Ciel de vies

Je savais que j'avais la chance d'être entourés de gens exceptionnels, mais je n'imaginais pas à quel point ! 
La solidarité, le soutien sans faille des voisins, des amis, des collègues, de ma famille me permet petit à petit d'avancer, même si le temps semble toujours s'être dilaté. 

Je vais essayer de répondre à chacun de vos messages. En attendant, je les lis, je les savoure, comme celui de Dominique Béroule, qui a composé cette chanson pour Sonia et ceux qui sont partis. 



En l'écoutant, en la réécoutant, je me suis souvenue à quel point dans les moments de doute quand j'avais l'âge de Sonia, la voûte étoilée me rassurait. Les constellations reviennent, que l'on soit en prépa à Dijon, en école d'ingénieur à Valenciennes, en stage en Allemagne ou à Nançay. 

Je me suis aussi posé une question un peu étrange. Et si Sonia était partie si loin que j'aie la certitude de ne jamais la revoir, est-ce que la douleur aurait été aussi intense ? Est-ce que des petits trucs déclencheraient des larmes sans que je comprenne pourquoi ? Ou est-ce qu'avec la mélancolie de la séparation, il y aurait la fierté de savoir qu'elle était en train de découvrir des mondes nouveaux, de voler de ses propres ailes ? 

Dessin de Sonia trouvé dans les affaires de 4e

La nouvelle "The story of your life" de Ted Chiang débute sur un dialogue entre une mère et sa fille de 13 ans, qui lui reproche de l'avoir mise au monde juste pour faire le ménage [1]. J'imagine que tous les parents ont eu à répondre à la question "Pourquoi est-ce que je suis né ?" "Pourquoi voulais-tu un enfant ? ". Y répondre revient à se regarder dans le miroir et à se demander si c'est de l'égoïsme (ce serait cool de faire un bébé pour ne pas avoir à passer l'aspirateur dans 10 ans) ou de l'altruisme (créons un petit humain de plus, donnons lui beaucoup d'amour pour qu'il grandisse, puis qu'il devienne ce que bon lui semblera).

 Mais même cet altruisme-là, est-il si altruiste que ça ? En gros, si l'humain est prêt à risquer sa vie pour son propre enfant (celui qui possède 50% de ses gênes), quelle importance accorde-t-il aux enfants des autres humains qui lui sont inconnus, par exemple aux réfugiés qui meurent en Méditerranée ? 

 

Sonia a découvert le paradoxe des jumeaux assez tôt, grâce à la BD "l'imparfait du futur" d'Emile Bravo. Est-ce que je l'aurais laissé partir dans la fusée, sachant que je serais centenaire (ou plus de ce monde) quand elle reviendra âgée de quelques années de plus ?  On avait aussi regardé Interstellar ensemble. Le père a-t-il bien fait de partir dans l'espoir de sauver l'humanité et donc ses propres enfants quitte à ne jamais les revoir ? 

Sur son dernier compte Twitter, Sonia rediffusait beaucoup les messages de Greta Thunberg, de Licypriya Kangujam et du mouvement Extinction Rebellion UK. On a aussi discuté des projets d'Elon Musk de colonie sur Mars et elle avait adoré participer à la rencontre organisée par l'ESA à propos de base sur la Lune.  En plein scénario apocalyptique, sur une Terre qui ne deviendra plus vivable, combien aurais-je payé son billet aller-simple sur Mars ? 

Sonia en décembre 2016, gare de Lyon, avec une exposition de photos de Mars.

Elle venait d'avoir 18 ans. C'est un âge où l'on rêve de partir, souvent pour mieux revenir. Elle s'était renseignée sur Erasmus. J'avais fait le deuil de la petite fille qui avait besoin de moi, et je la regardais tirer des plans sur la comète tout en râlant contre les cours de "PPP" (projet professionnel personnalisé) et tous ceux qui posaient des questions style "Quel métier veux-tu faire plus tard ?".

Ce 26 juin, c'est comme si j'avais appris qu'elle se trouvait dans une fusée poue Mars ou Proxima du Centaure. Mes larmes auraient été égoïstes, parce que j'aurais compris que je ne la reverrai pas de mon vivant à moi. Ce 26 juin, c'est comme si la fusée avait explosé au décollage. J'aurais pleuré la fin d'un espoir de survie pour l'humanité, un arrêt brutal des avancées technologiques pour de longues décennies. 

Juin 2017 : entrée professionnelle au salon du Bourget

Commentaires

Lily F a dit…
Merci à toi de nous tenir au courant, de tenir bon et de partager ces moments précieux de vos vies. Partie oui, dans nos coeurs, toujours là.
Bises