric Dupond-Moretti, à cause de qui Abdelkader Merah est acquitté pour la complicité d'assassinat, mais condamné à 20 ans de réclusion pour associations de malfaiteurs.  Les auteurs dressent des portraits hétéroclites des personnes parties faire le djihad et montrent la complexité du débat.


Le 19 avril, en appel, il a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle. Doan Bui se pose énormément de questions sur la place donnée à l'émotion au détriment de la raison par les journalistes. Les introspections sont nombreuses, et cela fait le charme de cette BD. J'ai adoré le passage consacré à Riss, à son isolement, à la difficulté de l'approcher. 

Les dessins en rouge et noir de Leslie Plée expliquent, illustrent les positions des uns par rapport aux autres. On sent qu'il y a eu énormément de travail, de rigueur, au point où l'on a l'impression qu'elle a assisté au procès Merah.  


J'ai appris des choses en lisant cette BD, bien plus qu'en écoutant certains experts se succédant sur les plateau TV après chaque événement que l'on hésite toujours à qualifier de terroriste avant qu'un feu vert nous soit donné par un procureur ou un préfet. Même si l'on ne sait pas vraiment ce qu'est un terroriste en refermant le livre, cette lecture fait du bien.

  1. Attentats de mars 2012 en France (Wikipedia) 
  2. E. Piotelat, "Le silence de mon père". 10/2016.
  3. E. Piotelat "Nos névroses". 08/2016
  4. Tweet de Latifa Ibn Zaiten
  5. Tweets de Doan Bui du 2/10/2017 au 3/11/2017
  6. Tweet de Pierre Beyssac du 29 mai. 
  7. Sous-direction de lutte contre la cybercriminalité
  8. PHAROS.
  9. A. Linden, Rapport d'activité de la personne qualifiée, 1er mars 2018, 1er février 2019
  10. Tweet d'Abu Portant.
  11. Katiba des Narvalos, Wikipédia.
  12. T Fourmeux, "Quand le filtrage automatisé transforme les bibliothèques en propagande terroriste", 04/2019
  13. Propagande djihadiste : La contre-offensive numérique, France Inter, 12/2015
  14. E. Piotelat, L'humour pour combattre Daesch, 12/2015
  15. E. Piotelat, Le hash contre Daech, 06/2016
  16. tweet d'Abou D'Ner
  17. E. Domenach, Perdons-nous la bataille idéologique contre le terrorisme djihadiste?
  18. tweet de Oum Al Habar

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