Retour à la médiathèque

Le 2 juillet, Sylvain a écrit :
Le Club interdit aux moins de 16 ans tiendra une séance samedi prochain, 10 juillet, à 11 h. Elle aura lieu en présence, à la médiathèque des Ulis ! L'occasion de vous servir à la louche dans le torrent de nouveautés qui déferlera pour l'occasion.


Irai-je ? N'irai-je pas ? Depuis le décès de Sonia, je n'ai pas assisté à une seule réunion du club. La mauvaise excuse était que je ne voulais pas utiliser Zoom [1]. La vraie raison est plus complexe. J'ai compris en lisant le livre "It's OK that your not OK" [2] que c'était normal d'éviter certains lieux où l'on connait du monde afin d'éviter les questions ou de ressentir une certaine gène au milieu de gens "qui savent" et d'autres qui ignorent le décès de Sonia, ou ne l'ont jamais connue. Sonia a fréquenté la médiathèque très tôt, en septembre 2002 et a toujours aimé que je lui raconte des histoires.


   
Depuis sa disparition, j'ai pris l'habitude de lire de la SF ou des Mangas le samedi matin, souvent en pensant aux réunions passées du club SFFF. Sonia y a assisté quelques fois. Je me souviens qu'elle avait donné son avis sur Joker [3] a une maman qui hésitait à y aller avec son adolescente. Souvent, elle restait à la maison, mais nous échangions par SMS sur le thème "Est-ce que j'emprunte tel film, tel livre pour toi ?". Il arrivait même qu'elle me réponde "Je l'ai déjà lu ou vu". 

Noël 2016

Sonia préférait acheter des livres après avoir échangé avec un libraire plutôt que de les emprunter. Quand elle ne savait pas encore lire, et que c'était à moi de raconter l'histoire du soir, nous allions à la médiathèques toutes les semaines faire des réserves. C'était aussi l'occasion pour Sonia de rencontrer d'autres enfants ou de jouer sur les fauteuils et gros coussins confortables. 


Alors qu'elle était en grande section de maternelle, c'est à la médiathèque que j'ai découvert qu'elle savait lire. Je l'avais laissée au rayon des enfants le temps d'aller choisir un livre à l'étage des adultes. Quand je suis revenue, je l'ai aperçue en train de lire un livre à un bébé. Elle déchiffrait les mots. J'ignorais qu'elle en était capable. 

De retour à la maison, je l'ai félicitée avec un gros "Wahou !" Elle m'a avoué qu'elle cachait qu'elle savait lire parce que les autres enfants n'en sont pas capables et qu'elle voulait être comme eux. La semaine suivante, la directrice de l'école maternelle m'a dit que ça ne l'étonnait pas. Quand Sonia sortait de classe pour aller aux toilettes, elle prenait le temps de lire ce qu'il y avait sur toutes les affiches ou les portes des classes... 


La médiathèque est aussi le lieu où elle a appris la langue des signes, et surtout où elle a travaillé les cours du CNED et révisé pour les épreuves du bac [4]. Indéniablement, c'est un lieu qui a vu grandir Sonia, où une partie de son histoire s'est écrite [5].

Pourquoi n'y suis-je pas retournée depuis un an ? Peut-être parce que je n'avais pas besoin de chercher quelque chose de nouveau. Mon univers, mon monde était suffisamment chamboulé comme ça. Peut-être aussi parce que mon cerveau était tellement occupé par l'histoire, les souvenirs de Sonia que rien d'autre ne pouvait m'intéresser. Si Sonia avait été là, j'aurais peut-être assisté au club virtuellement, et elle aurait sans doute fait quelques passages "pour voir" de quels livres il était question ou pour donner son avis sur tel film, tel manga.  

Ce matin, j'ai été ravie de retrouver des visages que je n'avais pas vus depuis longtemps, d'écouter les avis, les critiques, quelque fois les désaccords sur la valeur de telle oeuvre cinématographique... Il fut beaucoup question de polar, et bof... ce genre ne m'a jamais intéressée. Des mots comme "cimetière", "mort", ont éveillé ma curiosité, mais sans plus. Je me suis demandé si je pourrais parler de "La Grâce et les Ténèbres" d'Ann Scott comme d'un polar [6] ? Non, c'est de la littérature générale... qui n'est pas interdite aux moins de 16 ans et ne fait pas partie des "mauvais genres". 

Bad Girl, Sonia Piotelat, 2016

Et en science-fiction, qu'ai-je lu en un an ? Je me suis abonnée à la revue Galaxies, mais j'ai beaucoup de retard dans la lecture des nouvelles. Les dossiers comme celui sur David Brin, sur l'IA ou sur Sexe et Genre en SF ont retenu mon attention. J'ai aussi lu les mangas de Sonia, ou du moins, j'ai continué les séries comme "Héros de la galaxie" ou "The promised Neverland" qu'elle m'avait fait découvrir. 

Je me suis rendue compte que si j'avais lu des auteurs de SF, comme CS Lewis [7] ou J.M Barrie [8], c'était surtout des ouvrages sur le deuil. S'il m'aurait été facile d'en parler dans le cadre d'un groupe de parole sur le sujet, difficile de l'aborder dans le cadre du club interdit aux  moins de 16 ans sans parler de Sonia. 

Parmi les livres proposés, Gnomon a éveillé ma curiosité. J'ai regardé "Countdown" ce midi sans grand enthousiasme. J'ai fait un détour par le rayon "activités manuelles" pour voir ce qu'ils avaient sur les origamis puis au rayon SF où j'ai trouvé l'artbook des Moutons électriques sur le merveilleux scientifique. Je l'ai emprunté en me disant que je l'achèterai sûrement, ainsi que d'autres ouvrages de la série, un peu comme quand Sonia empruntait des livres pour voir... 
 
  1. E. Piotelat, Des milliers de blancs et Timnit Gebru; 12/2020
  2. E. Piotelat, C'est OK que tu ne sois pas OK, 04/2021
  3. E. Piotelat, Joker, 10/2019
  4. E. Piotelat, L'inscription au bac, 07/2020
  5. J.L. Trudel, Sonnet pour Sonia, 06/2020
  6. E. Piotelat, La Grâce et les Ténèbres, 11/2020
  7. E. Piotelat, Sadique cosmique, 06/2021
  8. E. Piotelat, L'automne à Neverland, 09/2020
  9. Artbooks féériques, Les moutons électriques. 

Commentaires

Nathalie FT a dit…
Un bien beau partage, merci