Oui, chef, je suis là !



Les 7 janvier se suivent et se ressemblent. Cette année, comme en 2015, janvier marque la sortie du dernier roman de Michel Houellebecq, ce qui ne fait que raviver les souvenirs.


Rien ne bouge, on ne progresse pas, on s'enlise et je blogue.

  • 2018 : "En ce début d'année 2018, j'ai l'impression de risquer ma vie en allant écouter la philosophe Elisabeth Badinter parler de Charlie Hebdo".[1]
  • 2017 : "Une fois n'est pas coutume, je vais rédiger un billet en anglais, dans le but de répondre à cette question compliquée : quelqu'un peut-il expliquer ce qu'est cette chose "Charlie" ?" [2]
  • 2016 : "Tout a commencé à déraper le 7 janvier. Depuis, nous n'avons fait que dériver vers cet état d'urgence, en sacrifiant au fil des jours nos libertés." [3]
Alors, oui, je vais encore parler de Charlie Hebdo, encore parler de ce 7 janvier, et ce n'est pas la dernière fois, même si j'aimerais ne plus avoir à le faire, même si j'aimerais que Charlie redevienne un journal comme les autres, sans que les illustrateurs n'aient besoin de protection, sans que les journalistes ne vivent dans un Bunker. 

Terrorisme Islamiste et violence.

Dans l'éditorial du numéro reçu hier dans ma boîte aux lettres, Riss demande "Vous êtes encore là ?". Il écrit : 

"Depuis 4 ans, la situation à l'égard du terrorisme islamiste n'a fait que se dégrader. Comme la créature d'Alien qui pond ses œufs sans interruption, le blasphème a fait des petits"


Dans son essai "Qu'est-ce qu'un chef ?", Pierre De Villiers revient sur les attentats de 2015. Il était alors Chef d'Etat Major des Armées. 
"Je me revois, le 8 janvier et le 14 novembre 2015, aux lendemains de ces attaques, durant les conseils restreints qui avaient été organisés sous la présidence de François Hollande. [..] je peux vous dire que j'ai senti en ces circonstances la profondeur et la gravité des changements que nous vivions et qui dépassaient la crise à gérer. Un véritable tournant stratégique. La France se met à avoir peur, frappée au cœur par  des fous d'Allah, pour l'essentiel de nationalité Française." (p131)
Pour le militaire, s'il n'y avait eu que des caricaturistes visés, il ne se serait rien passé à l'Hyper Casher et Clarissa Jean-Philippe serait toujours de ce monde. Dès janvier, le risque d'une attaque telle que celle du Bataclan était présent. Son livre a été publié après qu'il ait donné sa démission à Macron le 14 juillet 2017 et avant qu'éclate le mouvement des Gilets Jaunes, mais il s'inquiète de la guerre civile larvée. 
La violence, voire la sauvagerie est devenue un fait de société. Les attaques au couteau se multiplient dans l'espace public sur des passants qui avaient le malheur de se trouver là. Cela n'existait pas il y a encore quelques années et ne correspond pas à notre culture sociétale [..] Les faits sont têtus. On recense près de 1000 agressions par jour non crapuleuses (autre que le vol et sans compter les violences sexuelles).

La laïcité c'est la paix

Dans le chapitre "Gagner la paix", Pierre De Villiers dit qu'il est impossible de parler de paix si on ne la pratique pas soi-même et insiste sur la laïcité. 
"Au-delà de la victoire sécuritaire, qui est un vrai défi national et international, il faudra aussi gagner la paix des cœurs, au risque de voir se propager dans nos organisations des difficultés croissantes. Ce sujet minimement politique parce que sociétal doit être traité sans botter en touche [..] La laïcité, qui n'est pas une éradication du fait religieux, considéré comme L'opium du peuple, mais le respect des croyances de chacun au sein d'une République apaisée, est pour cela notre meilleur rempart."
Le numéro de Charlie Hebdo est consacré aux Lumières, ce truc dont on nous parle vaguement au collège, puis au lycée après les longues heures de cours d'histoire-géographie sur le Moyen-âge avec description des églises gothique ou romane et des 5 piliers de l'Islam. Que ce soit en classe de 4ième ou même en terminale lors des cours de philosophie, je pense que je n'étais pas assez mature pour comprendre l'enjeu et l'importance des écrits de Voltaire, Descartes ou Newton. Dans le même éditorial, Riss écrit :
"Aucune des libertés dont nous bénéficions aujourd'hui n'aurait vu le jour sans ce courant philosophique qui a commencé par défier Dieu avant de faire vaciller ses serviles serviteurs que furent rois et monarques".

Lumière scientifique.

Je n'ai pas lu l'intégralité de ce numéro spécial. J'ai commencé (comme souvent) par les articles d'Antonio Fischetti. Dans un papier intitulé "La science avance et le culte recule", il écrit :
"Prétendre que les mêmes lois s'appliquent là-haut et ici bas, c'est offenser Dieu. Ce n'est pas pour rien que la diffusion des textes de Descartes et Newton a été interdite en France." 

Dans un second article, intitulé "Savoir ou croire, il faut choisir", il cite son collègue Guillaume Lecointre [4] :
"La connaissance est de plus en plus contestée en classe. On entend de plus en plus dire que toutes les connaissances se valent. L'argument est le suivant : chacun croit ce qu'il veut, on est en démocratie. "
Serait-on devenu idiots par paresse ? J'avoue, je n'ai pas lu Descartes, enfin, si j'ai lu un manga qui parlait de Descartes. Newton ? Bon, ça va, j'ai quelques souvenirs de cours de physique me permettant de calculer la trajectoire d'un pigeon suicidaire [5].


La question que pose en filigrane ce numéro de Charlie Hebdo est celle-là : ne devrions-nous pas nous déconnecter, prendre le temps de lire ou relire les écrits des scientifiques et philosophes du siècle des lumières ?

La caverne de Platon

Quelqu'un qui ne lirait que ce billet de blog pour se faire une idée du dernier numéro de Charlie Hebdo ou du livre de Pierre de Villiers aurait une image complètement fausse. Je n'ai cité que de courts extraits qui ne sont pas représentatifs de l'ensemble du journal ou de l'essai. C'est une espèce de note à moi-même de ce que j'ai apprécié. Ce n'est même pas une critique avec des aspects positifs et négatifs. Dans un papier intitulé "La caverne de la servilité", Yannick Hanael évoque cette photo postée par Mark Zuckerberg sur son compte Facebook [6].

 "On dirait des zombies enchaînés à un spectacle d'ombres. Zuckerberg, quand à lui est décontracté : il n'a pas besoin d'être connecté. Il règne sur la connexion des autres.
Les lumières aujourd'hui ? C'est ce qui nous apprendra à nous libérer de cette emprise."

Toujours Charlie

Les illustrateurs et journalistes de Charlie Hebdo sont toujours là. Et oui, je suis toujours là aussi pour les lire, pour rire, pour réfléchir, pour acquiescer, pour critiquer, pour m'énerver en tournant les pages.

La question actuelle est celle d'une présence réelle, c'est-à-dire avec une pensée construite à partir de données suffisamment proches de ce que certains auteurs ont écrit, à partir de connaissances scientifiques et pas uniquement de croyances.

  1. E. Piotelat, Ava, Carmen, Charlie, Eleanor, 01/2018
  2. E. Piotelat, What is Charlie? 01/2017
  3. E. Piotelat, Liberté, 01/2016
  4. Site web de Guillaume Lecointre au MNHN.
  5. E. Piotelat, Pigeon suicidaire et Oumuamua, 11/2018
  6. Photo de MWC 2016 Barcelona.

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