Trêve olympique

Les jeux olympiques ont débuté la semaine dernière.

Le 23 juillet, j'ai regardé l'équipe de Palestine, ou celle des réfugiés, défiler lors de la cérémonie d'ouverture, avant que des enfants entourés de tournesols donnent la flamme à la joueuse de tennis Naomi Osaka. 

Devant le silence des journalistes sur la symbolique des tournesols, je suis allée chercher la réponse sur le site des JO. Les enfants sont des étudiants des préfectures touchées par le séisme de 2011 [1] [2].

 Dans la préfecture de Miyagi, les parents ayant perdu leurs enfants pendant le tremblement de terre sont retournés planter des tournesols sur la colline où leurs enfants cherchaient à se protéger du tsunami qui approchait.

Le dimanche 25 juillet, Guibert Rigah, ingénieur, 55 ans, et était de repos. Son chef lui a demandé de venir vérifier un problème" sur les travaux qui empêchent la circulation du RER B entre Massy et Les Baconnet [3]. Il est décédé dans un éboulement. On vient de retrouver son corps, cinq jours après. Le matin, il avait plu énormément. Les "et si..." ont fusé. Et si Paris n'organisait pas les jeux olympiques en 2024, est-ce que les travaux auraient eu lieu ? 

Sonia à la gare TGV de Massy en juin 2009

Les platitudes de condoléances se sont mêlées aux agacements des voyageurs. Que vaut la vie d'un ingénieur par rapport à une activité économique normale ? J'imagine l'enfant dans le TGV demandant "mais maman, pourquoi le train il avance pas ?". Est-ce que la réponse sera : "Un héros est mort mon chéri. Son travail était d'éviter un accident de train qui pourrait  te tuer ou te blesser en travaillant sur les voix" ? Ou alors, "Je ne sais pas (comme pour les tournesols de Tokyo), je ne veux pas savoir. Tiens, regarde la vidéo de Lizzie Burns, tu pourra faire des anneaux olympiques [4] ?

L'origami modulaire est plutôt sympa à faire dans le TGV. J'ai testé les modules sonobe [5]. Ca permet de laisser le train avancer pendant que les "et si" du décès de Guibert Rigah s'accumulent. Ca permet de ne pas cacher le décès d'un super héros à un enfant, tout en occupant son cerveau avec autre chose que des images d'un homme sous les cailloux.  

Sans regarder le coût écologique et humain, continuons à regarder les jeux olympiques. Simone Biles a préféré arrêter la compétition plutôt que mourir en pleine gloire ? Non mais... Comment ose-t-elle faire passer sa vie avant notre plaisir de la voir partir en vrille  entre ciel et terre ?

Sonia en juin 2009 lors du gala du COU Gym aux agrès. 

A 5-6 ans, Sonia était très casse-cou, grimpait sur des arbres, faisait des pirouettes, des roues et tout un tas d'autres trucs que j'avais découvert avec horreur au lycée dans ce que Sonia appelle des "cours de torture légale" depuis le collège.  L'univers est rempli de profs de sports, et c'est un problème |6]... 
 

Sonia vers les sommets à Frangy en avril 2009

Jugeant qu'un professionnel du club de omnisports des Ulis (COU) pourrait mieux que moi accompagner ses acrobaties, je l'avais inscrite à la gymnastique aux agrès [7]. 

  Gala du COU Gym aux agrès en 2009. 

Les deux encadrantes des petits étaient géniales et complémentaires, l'une plutôt protectrice, l'autre plutôt stricte. 

Démonstration en juin 2009 au parc urbain

Sonia avait adoré le côté ludique des cours de découverte, mais le gala ou la perspective de compétitions ne l'intéressaient pas. 

Gala du COU Gym aux agrès en 2009. 

Un peu plus tard, elle avait essayé le judo et le karaté. Montrer la diversité des sports et des athlètes devant lesquels somnoler ou faire des grues pour la paix [10] est peut-être un des rares intérêts des jeux olympiques.

Le 26 juillet, Withnée Abriska a rejoint le pays imaginaire où les étudiantes ne grandissent plus [8]. Elle avait 19 ans et est décédée d'une crise cardiaque.  J'imagine les tonnes de "et si" des parents et des proches, même s'il n'y a ni serrure ni canicule dedans (il faisait 25°C à la Réunion ce jour là) [9].

Le 26 juillet, Maxime Beltra est décédé d'un œdème de Quincke. Il avait reçu une dose de vaccin l'après-midi et mangé un aliment auquel il était allergique. Et si... Et si...  Je me suis reconnue dans la vidéo de son père [11].  C'est le cri d'un père qui vient de perdre son enfant et qui demande qu'on le partage. Je suis pour la vaccination, mais je suis aussi pour la transparence, pour que personne ne dise "On ne savait pas" (et pour que les parents enlèvent les verrous des portes de salle de bain). 

Un décès sur 70 millions de doses administrées, ce n'est pas 0, même si c'est très proche ou et s'il y a eu 112000 décès "officiels" à cause de la COVID19 et sans doute pas mal liés au confinement (suicide, cancer non soigné, etc...).  Les mathématiques nous disent que s'il y a 60% de gens vaccinés en France, et 1000 décès par jour toute cause confondue, il y a 600 décès de gens vaccinés. 

Etablir une relation de causalité entre un cœur qui s'arrête de battre, une noyade, un étouffement, un suicide et les événements qui ont précédé la mort dans la journée, la semaine, le mois, l'année est  difficile voire impossible. Il ne reste que des "et si", des "pourquoi" aux proches et aux parents. Les "white lies" [12], les origamis et la présence sans faille des amis et de la famille m'ont considérablement aidée à survivre. Il n'y a pas un seul chemin dans les ténèbres pour voir un peu de lumière . Chacun a son horloge, ses rituels... 

A chaque podium olympique, les bouquets de tournesols sont comme un clin d’œil, un petit rayon de soleil dans l'obscurité. On n'oublie pas les enfants de la préfecture de Miyagi décédés le 2 avril 2011 lors du tsunami. Leurs parents ont planté des graines qui font le bonheur des athlètes du monde entier, et racontent leur histoire, comme je raconte encore ici celle de Sonia [13].

La trêve olympique, c'est faire semblant d'arrêter la guerre pendant que le chef d'état major des armées félicite le quartier-maître Thomas Goyard, l’adjudant Clarisse Agbégnénou, le soldat Margot Pinot et le maréchal des logis Manon Brunet pour leur médaille. Ca fait quand même un peu bizarre de voir certains chanter "qu'un sang impur abreuve nos sillons" en tenant des fleurs semées en mémoire des victimes du tremblement de terre de Fukushima... Jacqueline Dooley a écrit un superbe texte "Après la perte d'un enfant, on est une famille, mais on traverse le deuil seul". [14]. Marchons, marchons... 

1. Naomi Osaka allume la vasque olympique de Tokyo 2020 après une cérémonie d’ouverture étincelante
2. Tournesol et sceau de Salomon : les fleurs du bouquet de la victoire olympique
3. La détresse de « Ti Mato », le père de l'ingénieur martiniquais mort sur un chantier de la SNCF
4. Origami Mette ring
5. E. Piotelat, cube tetris en origami, 06/2021. 
6. E. PIotelat, Vacances confinées, 11/2020
7. COU Gym aux agrès.
8. De nombreux hommages après le décès de la jeune handballeuse réunionnaise Withnée Abriska
9. E. Piotelat, 30 ans, 07/2020
10. Peace Orizuru
11. Vidéo du père de Maxime Beltra (facebook)
12. E. Piotelat, Through the moon, 10/2020
13. E. PIotelat, Tant que l'on raconte son histoire, 07/2020
14. J Dooley, After losing a child: We are a family, but we grieve alone, Al Jazeera.