Ça faisait un moment que j'avais envie d'écrire une petite critique du livre de Mickaël Launay : "Le théorème du parapluie" [9]. Comme "La guerre des fourmis" [1] écrit par Franck Courchamps et illustré par Mathieu Ughetti est une bande dessinée, l'ouvrage est en compétition pour le prix du livre scientifique 2020 [2].
Parenthèse
Cependant, j'ai écouté "Gardiens de la paix" sur Arte Radio. [3]. Ces propos de policiers m'ont touchée au plus haut point... Ils corroborent de nombreux témoignages, mais surtout ils créent un lien, une continuité. Il y est question de féminicide et j'ai immédiatement pensé au meurtre de ma tante [4]... Rassembler les pièces du puzzle sera douloureux, comme l'a été Joker [5]. Alors non, je ne vais pas parler de racisme ici, tout d'abord parce que je n'en suis pas victime et qu'il est temps de laisser la parole à ceux qui savent ce que c'est [6] [7]. Et puis, ne suis-je pas aussi une part du problème ? N'ai-je pas eu des comportements qui renvoyaient l'autre à sa différence ? Je tiens ici à m'excuser auprès de voisins, de collègues, d'amis...
Un parapluie, pour quoi faire ?
Cette parenthèse étant fermée, revenons au livre de Mickaël Launay. C'est quoi ce théorème du parapluie ? Par exemple, ma tante est décédée le 20 mai. Nous sommes le 6 juin. C'était il y a combien de jours ? Là, je suis dans le monde réel. Je peux alors ouvrir un parapluie, dire qu'il y a 31 jours au mois de mai, donc c'est "comme si" on était le 37 mai. 37 - 20 = 17. Je referme mon parapluie, je quitte ce monde où il y a un 37 mai, je retourne dans le monde réel, et j'écris que ma tante a été tuée il y a 17 jours. La réponse est 17. Tout ce que j'ai fait entre temps (c'est-à-dire des maths) ne regarde que moi.
Figure 1 : Triangle de Sierpinski en 2D
Vers l'infini et l'au-delà...
Il n'y a qu'une race, la race humaine et souvent, ce qui nous divise, ce sont de petits détails. Par exemple la couleur de peau est codée sur 8 gènes alors que nous en avons entre 25000 et 30000.
Ces trois Bernache en vol sont les mêmes pour moi. Mais un ornithologue serait capable de donner leur sexe, peut-être leur âge. Un ingénieur du son différencierait leurs cris. Un œil avisé reconnaîtrait des milliers de différences dans leur plumage. Derek Chauvin a tué George Floyd le 25 mai 2020, à cause de quelques gènes qui n'étaient pas comme les siens. C'était, il y a <Parapluie>37 mai ; 37 - 25 = 12 </Parapluie> 12 jours. Le meurtre d'un seul homme secoue les 7 milliards d'humains. Ce sont souvent les plus petits détails qui font de grandes différences. Mickael Launay va plus loin... Les petits détails créent l'infini comme par exemple pour la longueur des côtes anglaises.
Justement, l'infini... En cette période de scolarisation à domicile, quel concept difficile à expliquer ! Pourtant Mickael Launay a le truc qui pourrait sauver la vie de bien des parents pour qui ce concept est acquis depuis leurs 18 ans, pour qui c'est évident que l'infini moins l'infini est une forme indéterminée et qui n'arrivent pas à expliquer cela à leur enfant.
Il suffit de prendre des chocolats et un Dr Who qui ne meurt jamais. Imaginez que chaque jour, vous achetiez 2 chocolats. Vous en gardez un dans le placard (pour la prochaine période de confinement), et vous mangez le second. Au bout de 10 jours, il y aura 10 chocolats dans le placard et 10 auront été mangés. A la fin des temps (vous ne mourrez jamais), vous aurez mangé une infinité de chocolat, et il y en aura une infinité dans le placard. Donc l'infini (acheté) moins l'infini (mangé) est égal à l'infini (dans le placard)
Maintenant, imaginez que vous achetez toujours 2 chocolats, mais que vous leur colliez un numéro :
20 mai : n°1 et n°2 achetés, n°1 mangé (#2 reste dans le placard).
21 mai : #3 #4 achetés, #2 mangé (#3 #4 restent dans le placard)
25 mai : #11 #12 achetés , #6 mangé (il en reste 6 dans le placard)
37 mai (6 juin) : #35 #36 achetés, #18 mangé (il en reste 18 dans le placard, etc, etc...)
Mais à la fin de la fin des temps, tous les chocolats auront été mangés. Par exemple, le #36 aura été mangé le 19+36=56 mai (25 juin). Donc une infinité de chocolats achetés moins une infinité de chocolats mangés, ça donne zéro.
Comme dirait le docteur Who, cette démonstration est brillante.
Vers la quatrième dimension...
Les histoires d'infini, c'est niveau lycée... Mais quand on parle de quatrième dimension, les mathématiques ressemblent à de la magie pour paraphraser A.C. Clarke. Par exemple, lorsque j'ai appris que Lisa Piccirillo avait résolu un problème posé il y a 50 ans par John Horton Conway, je n'ai même pas cherché à comprendre cette histoire de nœuds que l'on coupe par la tranche dans la 4ième dimension. [8]
Quand je dessine une ligne, je suis en 1D (une dimension). Si je veux une ligne 2 fois plus grande, je dessine 2 lignes identiques. Je multiplie par 2.
Si je suis en 2D, par exemple avec cette photo de canard de 200px de large :
Si je veux une image de 400px de large, il me faudra 4 carrés comme celui de départ :
Si j'avais un cube, il me faudrait 8 cubes (2 * 2 * 2) pour avoir un cube deux fois plus grand... On comprend le truc...
Un peu plus haut, j'ai dessiné un triangle, avec un triangle dans ce triangle puis d'autres triangles dans les triangles... Cette figure s'appelle le triangle de Sierpinski. On peut avoir presque le même dessin non pas en coloriant l'intérieur des triangles mais en dessinant d'autres triangles, c'est à dire des lignes, c'est-à-dire en restant en 1D...
Alors, le triangle de Sierpinski est-il en 1D ou en 2D ? Pour doubler sa taille, faut-il alors 2 ou 2 * 2 triangles originaux ? La réponse est... 3, c'est-à-dire 2 exposant 1,585... Bref, on est dans la dimension 1,585.
Ça ne va pas m'aider à comprendre le génie de Lisa Piccirillo, mais ça me donne l'impression que ses travaux me sont un peu moins inaccessibles.
Bleu, vert, vleubert?
Le Triangle de Sierpinski ou l'infini avec des chocolat ne sont que des détails du livre qui regorge de choses passionnantes à voir, à faire sous le parapluie des mathématiques. Mickaël Launay nous invite à beaucoup d'humilité.
Si le ciel dans lequel volent canards et Bernaches est bleu, quand est-il de l'eau de l'étang du parc nord ? Ça dépend du temps ?
Bleue ? Verte ? Vert bleu ? Une langue vleuberte est une langue où il n'existe qu'un mot pour désigner le bleu et le vert. Notre perception des couleurs dépend de notre vocabulaire... et pour les mathématiques, c'est pareil.
En 1901, Bertrand Russel a écrit :
"Les mathématiques peuvent être définies comme la discipline dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle ni si ce que l'on dit est vrai".
Peu importe que l'eau soit bleue ou verte, cela n'empêche pas les canetons de barboter...
L'heure du vote
"Le théorème du parapluie" de Mickël Launay faisant partie du prix scientifique, il est temps, après toutes ces digressions d'examiner les 4 critères :
Vulgarisation : Je pense que le livre est adapté à un large public. Je le recommande plus particulièrement aux parents qui doivent aider leurs progénitures découvrant Euclide, comme les logarithmes népériens. La solution des problèmes ne se trouve pas dans cet ouvrage, mais ils pourront raconter des anecdotes tirées de l'histoire des mathématiques.
Scientifique : J'ai une formation scientifique et donc j'ai adoré me plonger dans cet ouvrage. J'y ai appris beaucoup de choses, que j'avais sans doute aperçu dans un lointain passé et oublié.
Littéraire : Rien à redire là-dessus.
Esthétique : Il manque un peu de couleur (en particulier lorsqu'il est question du vleubert), mais les nombreuses illustrations de Chloé Bouchaour facilitent la compréhension.
Merci ! Et merci pour l'idée du parapluie, qui me plaît beaucoup ! On n'en est pas encore au LN pour les nains... mais là, les deux grandes découvrent le sort des migrants à travers l'Odyssée d'Hakim... la maison est remplie de Caliméros en herbe("Mais ? C'est Vraiment Trop Pinzuste !")...
Commentaires
On n'en est pas encore au LN pour les nains... mais là, les deux grandes découvrent le sort des migrants à travers l'Odyssée d'Hakim... la maison est remplie de Caliméros en herbe("Mais ? C'est Vraiment Trop Pinzuste !")...