Une étoile est née

Alors que j'étais persuadée que plus rien ne pouvait me toucher, j'ai été sidérée par l'assassinat terroriste de Samuel Paty. Même si ce billet s'intitule "une étoile est née", je ne vais pas parler d'astronomie, mais bien de la caricature de Coco, et plus généralement du superbe livre "50 ans de liberté d'expression" [1], une véritable bible que l'on devrait trouver dans tous les établissements scolaires. 

Comme Samuel Paty, je vais demander à ceux qui pourraient ressentir n'importe quoi de pas très agréable de ne pas lire la suite du billet de blog. Je mets cette superbe image 3D de Sonia afin qu'elle s'affiche sur la page d'accueil de ce blog pour ceux qui ne voudraient pas voir un prophète nu. 


Car, oui, je vais aussi parler de Sonia, non pas pour l'inclure dans un événement qu'elle n'a pas vécu, mais parce que les propos de Papebyram Sy, élève de Samuel Paty  font écho à ce que Sonia a pu me dire au collège ou avant [2]. Des camarades comme des professeurs ont souvent regardé sa couleur de peau et l'ont classée comme musulmane avant d'écouter ce qu'elle avait à dire. Le racisme, ce n'est pas de demander "Qui est musulman ?", comme l'éducation nationale ou les parents le reprochent à Samuel Paty, c'est de ne pas interroger l'adolescent et de le ranger dans une case, dans une communauté, à cause de préjugés racialistes. Etre une collégienne athée, c'est compliqué... 

Ceux qui s'offusquent de la question "Qui est musulman ?" n'ont jamais mis les pieds dans le système scolaire. Quand un animateur m'a demandé en juillet 2005 au moment de l'inscription en centre de loisirs si Sonia était "sans porc", j'ai failli lui rire à la figure... C'est quoi cette question débile ? Pourquoi y aurait-il du porc dans un enfant de 3 ans ? Cette question, a priori, on ne la pose pas à tous enfants. Certains parents de blondinets n'y ont pas eu droit... Racisme et préjugés... En maternelle, Sonia a essayé de dire qu'elle était allergique aux épinards. On a aussi eu droit à une note de la part de la mairie disant qu'il ne pouvait y avoir de menu végétarien, car quand un enfant refusait de manger de la viande, c'est toute la table qui refuse. Bref, "la question" de Samuel Paty est posée tout au long de la scolarité des enfants du moins aux Ulis, même si elle a un caractère plus global (d'autres religions ne mangent pas de porc ou de viande), elle n'en est pas moins peu laïque. Le père qui hurle à la discrimination des enfants musulmans est le même que celui qui dit à l'école depuis 10 ans que sa fille ne mangera pas de porc à midi. 

Samuel Paty a fait preuve d'humanisme en posant cette question avant de montrer cette image : 


"Un bon dessin est un coup de poing dans la gueule" disait Cavana [3]. Samuel Paty a eu raison de prévenir ses élèves, tout le monde n'est pas prêt à encaisser, et un coup peu faire plus ou moins mal. Quand je l'ai vue pour la première fois, je me suis dit "Bof, y'a trop de poils, c'est pas vraiment beau..." Ensuite, je me suis demandé si l'homme était Mahomet ou un fidèle quelconque. Le titre laisse peu de doute, mais ça peut être un fan s'agenouillant devant sa star... 

Pour ce qui est de la nudité, elle ne me choque pas. Les parents qui parlent d'atteinte à la pudeur devraient savoir que les humains (donc eux-même) sont représentés nus sur la plaque accrochée à la sonde Pioneer en 1972...


Qu'il s'agisse de la caricature de Coco "Mahomet : une étoile est née" ou de la plaque, les deux font partie de l'histoire. La disparition de Samuel Paty fait que, dorénavant, montrer une représentation de Mahomet n'est même plus du blasphème, c'est montrer un document qui a fait l'histoire, une élément de dossier dans un futur procès. 

Un dessin a toujours un contexte. Pour Pioneer 10, l'idée était de porter un message à d'éventuels extraterrestres. Elle a été soumise par Eric Burgess à Carl Sagan, qui l'a réalisée avec l'aide de Frank D. Drake et Linda Salzman Sagan. La sonde a décollé le 2 mars 1972 et elle se dirige actuellement vers l'étoile Aldebaran. [4]

Si Samuel Paty a montré le dessin  "Mahomet : une étoile est née"  ce n'est pas juste pour faire rire toute une classe, c'est pour parler de liberté d'expression. Cette caricature a un contexte, qui est très bien expliqué dans l'ouvrage retraçant les 50 ans de Charlie Hebdo [1]. 


En 2012, la bande annonce d'un film intitulé "Innocence of Muslims" a suscité de vives protestations anti-américaines. D'après wikipédia [5], on ne sait pas si quelqu'un a déjà vu le film... Pour protester contre cette censure, Charlie Hebdo a sorti un numéro "Intouchables 2 : faut pas se moquer" le 19/09/2012, dont est extrait cette caricature "Mahomet : une étoile est née". 

Samuel Paty n'a pas juste montré des caricatures, il a donné un cours sur la liberté d'expression, sur la laïcité qu'il a illustré avec des photos d'actualité en plein procès des attentats de janvier 2015. 


Comme certains parlent d'islamophobie depuis l'attentat, je pourrais parler de "parentophobie" quand je lis certaines réactions d'enseignants contre les parents qui s'investissent trop selon eux dans l'éducation de leurs enfants. Quelque part, c'est de bonne guerre, même si le terme est sans doute mal choisi dans ce contexte. 

J'ai fait  partie d'une association de parents indépendants en maternelle, puis de la FCPE avant de claquer la porte, puis de la PEEP. Au collège, les parents doivent adhérer à une association pour être élus parents délégués. C'est aussi bête que ça. Il y a des règles, des lois, et le CCIF ne fait pas partie des gens censés accompagner un père protestant contre l'exclusion temporaire de sa fille. Je ne comprends pas comment la proviseur a pu accepter cela et laisser un mec fiché S rentrer dans son établissement alors qu'il n'a aucun lien avec celui-ci. Bref, les parents peuvent râler, mais pas n'importe comment, et surtout pas avec n'importe qui. Lors du conseil de classe chaque trimestre, les attaques contre un enseignant sont interdites. On peut dire "le cours de math est trop bruyant" (les élèves sont responsables du bruit), mais pas "le prof de math a du mal à se faire respecter". 

Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai utilisé ce blog pour râler contre un enseignant, mais je ne l'ai pas nommé (même si la tentation était grande). D'ailleurs la critique ne concernait pas l'individu, l'humain, mais le contenu de son cours qui ne tient pas compte des programmes de terminale et son refus de prendre en compte la dyslexie de Sonia [6].

Alors, oui, il arrive que les parents se trompent. Après l'assassinat de Samuel Paty, difficile de reprocher à un enseignant de ne pas parler de Charlie Hebdo dans un cours sur la liberté d'expression, comme je l'ai fait le mois dernier [7]. 


Il arrive aussi que les parents oublient de remercier les professeurs pour ce qu'ils ont apporté à leur enfant. Et là, je vais donner les noms, mais je peux les enlever si cela pose problème... 

Merci à M Valenti. En classe de cinquième, le programme sur le moyen âge, les églises gothiques, les piliers de l'islam ne passionnaient pas Sonia, qui s'ennuyait ferme mais s'intéressait beaucoup à la seconde guerre mondiale. Il lui a mis des manuels de troisième entre les mains, avant de l'amener progressivement à s'intéresser à cette sombre époque avant les lumières. Il avait aussi organisé une collecte de photos et de cartes postales de la première guerre mondiale, qui avait permi à Sonia de découvrir l'histoire de son aïeul. 

Merci à Mme Beynel, que Sonia a eu en quatrième, en 2015, au moment des attentats de Charlie Hebdo, où tous n'étaient pas vraiment Charlie [7]. 

Merci surtout à Mme Brétéché, professeur d'histoire-géographie qui a énormément écouté Sonia en troisième et lui a donné des armes pour défendre la laïcité, pour combattre le racialisme et les préjugés. [8]

La critique est aisée, l'art est difficile. Les parents oublient souvent que derrière la note, derrière le mot dans le carnet, il y a un humain, un acteur, un chef d'orchestre seul devant sa classe, devant des adolescents qui vont l'adorer un jour, le détester le lendemain. 

Jonathan Sandler professeur à l’école Ozar Atorah a été assassiné le 19 mars 2012 à Toulouse par Mohammed Merah. Samuel Paty a été assassiné parce qu'il a fait son métier, juste son métier... Aujourd'hui, les professeurs deviennent des héros, non seulement parce qu'ils risquent leur vie dans une guerre contre des fantômes, mais aussi parce qu'ils forment ceux qui construiront peut-être la paix demain. En attendant, il ne reste qu'à construire des grues pour la paix, en espérant qu'aucun drame ne survienne à la sortie d'un collège.

  1. Charlie Hebdo, 50 ans de liberté d'expression. Les échappés, ISBN  978-2-35766-174-5
  2. C politique, la suite; 18/10/2020 (avancer de 37 minutes)
  3. Dessin mode d'emploi.
  4. Pioneer 10
  5. L'innocence des musulmans (Wikipedia)
  6. E. Piotelat, Through the Moon, 10/2020
  7. E. Piotelat, Résilience, 09/2020
  8. E. Piotelat, La prof d'histoire, 11/2016

Commentaires

Nathalie Faure a dit…
Bravo et merci pour ce texte.