Il y a 12 mois, j'écrivais [1] :
Chaque 26 du mois, je suis un clown sur une corde entre l'humain et le surhumain. Je teste mon équilibre. Je regarde en arrière les semaines qui viennent de s'écouler, je souris en regardant les photos publiées sur ce blog, je feuillette les dernières histoires de Sonia dénichées en faisant le ménage, je tripote ses notes scolaires devenues origami.
Quelle importance ?
Aujourd'hui, je suis allée à un "rassemblement pour la paix en Ukraine". Quelle importance ?
Il y avait des drapeaux pacifiques, des colombes, comme je n'en avais sans doute jamais vu aux Ulis. Il y a eu des tas de marches, de rassemblements, de protestations mais combien de fois avons-nous dû défendre la paix, juste la paix depuis 20 ans ? Jamais... Ça semble tellement évident.. Quelle importance ont ces symboles, ces dessins ?
Depuis, j'en ai plié 800 de plus. Quelle importance ?
En attaquant l'Ukraine, Poutine m'a rappelé les discussions sur le facteur L de l'équation de Drake, c'est-à-dire sur la durée de vie d'une civilisation capable de communiquer. La radioastronomie a été découverte par Karl Jansky en 1933, le brevet pour la bombe A a été déposé en 1939 [3].
Dans les années 1960, l'Ukrainien Iossif Chklovski, professeur de Nicolaï Kardashev [4] et co-auteur du livre "Intelligente Life" avec Carl Sagan, a abandonné la recherche de vie extraterrestre, persuadé que toute civilisation technologique s'auto-détruisait peu après avoir découvert la radioastronomie.
La menace nucléaire semblait appartenir à une époque passée, à mon adolescence, lorsque j'écoutais Sting en me disant que les Russes devaient aimer leurs enfants aussi. Si les humains devaient s'auto-détruire, je pensais que ce serait plutôt à cause du climat que d'une guerre. Le week-end dernier, je m'enthousiasmais à la lecture d'un article sur l'intelligence planétaire [5]. Quelle importance aujourd'hui ? Cet espoir, cet optimisme, me semble appartenir à une uchronie ou un lointain futur.
Qu'est-ce qui pourrait faire plier Poutine ? Sonia était une grande fan des Pussy Riot et admirait leur courage. Elle m'avait montré cette vidéo qui nous faisait beaucoup rire toutes les deux :
Comme beaucoup, j'ai zappé à la recherche d'information, un peu sidérée. Certaines analyses d'expertes ont retenu mon attention. Je ne sais plus qui a évoqué le retour des soldats morts de Crimée, et les larmes des proches qui avaient bouleversé la Russie.
Il y a 20 mois, il y a 12 mois [1], il y a 9 mois [2], je pensais être la seule mère à voir sa fille de 18 ans partir avant elle, même si au fil des jours j'ai croisé de plus en plus de "moi aussi, j'ai perdu mon enfant".
Bientôt, des milliers de mamans en Ukraine et en Russie pleureront aussi sur la tombe de leurs fils, de leurs filles. Ces jeunes auront peut-être reçu une médaille à titre posthume, ou pas... Peut-être que leur identité disparaîtra dans les chiffres ? Le 24 février, il y aurait eu 137 morts en Ukraine à cause de Putine, 279 décès en France à cause du COVID. Quelle importance ?
Le deuil est une espèce de monstre. Violent, épouvantable après sa naissance, il est difficile à observer pour celui ou celle qui ne le vit pas, mais qui éprouve de la compassion, s'inquiète. Et si c'était mon enfant ? L'angoisse des Ukrainiens m'est difficile à observer, la fin me semble tellement inéluctable, mais c'est peut-être mon propre deuil qui me joue des tours.
Bon courage à tous et en particulier aux mamans Russes et Ukrainiennes qui vivent une terrible angoisse.
- E. Piotelat, 8 mois, 02/2021
- E. Piotelat, 1000 grues en 11 mois, 05/2021
- Bombe A (Wikipédia)
- E. Piotelat, Nicolaĩ Kardashev 1932-2019, 08/2012
- Frank, A., Grinspsoon, D., & Walker, S. (2022). Intelligence as a planetary scale process. International Journal of Astrobiology, 1-15. doi:10.1017/S147355042100029X
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