Longue vie à Science et Vie

A-t-on besoin de journalistes scientifiques ? La question peut paraître bête... mais elle est terriblement d'actualité avec le rachat de Mondadori France par ReWorld Media.

Les scientifiques écrivent, ils écrivent même beaucoup et sont principalement évalués à travers leurs publications. Mais ce ne sont pas des journalistes, ils n'ont pas appris à raconter une histoire, à interroger des experts, à adapter leur vocabulaire au lectorat visé. Les journalistes ne sont pas tous des scientifiques, loin s'en faut. Beaucoup ont suivi des formations littéraires et n'ont pas fait de science depuis la classe de seconde.

Par exemple, à l'occasion des écoutes SETI de la NASA de 1992, Science et VIe a consacré sa couverture du numéro d'octobre 1992 à cet événement. A l'intérieur, l'article est à la fois précis, complet et à la portée de tous. Rien à voir avec ce blog lu par des personnes qui savent déjà que SETI signifie Search For Extraterrestrial Intelligence. L'article cite les propos de François Raullin ou Jean Heidmann.

J'ai eu l'occasion d'être interrogée par des journalistes de Science et Vie. La dernière fois, c'était à propos du signal WOW et de l'explication liée aux comètes d'Antonia Paris [1] [2]. L'entretien téléphonique a duré le temps d'un trajet RER entre Paris et l'aéroport Charles de Gaulle., soit plus de 30 minutes entrecoupées de perte de réseau. Suite à cela, je sais que Stéphane Nicot a enquêté à la station de radioastronomie de Nançay. Illustré, pédagogique, l'article paru dans Science et Vie Junior n'avait rien à voir avec tout ce qui avait pu être oublié précédemment dans la presse généraliste.
Lire un texte, regarder des images, sans être dérangé des annonces publicitaires, quel luxe ! Lors d'une semaine passée en Bresse, j'ai retrouvé un très vieux numéro de Science et Vie datant de 1952.
La couverture est un dessin du radiotélescope MK1 dont la construction débute à Jodrell Bank.

La publicité est rassemblée en début et en fin du magazine. Elle est plutôt ciblée vers des formations techniques et des objets d'une haute technicité pour l'époque.

A l'intérieur un encart décrit avec émerveillement ce miroir mobile de 81m de diamètre. Ce texte aurait-il pu être écrit par n'importe quel étudiant diplômé soit d'une école de journaliste, soit d'une formation scientifique de base ? Sans doute pas. Le premier n'aurait pas été précis dans ses explications liées au pouvoir de résolution par exemple, le second n'aurait pas eu cette plume pour partager cet enthousiasme devant la taille du miroir.

Le rachat de Manadadori par Reworld Media laisse craindre le remplacement de ces professionnels par des robots ou des auto-entrepreneurs jetables à qui l'on demande de générer un peu de contenu entre un titre putaclic et des images publicitaires. Pour SETI, cela se traduit par le remplacement du vocabulaire scientifique ou technique par des expressions comme "signaux mystérieux", "grandes oreilles", etc, etc... Ce serait dommage qu'un internaute prenne peur en voyant un mot comme "radiotélescope" ou "sursaut radio rapide". De toutes façon, si les fournisseurs de contenu doivent écrire 5 articles par jour, ils n'auront pas le temps d'interroger un expert ou de vérifier leurs sources.

Si j'ai retrouvé ces vieux magazines sur les terres de mon enfance, c'est avant tout parce qu'ils représentaient une incroyable fenêtre sur la science pour l'enfant et l'adolescente que j'étais, celle qui écoutait religieusement Albert Ducrocq ou Michel Chevalet, grands journalistes scientifiques de l'époque. Si nous, adultes, avons cessé de nous émerveiller devant les grandes antennes, les pulsars, les quasars, l'intelligence artificielle ou les progrès de la médecine, nous n'avons pas le droit de priver les jeunes générations de rêve en laissant disparaître Science et Vie.


  1. Wow et la méthode scientifique, 06/2017 
  2. WOW ; Les comètes s'en vont, 06/2017

Commentaires

Lily a dit…
j'ai lu le magazine plusieurs années aussi et je suis très d'accord avec ton analyse: comme littéraire, cela m'a permis de me garder à niveau en sciences et de comprendre des bouts de physique que je n'aurais pas pu assimiler avec des articles scientifiques. Même le livre de Stephen Hawking sur la brève histoire du temps, ouf, trop difficile. Alors souhaitons que le journalisme scientifique perdure...