Lycéens : les raisons de la colère

Depuis deux jours, le lycée de l'Essouriau aux Ulis est le théâtre de blocages. S'agit-il de bloquer pour sécher les cours ? Est-ce vrai de dire "Ils ne savent pas pourquoi ils manifestent ?".

Caddies brûlés

Je ne suis pas lycéenne, et j'invite les personnes concernées à commenter ce billet pour indiquer leurs motivations. En tant que parent, je soutiens lycéens et étudiants. Voilà quelques explications à partir de la plaquette officielle destinée aux élèves de seconde [1].

Felix

Prenons le cas du garçon, Felix, intéressé par les drones et la géographie... Adaptons ce qui est décrit à la vraie vie. 

En seconde

  • Félix dialogue avec ses professeurs, qui lui disent que sur les 11 enseignements de spécialité [2], il n'y en aura que 5 dans son lycée. 
  • Avec sa famille, il a en a repéré 4 au deuxième trimestre. Passionné par les drones, il aimerait Mathématiques, Sciences de l'ingénieur, Numérique et sciences informatiques. Intéressé par la géographie, il pense que l'option "Histoire géographie géopolitique et sciences politiques" ne serait pas mal. 

  • Admis en voie générale, il ne peut pas choisir Sciences de l'ingénieur, Numérique et sciences informatiques qui ne sont pas proposées par son lycée. D'après le bulletin officiel [3]: 
Des conventions pourront être mises en place entre deux établissements géographiquement proches afin de permettre à leurs élèves de suivre des enseignements de spécialité qui ne seraient pas offerts dans leur lycée de scolarisation.
Lorsque des solutions proches ne pourront être trouvées, et dans des cas exceptionnels, un des enseignements pourra être suivi à distance, notamment dans le cas où il serait proposé par le Cned.
Lorsque le choix des enseignements de spécialité nécessite un changement d'établissement, une procédure d'affectation particulière peut être mise en place au niveau académique.

En première

  • Si Felix est aux Ulis, il peut espérer un accord entre le lycée de l'Essouriau et le lycée Blaise Pascal (à 2km) pour pouvoir suivre Sciences de l'ingénieur, Numérique et sciences informatiques. Mais vu la complexité de créer un emploi du temps au sein d'un seul établissement, la probabilité d'une harmonisation entre 2 lycées semble nulle. 

  • Si les parents de Felix sont riches, ils peuvent commander des cours à la carte au CNED (279€ le premier, 209€ le suivant). Il est possible qu'un lycée privé accepte Felix. Par exemple, pour le lycée Sacré Cœur de la ville du Bois, une année au Lycée coûte 1587€, au CSO à Orsay, c'est 1093€.
  • Felix peut aussi espérer changer d'établissement, en espérant que les lycées qui proposent les options qui l'intéressent aient encore de la place. 
  • Si Félix habite à Frangy-en-Bresse ou Saint-Germain-du-Bois, et que le lycée le plus proche, c'est-à-dire le lycée Henry Vincenot à Louhans (15km) ne propose pas l'option souhaitée, il est peu probable qu'il puisse les suivre dans un des lycées de Châlon-sur-Saône (36km).



Qu'il soit aux Ulis ou à Saint-Germain-du-Bois, il est donc probable qu'il se contentera des options proposées dans son lycée et oubliera son intérêt pour Sciences de l'ingénieur, Numérique et sciences informatiques.

En terminale

  • Il choisit d'abandonner l'option de spécialité "Mathématiques", parce que ses résultats moyens risquent de le pénaliser pour le BAC et qu'en plus, le lycée recherche désespérément des professeurs de Maths. 
  • Comme ses options au BAC sont "Histoire géographie géopolitique et sciences politiques" et "Sciences économiques et sociales", le logiciel Parcoursup ne lui propose aucune licence scientifique ou technique. Il ne lui reste que la licence "géographie et aménagement". 
  • S'il habite en Bourgogne, il devra aller étudier à Besançon (70 places / 177 vœux [4]) ou Dijon (100 places / 279 vœux [5])
  • S'il habite aux Ulis, il aura le choix entre 25 établissements en Île-de-France, comme par exemple la Sorbonne (215 places, 616 vœux [6])

Lola


Lola est une fille, elle est rousse, c'est donc une écolo qui n'a pas le niveau pour faire un bac général. "Confortée par ses bons résultats" (dixit la plaquette), elle est donc orientée contre son gré vers une filière comme STI2D (le redoublement de la classe de seconde coûte cher à l'état, et un échec au bac n'est pas bon pour le classement du lycée). Elle se retrouvera donc dans une classe "poubelle", avec plein de dépressifs qui voient leur avenir en noir.
  • Si elle est à l'Essouriau, ça tombe bien, le lycée propose cette filière, et en plus, ce sera bon pour le classement du lycée puisqu'elle aura obtenu le bac dans le lycée dans lequel elle est entrée en seconde. 
  • Si elle est à Henry Vincenot, elle devra changer de lycée pour aller à Chalon-sur-Saône, Cluny ou Montceau-les-Mînes. Il n'y en a pas d'autres dans le département [7

En terminale

Si elle recherche un DUT "génie technique et procédés", elle a 3 possibilités en Île-de-France, par exemple, à Evry, il y a 54 places, et 703 demandes [8]. A Marne-La-Vallée, c'est 52 places pour 970 demandes. A La ville d'Avray, il y a eu en 2018, 1004 demandes pour 62 places. Autant dire qu'avec un bac STI2D, elle a peu de chances de trouver une solution. 

Si Lola est en Bourgogne, elle devra aller à Belfort. Il y a eu 373 demandes pour 62 places. Elle devra donc trouver un logement à Belfort. La SNCF lui permet de partir le dimanche soir à 19h17 à Mervans pour arriver 2h51 plus tard à Belfort. Le vendredi, elle pourra partir à 16h de Belfort et être à 19h40 à Mervans. L'aller-retour lui coûtera une centaine d'euros. 

Même combat avec les gilets jaunes ? 

Les deux exemples de la plaquette du ministère montrent à quel point il existe des disparités au niveau territorial. La réforme du BAC va contraindre les lycéens à opter pour des spécialités qui ne correspondent pas à leurs vœux et qui vont les enfermer dans une voie qui peut les mener dans un cul de sac, à moins de dépenser énormément d'argent. 

En province, dans tous les cas, les distances sont telles que les frais financiers seront importants.  Comme je l'expliquais dans ce billet [9], "The winner takes it all". parce qu'il est riche, habite à proximité d'une université et a pu avoir les bonnes options dans son lycée privé. 


Ajouts le 19 décembre 2018

Arts plastiques à l'Essouriau

Nous avons appris hier midi la suppression pour les 1eres et 2de de l'année prochaine de l'option de Spécialité Arts Plastiques au Lycée de l'Essouriau..
Lycée de périphérie, connu et apprécié justement pour le brassage des disciplines, professionnel, technique et général ; connu pour sa pédagogie active, bienveillante et exigeante ; connu pour son ouverture culturelle et une véritable mixité sociale réussie.
Les options artistiques jouent un grand rôle dans ce contexte. Elles existent depuis plus de 35 ans et j'assure depuis 30 ans maintenant la spécialité Arts Plastiques, avec bonheur. Nous savons combien ces enseignements artistiques ont pu être importants et utiles, à beaucoup . Que ce soit pour se réconcilier avec un système scolaire ou que ce soit pour se préparer à des métiers exigeants et des formations artistiques de haut niveau.
Les mesures mises en oeuvre dans l'Education Nationale semblent n'avoir qu'une vision comptable de l'avenir, au mépris des expériences accumulées et de la richesse des pratiques artistiques et culturelles.Seul lycée de l'ouest de l'Essonne à offrir ces enseignements, avec la suppression de l'option de spécialité c'est le désert artistique qui progresse.
L'année dernière et cette année ce sont encore 25 élèves qui passent le baccalauréat de spécialité. Depuis 30 ans; les résultats de nos sections sont plus qu'honorables et ont permis à des centaines de jeunes de poursuivre des études de leur choix y compris dans de très grandes écoles ( ENSAD, ENSBA, ESAA, ENSCI, Villa Arson, Ecole du Louvre, Masters divers, Concours d'enseignement, Gobelins, ESMOD, ISAA ...) Il semblerait qu'un rouleau compresseur soit en route. Profitant de mon départ à la retraite l'année prochaine, les autorités académiques, espèrent ainsi éliminer sans problème cet enseignement. J'aurais bien aimé transmettre et non pas enterrer ainsi mon travail...Une pétition ci dessous a été mise en ligne par les collègues du lycée, pour défendre l'ensemble des disciplines artistiques.Ce serait une façon de montrer aux décideurs que les pratiques artistiques et leur enseignement au sein de l'Education Nationale sont un atout et pas un coût.
O. Jullien
le 18 décembre 2018
Signez la pétition ! 

Le climat ne doit pas disparaître des programmes scolaires

Nous, scientifiques, enseignants, citoyens et parents d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, souhaitons attirer l’attention de nos concitoyens sur un problème qui semble inconcevable en France, trois ans après le succès de l’accord de Paris sur le climat obtenu lors de la COP21.
Les nouveaux programmes du lycée pour les cinq prochaines années ne laissent pas assez de place pour la transmission des bases scientifiques essentielles à la compréhension des problèmes majeurs que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, leurs causes, et les solutions permettant d’agir pour les enrayer. [..]

Signez la pétition ! 

  1. En route vers le bac2021
  2. Enseignements de spécialité en classe de première de la voie générale.
  3. BO du 27 septembre 2018
  4. Parcoursup Besançon
  5. Parcoursup Dijon
  6. Parcoursup Sorbonne
  7. Préparer un bac technologique en Bourgogne.
  8. Parcoursup DUT d'Evry "génie technique et procédés"
  9. E. Piotelat, Parcoursup n'est pas APB, 05/2018




Commentaires

Lily a dit…
c'est devenu si complexe que ça... ouch
Anonyme a dit…
Heureusement le jeune félix peut aussi prendre Maths-PhysiqueChimie et Histoire en Premiere puis il pourra prendre Maths-Physiques. Ainsi il pourra choisir de faire une école d'ingénieur ou une prépa pour devenir ingénieur et concevoir des drones ou alors, après son bac, il pourra aller à l'université en géographie.

De plus, je ne vois pas ce qui l'empêche de changer de lycée pour aller en Premiere avec sciences numériques (ça existe déja et ca s'appelle actuellement, S spécialité SI, et il y en a très peu en par académie, les élèves doivent déja faire de la distance actuellement pour cela)

bref, vous critiquez un système qui n'existe pas encore, sous réserve que cela se passe comme prévu.
Laissons 2 ou 3 années et faisons le bilan ensuite.

Je me souviens des cris au moment des changements es filières A,B,C,D etc en filière L, S, et ES où les gens pensaient que cela réduirait les choix.