Les crêpes du samedi

Dans la série "L'amour vit tant que l'on raconte son histoire" [1], aujourd'hui, j'ai réussi à faire des crêpes.  Comme dit la chanson, c'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. [2] 


Sonia et moi avions pris l'habitude de préparer une certaine quantité de pâte à crêpes le samedi matin, et d'en manger pendant tout le week-end. De la farine, un œuf ou deux selon ce qui reste au frigo, du lait, du beurre et le tour était joué. 

Il n'était pas rare que Sonia me fasse la surprise d'avoir déjà préparé la pâte quand je rentrais du cours de chinois vers 10h30. 


Nous mangions beaucoup de crêpes le samedi midi, soit avec ce qui restait au frigo, soit avec des saucisses de Strasbourg. Puis, au fil des repas, nous les prenions en dessert ou en apéritif. 


Depuis sa disparition, je n'avais jusqu'à présent pas cuisiné de crêpes.  J'y pensais tous les samedis matins, mais non, je n'en avais pas le courage ou alors, je n'en voyais pas l'utilité en étant seule à la maison. Aujourd'hui, ce blocage a sauté... 


Les crêpes à deux, c'était des allers-retours à la cuisine, des surprises "devine ce que j'ai mis dans ta crêpes" et des tentatives plus ou moins réussies pour reproduire la crêpe montagnarde ou californienne de l'Odyssée Ronde de Bures. 


Est-ce la neige qui m'a donné envie de faire des crêpes ? Le fait qu'il reste un bout de poivron, de la mâche et du comté pour la garniture ? L'envie de me changer les idées, de revivre après cette terrible semaine où trois étudiants se sont suicidés. 


Alors que le gouvernement voudrait cacher ces décès, rechercher des causes ici ou là, pointer la fragilité des étudiants, faire semblant d'agir en dénichant un psychologue par ci, par là, merci à l'UNEF, et à tous ceux qui osent dresser un état des lieux sans tabou. Que ce soit un suicide ou un accident, les parents, les camarades, les enseignants se sentent coupables, ont honte. Au-delà des chiffres, la réalité est tellement horrible que l'on ne peut plus la cacher sous la neige. 


Il y a sans doute eu beaucoup plus que 3 suicides cette semaine. Mais comment savoir ? 1052 décès dus au SARS-Cov2 le 12 janvier, 636 le 15 janvier, alors même si une centaine d'étudiants sont morts cette semaine, pourquoi compter ? 


Patience aux proches des victimes. Il m'a fallu 29 samedis pour refaire des crêpes. 


  1. E. Piotelat, Tant que l'on raconte son histoire, 07/2020
  2. France Gall, Il jouait du piano debout, 1980

Commentaires

Emmanuelle a dit…
Je crois que tu commences à le chemin des souvenirs "baume au coeur"... des moments doux et nostalgiques, mais aussi des gestes qui sont une forme d'hommage à l'Aimé.e avec de la tristesse dedans, et aussi la réminiscence du plaisir qu'il y avait dans ces moments-là...
Ici, les enfants ont fait une "sorcière de neige", le bonhomme, c'est très surfait...
Des câlins pour toi...
Elisabeth a dit…
Une sorcière de neige ? Sur un balai ?
Emmanuelle a dit…
ouaip. Le balai posé sous les fesses de la sorcière, quoi... comme ça a fondu dans la nuit, c'est devenu un palais pour playmobil cet après-midi (le trou du balai constituant la porte).