Bobigny 1972

Il est arrivé, quand j'étais jeune et indisciplinée que j'entende des propos comme "Tu es pire que Gisèle Halimi" ! J'ai souvent traduit ça par "Arrête de râler, ça ne sert à rien !" ou "C'est bon, on connait la chanson et les revendications des féministes", mais je ne me suis jamais vraiment demandé qui elle était, et ce qu'elle avait fait pour servir ainsi de référence aux adultes, voire aux vieux... Je pense que je la rangeais plus ou moins dans la catégorie des soixante-huitardes, dans le même panier que Cohn Bendit et des étudiants qui ont essayé de changé le monde en vain avant de devenir plus ou moins séniles et gâteux.  

J'avais un an lors du procès de Bobigny et j'ai grandi dans un monde où l'avortement n'a jamais été un crime. Je ne me considère pas forcément comme féministe, justement parce que beaucoup a été acquis par d'autres avant moi et que je n'ai jamais eu à me battre pour voter, faire des études ou acquérir une indépendance financière. C'est bien que le droit à l'interruption volontaire de grossesse soit dans la constitution, "au cas où", mais je n'ai pas arpenté le trottoir parisien ni écrit la moindre ligne pour cela [1]... Lutter contre le racisme, le sexisme, l'antisémitisme, les inégalités me semble plus urgent. 

J'ai emprunté la BD "Bobigny 1972" samedi à la médiathèque, je viens de la terminer, une larme à l’œil, très émue par l'histoire de Marie-Claire Chevalier, violée à 16 ans par un camarade de lycée et placée en garde à vue pour avoir avorté, après dénonciation du coupable [2].

Couverture de la BD Bobigny 1972

Le récit m'a permis de comprendre que le combat de Gisèle Halimi était bien plus de défendre une société égalitaire où même les femmes les plus pauvres puissent avorter. A l'instar des 343 qui ont signé le manifeste, les plus fortunées n'avaient pas de problème. Elles pouvaient être opérées par de grands chirurgiens, et partir à l'étranger. Changer la loi en permettant l'interruption volontaire de grossesse, c'est d'abord donner les mêmes droits à toutes les femmes.  

Catherine Deneuve

J'ai découvert que Catherine Deneuve n'avait pas toujours été la personne qui protège les pédophiles et défend les prédateurs. Elle a aussi été "la plus jolie avortée du cinéma français". Cela dit, ce n'est pas incompatible... On peut défendre en même temps les agresseurs euh non, les séducteurs du cinéma français, et le droit d'avorter de leurs victimes.

L'héroïne de ce récit est Marie-Claire, qui accepte d'être défendue gratuitement par Gisèle Halimi en échange d'une médiatisation. On suit l'agression, sa descente aux enfers, puis l'audience et enfin la libération. 


Les couleurs de la bande-dessinée sont sombres ce qui lui donne un côté polar. On devine une grande sensibilité, une justesse, une précision pour reproduire les moments douloureux au sein du foyer. Des femmes se retrouvent sur le banc des accusés devant un juge, devant des hommes. Le fait d'appeler à la barre des hommes, chirurgiens, politiques, qui témoignent de la souffrance des femmes était nécessaire. C'est toute la société qui doit se battre pour l'égalité, il ne peut y avoir qu'un ensemble de femmes, fussent-elles réunie en association,  contre le reste du monde. 

En lisant ces pages, j'ai compris la force de Gisèle Halimi. Ce n'est pas une soixante-huitarde qui crie, une avocate, une féministe parmi d'autres. C'était une personne qui défendait les plus modestes pour que même sans argent, tout le monde ait la même justice, les mêmes droits. Son rôle d'avocate ne lui permet pas de changer la loi, mais de pointer les problèmes de celle-ci en refilant la patate chaude au législateur. 

Je ne suis pas Gisèle Halimi, je ne vois pas de Gisèle Halimi à l'horizon, mais il y a encore beaucoup de Marie Claire qui souffrent. Même si l'IVG est un droit, même s'il est dans la constitution, cela n'empêche pas les viols et la pression pour garder un enfant non désiré. 

  1. Article 34 de la constitution
  2. M Bardiaux-Vaïente & C. Maurel, Bobigny 1972, Glénat, 2024

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